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Felicity Lott : « Je n’ai jamais su dire non, sauf pour les rôles dangereux »

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Interview
24 décembre 2018
Felicity Lott : « Je n’ai jamais su dire non, sauf pour les rôles dangereux »

Infos sur l’œuvre

Détails

Dame Felicity Lott sera de retour en France le 30 décembre prochain à l’Opéra National de Lyon, accompagnée du pianiste Graham Johnson. La plus francophile des anglaises revient sur son apprentissage du chant et sa vision de l’opéra aujourd’hui.


Vous n’aviez pas prévu d’être chanteuse lyrique …
… et non ! J’ai toujours chanté et je pensais, en quelque sorte, que c’était quelque chose de commun et que tout le monde chantait. Je pensais aussi que les personnes qui étaient dans cette profession étaient très ambitieuses et difficiles. Or j’étais assez timide de tempérament.

Comment en êtes-vous venue à étudier le chant ? 
Après mes études à l’université et une fois ma licence de français obtenue, je pensais devenir interprète. Lors de mon échange universitaire à Grenoble, j’ai eu l’occasion de prendre des cours au Conservatoire. Mon professeur de chant, Elisabeth Maximovitch me disait que, si je travaillais un peu le chant, alors peut-être que je pourrais en faire quelque chose professionnellement. Puis en 1968, j’ai passé deux semaines à l’Académie Internationale de Musique de Nice où j’ai étudié la technique vocale avec Maria Branèze et travaillé l’apprentissage des rôles avec Pierre Médecin. Cela a été une étape importante pour ma formation et ça a constitué un souvenir marquant aussi. J’y ai appris le duo La Comtesse – Susanne, avec une très jolie suédoise. Je me souviens aussi qu’il y avait quelqu’un qui chantait « Asie » dans Shéhérazade. C’est une de mes premières approches du répertoire français. Après cette Académie, j’ai tout de suite acheté le disque de Régine Crespin, qui fut un nouveau bouleversement. Elle était mon idole ! Je l’aimais particulièrement dans cette œuvre, et aussi dans Les nuits d’été de Berlioz.

Suiviez-vous quelques chanteurs durant vos études à Grenoble ou à Londres ?
Non, et d’ailleurs je n’allais pas au spectacle. Il n’y avait pas, à l’époque, ce suivi de carrière que l’on fait sur les chanteurs.  

Il est vrai que maintenant, on peut suivre à la lettre les parcours de chacun. 
Oui c’est so show me, et ce n’est pas toujours bien. Je pense que ce phénomène est très difficile pour les jeunes chanteurs. Avant, on faisait nos erreurs sans être pointé du doigt. Maintenant, il y a toujours quelqu’un avec son téléphone, tout est sur You Tube et sur les réseaux sociaux tout de suite. Les médias sont très importants. Il faut se vanter, se vendre, etc. et vous devez avoir un nombre précis de followers.

Ressentiez-vous déjà, à l’époque, la concurrence que peut impliquer ce métier ?
Non, et d’ailleurs je me suis trompée sur cette image que j’avais des chanteurs. Je n’ai quasiment jamais rencontré, sur ma route, une personne avec de mauvaises intentions, qui souhaitait me mettre des bâtons dans les roues. Mais je pense que le fait de ne pas vouloir à tout prix être chanteuse m’a détachée de cela aussi. 

La carrière était-elle appréhendée et vécue de façon plus apaisée ? 
Oui. Ce phénomène du show me augmente le stress et le désir d’aller vite. A l’origine, comme je le disais, je n’ai jamais pensé que je ferais ça, je n’étais pas assez ambitieuse. Mais j’ai eu de la chance car je me suis trouvée à la bonne place au bon moment, avec des personnes qui croyaient en moi. Je n’étais pas très douée pour les auditions et les concours. Maintenant, il y a tellement de concours, tout le monde en passe ! Quand je suis revenue de France, grâce à Pierre Médecin, j’ai rencontré une célèbre basse anglaise. Je suis allée lui parler afin de solliciter ses conseils parce que je ne savais pas quoi faire. J’avais terminé ma licence, et je n’avais pas de visibilité sur la suite. Je ne voulais pas enseigner. Il m’a donné l’adresse d’une professeure à Londres, Vera Rózsa, qui avait enseigné le chant à Kiri Te Kanawa et qui a été, par la suite, la professeure d’Anne Sofie von Otter. Je suis allée chanter pour elle et elle m’a dit « je veux bien prendre votre argent pour vous donner des cours, mais vous seriez beaucoup mieux dans un conservatoire car vous aurez l’occasion de faire des spectacles, de l’opéra etc. On viendra vous voir sur scène ». Je suis très reconnaissante de ce conseil car finalement, elle a été très honnête. Je suis rentrée à la Royal Academy et j’ai fait mes premiers rôles à l’English National Opera. 

Vos premiers débuts sur scène …
Tout à fait ! Après, je n’avais pas de souhait particulier en matière de rôle.

Acceptiez-vous toutes les propositions ? 
Non, d’autant que j’avais un très bon agent. J’ai rencontré Robert Rattray dans les années 1970, après mes études à la Royal Academy. Il était très bien et pas du tout greedy. Il aimait particulièrement ses artistes et il ne nous mettait jamais en danger. Quand on est jeune, on se dit souvent « C’est formidable, on m’a proposé ce rôle ! ». Or, cela lui arrivait de nous mettre en garde et précisant que ce n’était probablement pas le bon moment pour aborder tel ou tel opéra.

Il connaissait très bien la voix …
… oui, et je ne sais pas comment il a formé son oreille, d’autant qu’il était plus jeune que moi. Il avait fait une licence d’allemand et il avait beaucoup travaillé à Munich ensuite. Et pour ma part, j’ai fait beaucoup d’opéras de Strauss, dont il connaissait bien le répertoire. Il y avait une véritable affinité artistique entre nous.

Vous ne souhaitiez pas enseigner le français. Qu’en était-il du chant ? 
L’idée d’enseigner le chant m’a toujours fait très peur. C’est une véritable responsabilité. Rien ne se voit, tous les organes sont cachés. On peut voir les tensions du corps, mais pour le reste c’est très compliqué…

… et c’est très intime.
Oui, c’est un peu intrusif comme approche de l’instrument. Pendant toutes mes études à la Royal Academy, j’avais une professeure adorable, mais avec elle tout était très intellectualisé. Elle parlait beaucoup d’interprétation, du sens des choses, etc. Je n’ai pas le souvenir de leçon de technique vocale, à proprement parler, avec elle. On travaillait beaucoup d’airs d’opéra, notamment ceux de Mozart. Ensuite, j’ai pris des cours avec un homme, et c’était beaucoup plus corporel (rires). Il me disait qu’il fallait mettre une ceinture de façon très serrée pour sentir la respiration. C’était un professeur un peu vulgaire dans son approche, mais très adorable. Tout pour lui devait être corporel dans le chant, et il avait raison ! Et en plus de sa connaissance du corps, il devait avoir une très bonne oreille parce qu’il avait beaucoup de succès comme professeur.

Trouvez-vous qu’on chante de manière différente aujourd’hui ?
Stylistiquement, oui. Je pense que c’est normal que cela change, même si ce n’est pas forcément pour le mieux. On ne comprend plus les paroles, et cela peut devenir ennuyant. Dans le chant, le texte doit vraiment venir en premier, c’est presqu’aussi important que la musique. Aujourd’hui, j’ai l’impression qu’on essaye de grossir les voix, et les chanteurs chantent fort. En même temps, les salles et les orchestres sont devenus immenses, et c’est rare d’avoir un chef qui arrive à diminuer le son de l’orchestre. D’ailleurs, je trouve que les chefs sont rarement vigilants à ce point. 

Quels chefs vous ont marquée et vous ont apporté le plus ?
J’ai beaucoup travaillé, notamment dans mes débuts à Glyndebourne, avec Bernard Haitink. C’est grâce à lui que j’ai pu intégrer le festival, et surtout, c’est pour lui que j’ai fait la seule audition de ma vie, qui a plus ou moins marché, pour Rake’s Progress. Il était tellement sympathique ! Il me disait « Ne vous en faites pas Felicity, tout le monde a peur des auditions ! ». Je ne sais pas si j’ai bien chanté, mais visiblement cela a fonctionné. J’ai fait plein de choses avec lui ensuite comme La Flûte enchantée, Arabella, Le Chevalier à la roseCapriccio et puis beaucoup de concerts. Carlos Kleiber m’a beaucoup marquée aussi, et notamment pour le Chevalier à la Rose que j’ai refait à New York puis à Vienne. C’était extraordinaire de travailler avec lui parce qu’il peignait la musique et tous les sons. Avec lui, on pouvait entendre des choses que nous n’avions jamais entendues auparavant, car il était très dans la recherche des couleurs. C’était délicat, il voulait que les voix sortent finement. Il m’a donné beaucoup de confiance en moi, moi qui était timide. Le fait d’être acceptée comme Maréchale dans l’opéra qu’il dirigeait m’a fait beaucoup de bien. Et puis, j’ai beaucoup aimé Andrew Davis avec qui j’ai eu l’occasion de faire de nouveau Arabella et Capriccio.

L’opéra évolue d’après vous ?
Oui, notamment les mises en scène. Aujourd’hui je pense que le travail est très axé sur le physique. Avant, on portait moins d’attention à ce point. Je me souviens, c’était parfois très drôle de voir ces chanteurs du English National Opera : Rita Hunter qui avait une voix magnifique et si immense, et Alberto Remedios, costaud et très carré. J’étais allée les écouter dans Turandot, et les voir essayer de s’embrasser pouvait paraître subtilement drôle parce que ce n’était pas facile physiquement et techniquement. Mais les voix étaient magnifiques, c’était ça le plus important ! Aujourd’hui je pense qu’on en a perdu un peu, de ces voix magnifiques.

Ces voix magnifiques qu’on sait tout de suite reconnaître.
… oui ! Maintenant, les voix se ressemblent. On n’a plus ces timbres très personnalisés. Janet Baker, Régine Crespin, Kathleen Ferrier, Elisabeth Schwarzkopf, etc. on entend deux notes chez ces voix de femme, on sait de suite qui c’est ! Je ne sais pas si je reconnaîtrais quelqu’un parmi les jeunes voix aujourd’hui.

Connaissez-vous la jeune génération de chanteurs français ? 
Les très jeunes oui, notamment ceux que je peux avoir en master class lorsque je viens à Paris. Évidemment, ce n’est pas encore prêt mais certaines voix ont un véritable potentiel. Parmi les chanteurs qui commencent leur carrière, je connais surtout les anglais. Il y a un contre-ténor qui vient de rentrer à l’opéra studio qui a une voix exceptionnelle, avec une véritable personnalité. J’espère qu’on ne le poussera pas trop ! 

Quels conseils donneriez-vous à ces jeunes chanteurs ? 
Apprenez à vous connaître, et surtout n’essayez pas de tout faire, parce que ce n’est pas possible ! Quand je revois ma carrière, je me dis que j’ai fait beaucoup de choses, et pas simplement du Mozart et du Strauss. Parfois, j’ai fait des choses un peu limites, comme La Fiancée vendue, ou Eva dans Les Maîtres Chanteurs. J’adorais cette musique, même si j’en avais peur … 

Quelles étaient vos appréhensions chez Wagner ? 
Je pensais que si on commençait à le chanter, on serait englouti dans son monde, même si sa musique est une des plus belles qui existent. Bien que cela soit difficile comme écriture, comme style, il y a des choses, notamment dans cet opéra, qui sont extraordinaires comme le quintette et surtout, la scène finale avec Hans Sachs ! Avec du recul, je me dis que les personnes qui m’ont conseillée m’ont vraiment bien guidée dans le choix des rôles et du répertoire, notamment sur les Da Ponte – Mozart, les quatre Strauss, quelques Haendel au début … 

… et Offenbach ! 
Ah oui Offenbach ! Ça, ça été un sacré tournant dans ma carrière ! 

Qu’est-ce qui vous a amenée à toucher ce répertoire ? 
J’ai commencé à chanter quelques airs en récital. C’est le disque de Régine Crespin qui m’a sensibilisée à cette musique. Elle chantait les airs de Werther, des airs très sérieux, et puis à la fin, il y avait « Ah cher Monsieur, excusez moi, excusez moi, excusez moi ! ». Je l’adorais cet air de Phi-Phi. Et puis je me suis mise à écouter Yvonne Printemps par la suite. Tout ce répertoire, Offenbach, Messager, etc. vraiment, c’est merveilleux !

Ce n’est pas si simple Offenbach … 
Non, d’ailleurs ce n’est pas pour rien qu’on disait, à l’époque, qu’il était le petit Mozart des Champs-Elysées. Sa musique est fine et gracieuse. Ce n’est pas vulgaire et c’est drôle. J’ai adoré chanter Offenbach. J’avais donné un récital à l’Opéra de Lyon avec des airs de ce répertoire. Jean-Pierre Brossmann, alors directeur du Théâtre du Châtelet, m’a confié, par la suite, son projet de Belle Hélène avec une mise en scène de Laurent Pelly. Je pense que j’ai un certain charme avec le français, et surtout le français parlé. En même temps, j’aimais tellement la France… 

Vous l’aimez toujours cette France ? 
Oui bien sûr ! Même avec ce qui se passe en ce moment… Cela dit, chez nous, ce n’est pas mieux non plus et cela fait très peur. Avec tous les moyens de communication qu’on peut avoir, finalement, on n’arrive pas à trouver des ententes, entre nous, entre les pays. Ce n’est pas une époque facile… On est plutôt de nature pessimiste, on ne profite pas et on ne savoure pas les choses. Personnellement, j’ai l’impression de ne pas avoir le temps de profiter. 

Allez-vous au spectacle ? 
Pas souvent hélas, n’habitant pas Londres. Vu que je suis souvent en voyage, quand je suis à la maison, mieux vaut que j’y reste, sinon il y aura un divorce (rires) ! 

Qu’est-ce qui vous fait garder cette énergie ? 
D’une façon générale, je n’ai jamais su dire non, sauf pour des rôles dangereux ! Mais quand je vois que j’ai un peu de temps libre et qu’on me sollicite, je dis « ok je peux ! ».  Finalement je n’ai pas de temps pour moi. C’est peut-être ça qui me permet d’être dynamique et puis, c’est toujours passionnant de rencontrer des gens ! D’ailleurs, je n’aurais pas su dire non à cette proposition de récital à l’Opéra National de Lyon. J’y ai vécu de très beaux moments, et je suis vraiment très heureuse de revenir dans cette ville, et sur cette scène.

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> Retrouvez toute la Discographie de Felicity Lott

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