Cela aurait pu être une tétralogie, mais ce n’est qu’une trilogie. Plutôt que de monter, pour compléter logiquement Le Barbier et Les Noces, La Mère coupable de Darius Milhaud, directement inspiré par le troisième opus de Beaumarchais, David Pountney a voulu, pour le Welsh National Opera, commander un nouvel opéra, d’après Ödön von Horváth. Enfin, à en juger d’après le titre, Figaro Gets a Divorce viendrait tout droit de la pièce écrite en 1937 par le dramaturge austro-hongrois. Mais le mieux étant toujours l’ennemi du bien, le metteur en scène britannique, également auteur du livret, a aussi emprunté un certain nombre d’éléments à La Mère coupable. D’où une impression de trop et de trop peu à la fois. Le livret est certes bien construit, et il ménage des situations qui se prêtent bien à la musique, notamment à ces duos, trios et ensembles hélas si rares dans l’opéra contemporain. Revers de la médaille : ne subsiste ici qu’une intrigue sentimentale et mélodramatique cousue de fil blanc, privée de toute la dimension historico-politique bien présente chez Horváth. En dehors d’une assez discrète allusion au pacte germano-soviétique, et malgré les costumes années 1930 de Sue Blane, l’action pourrait se situer à n’importe quelle époque, dans les décors abstraits et mobiles de Ralph Koltaï. La scène lyrique ne se prête pas forcément au débat d’idées, mais dans les quelques occasions où le ton cherche à s’élever, on bascule tout à coup dans une grandiloquence déplacée : « Ma force sur vous, c’est que je crois encore à l’humanité », déclare ainsi la comtesse au Commandant, le méchant de l’histoire qu’on aurait voulu autrement plus effrayant.
Quant à la musique d’Elena Langer, elle pèche presque par excès d’accessibilité. La compositrice britannique – comme son nom ne l’indique guère – a passé les vingt premières années de sa vie à Moscou, et sa musique semble traduire ce double héritage : Figaro Gets a Divorce ressemble à du Britten, en moins puissant, matiné de Chostakovitch, pour les emprunts aux genres populaires et le côté musique de film. Refuser la dissonance pour ne pas effrayer le public, vouloir mettre beaucoup d’humour dans sa composition, voilà des intentions louables, mais le résultat est un peu tiède, malgré de beaux moments. On souhaite que son prochain opus annoncé, Trotsky and Kahlo, lui permette d’affirmer une voix plus personnelle, loin de l’ombre portée de Rossini et Mozart. Dans la fosse, Justin Brown dirige avec maestria le Basel Sinfonietta dans une partition dont l’ouverture promet des finesses d’orchestration qu’on voudrait retrouver davantage dans la suite.
© Magali Dougados
Même si l’écriture d’Elena Langer ne paraît pas trop ardue pour les voix, la distribution réunit assez naturellement des chanteurs habitués à la musique des XXe et XXIe siècles.Vu dans The Rake’s Progress cet été à Aix-en-Provence, Alan Oke bénéficie du rôle le plus marquant, celui du Commandant qui aggrave tous les malheurs de la famille Almaviva. Scéniquement et vocalement, le ténor n’en fait qu’une bouchée, et nul doute qu’il aurait pu donner le meilleur dans un personnage plus malfaisant encore. Baba-la-Turque un peu décevante à Aix, Andrew Watts projette bien mieux sa voix dans l’espace de l’Opéra des Nations, Elena Langer l’obligeant à passer constamment d’un timbre à l’autre, tantôt baryton, tantôt contre-ténor, seule audace dans une répartition des timbres fidèle au modèle mozartien. Ann Trulove dans le Rake’s Progress qui a entamé sa tournée à Caen, Marie Arnet en Suzanne a droit à deux airs de style music-hall, ce qui est peu pour mettre en valeur sa voix ; la comtesse d’Ellie Dehn se voit confier encore moins de choses avant le bel ensemble du finale du deuxième acte. Comme dans Les Noces de Figaro, le comte et son valet sont deux barytons-basses : David Stout pâtit parfois d’une écriture un rien trop grave pour être tout à fait sonore, tandis que Mark Stone, récemment Wozzeck sur cette même scène, est un Almaviva assez effacé, du fait du livret même. Au couple de jeunes amoureux échoient de jolis duos pour deux vois de femme, Séraphin étant très traditionnellement confié à une mezzo en travesti : à la voix chaude de Naomi Louisa O’Connell se superposent les aigus un peu acides de Rhian Lois.