Pour la finale, les organisateurs du prestigieux concours nous invitaient « à voir la vie en prose », selon leurs propres mots introduisant une compétition dont la notoriété se vérifie à chaque nouvelle édition, et dont de nombreux talents sont issus, tels que Christiane Eda-Pierre ou Dame Felicity Lott (présente ce soir ainsi que les excellents François Le Roux et Nicolas Courjal). Tous les deux ans, le concours rassemble un auditoire amoureux de la mélodie et du Lied autour de jeunes duos chant-piano. Le jury de cette 11e édition présidé par le chef d’orchestre Ronald Zollman réunissait Stéphane Degout, Claire Désert, Bernarda Fink, Daniel Gerzenberg, Martyn Hill, Antoine Palloc, Sandrine Piau, Jan Schultsz, Six duos restaient en lice : Axelle Fanyo-Adriano Spampanato, Adrien Fournaison-Natallia Yeliseyeva, Vincent Kusters-Suzuha Hirayama, Flore van Meerssche-Gyeongtaek Lee, Anne-Lise Polchlopek-Eleonora Pertz, Benoit Rameau-Johan Barnoin.
Cette finale a été incontestablement dominée par le charisme d’Axelle Fanyo, à son aise dans tous les répertoires, et la technique et l’élégance du baryton-basse Adrien Fournaison, qui tous deux ont été récompensés de leur très belle prestation. Axelle Fanyo et son pianiste Adriano Spampanato se sont vus en effet attribuer le Grand Prix de duo chant piano Rainier III de Monaco. Une nouvelle fois, la chanteuse a fait la démonstration de toute la plénitude de son éclectique talent tant dans la mélodie de Duparc, « Phydilé », où le chant est d’une grande fluidité, que dans les Lieder de Schönberg, Schumann, et Wolf. Dans « Going to Heaven » d’Aaron Copland, sa voix épouse à merveille les changements de rythme. Dans « Amor » de William Bolcom, avec laquelle elle termine son programme, elle électrise l’auditoire de son timbre rond et chaud, et de ses aigus fulgurants en déclinant toutes la gamme des intentions. La voix se fait alors tour à tour séductrice, cajoleuse, aguicheuse. L’osmose avec le piano d’Adriano Spampanato est totale, les deux artistes exprimant la même énergie. Le duo mérite amplement la récompense attribuée.
Le baryton-basse Adrien Fournaison et sa remarquable pianiste Natallia Yeliseyeva ont également fait forte impression et en récompense ils reçoivent le Prix du Lied. Le jeune chanteur de 26 ans a fait preuve d’une technique sans faille dans une belle ligne de chant. On aurait parfois souhaité un peu plus d’émotion et de chaleur. Porté par le jeu subtil et aérien de Natallia Yeliseyeva, le baryton-basse donne la mesure d’un art à la fois plein d’autorité et de raffinement dans un programme diversifié de la mélodie au Lied où il fait merveille dans « Herr Oluf » de Carl Loewe et « Abschied ein Spielmann » de Alban Berg, en passant par « My Heart Aches » de Moore où le chanteur manifeste un grand sens de la caractérisation, saisissant d’emblée son auditoire au fil des fluides arpèges de Natalia Yeliseyeva. Avec une pianiste de ce niveau, la voix trouve un écrin idéal et n’a plus qu’à se laisser guider sur une vague de claires et fluides écumes.
Au côté de la pianiste Gyeongtaek Lee dont le jeu est apparu quelque peu pâle, la soprano belge Flore van Meerssche remporte le Prix de la Mélodie terme d’une finale où l’on a apprécié sa voix claire, d’une belle souplesse, et d’une grande facilité dans l’aigu. On peut toutefois être quelque peu dubitatif sur la nature Prix décerné, eu égard à une diction peu limpide, ne rendant pas suffisamment intelligible la compréhension du français (et pas davantage d’ailleurs celle de l’allemand ni de l’espagnol dans Asturiana de Manuel de Falla). Il conviendra que la chanteuse porte à l’avenir une attention tout particulière à la fluidité de sa diction, et ce d’autant que l’instrument offre d’intéressantes perspectives.
Le duo Anne-Lise Polchlopek et l’excellente pianiste Elenora Pertz reçoivent le Prix Déodat de Séverac amplement mérité. La voix est étonnement claire pour une mezzo-soprano et passées les quelques minutes de surprise, on se laisse séduire par une voix bien projetée et une diction impeccable. Dans le « Noël des enfants qui n’ont plus de maison » de Debussy, elle restitue à merveille la tristesse et la mélancolie. Elle cultive un art consommé du dire, chaque mot se fait sens dans son chant. Dans Malher et dans Dvořák, on retrouve également cette intelligence du texte, avec une voix ronde et onctueuse. Le pianiste Elenora Pertz délivre un jeu subtil au touché délicat. Une véritable complicité se dégage de ce duo, et les sourires que s’offrent mutuellement les deux artistes entre deux œuvres en sont une parfaite illustration.
Aucun prix en revanche pour le baryton Vincent Kusters qui s’est donné à entendre dans un chant trop caricatural et maniéré manquant de naturel et de fluidité et pour Benoît Rameau, ténor lyrique léger avec beaucoup d’allant notamment dans l’hilarant « I bought me a cat » d’Aaron Copland, mais à qui il manque l’amplitude et la brillance pour convaincre pleinement dans ce répertoire de la mélodie et du Lied.