© Raymond Depardon
François Hollande : « J’en suis ! »
Exclusif : le Président de la République Française a choisi Forum Opéra pour faire son coming out lyrique.
On apprend que vous honorerez de votre présence l’ouverture de la nouvelle saison de l’Opéra de Paris le samedi 7 septembre prochain.
Effectivement. Par ma présence à la première représentation de Lucia di Lammermoor, moi président, je veux rappeler que l’Opéra de Paris n’est pas seulement l’une des plus anciennes et des plus prestigieuses institutions de notre pays, son répertoire aussi fait notre gloire. Comme le Château de Chambord, comme Le Penseur de Rodin, La Recherche du temps perdu et le Radeau de la Meduse, Atys, Dardanus, Les Troyens, Carmen, La Fille du Tambour-major ou encore Pelléas et Mélisande sont des fleurons de notre culture.
Nicolas Sarkozy avait lui aussi au début de son mandat assisté à une représentation d’Il Trovatore aux Chorégies d’Orange.
Sauf qu’à différence de Nicolas Sarkozy, moi président, j’en suis !
Vous en êtes ?
Oui, je fais partie de la famille. Je suis un passionné d’opéra, un de ces lyricomanes, comme vous les appelez, qui s’abreuvent à toute heure de musique vocale, vivent dans l’espoir qu’un jour Maria Callas reviendra réincarnée en ténor, comparent inlassablement les différentes versions d’une même œuvre, traquent l’enregistrement pirate et se repaissent de contre-notes le soir à la veillée. Mes fonctions hélas m’empêchent de fréquenter les salles de spectacle autant que je le voudrais.
A défaut, êtes-vous un de nos lecteurs assidus ?
Tout à fait. Mon premier geste le matin, avant même d’effeuiller les dépêches de l’AFP, est de prendre connaissance de la brève du jour. Je suis un inconditionnel de l’édito de Sylvain Fort dont je guette la publication chaque mois avec gourmandise. Je suis aussi un adepte de Cave Canem. Ce Camille De Rijck, quel animateur ! J’ai lu tous les épisodes du dossier que Laurent Bury a consacré à Massenet l’an passé…
Et les articles de Roselyne Bachelot ?
A l’opéra, il n’y a pas de rivalités politiques qui tiennent, sauf entre Posa et Philippe II (rires). Je ne voudrais pour rien au monde manquer les articles de Madame Bachelot. Je regrette d’ailleurs qu’elle ne collabore pas davantage à votre publication. J’ai été particulièrement impressionné par la façon magistrale dont elle a opposé Verdi et Wagner autour du thème de la filiation.
Et vous, entre Verdi et Wagner, qui choisissez-vous ?
La question est difficile. Si Wagner n’avait pas tenu autant de propos antisémites, c’est vers lui assurément qu’irait ma préférence. L’ami de Bakounine ne peut laisser indifférent celui qui un temps pactisa avec Mélenchon. Puis la fortune de Verdi a quelque chose d’insolent. Le roi Victor-Emmanuel aurait dû la taxer à 75%. Nous aurions ainsi échappé à ce monument étouffant de bourgeoisie qu’est la Villa Sant’Agata à Busseto. Mieux, avec un peu de chance, Verdi serait venu se réfugier en France et nous aurions ainsi ajouté quelques chefs-d’œuvre à notre répertoire, quand il nous faut nous contenter de Jérusalem, Don Carlos et des Vêpres Siciliennes.
Il y aussi la version parisienne de Macbeth en 1865.
Pour tout vous dire, Macbeth n’est pas un opéra que j’affectionne particulièrement. Sa Lady somnambule qui se frotte les mains la nuit pour en effacer les taches de sang me rappelle trop l’un de mes illustres prédécesseurs, dont on me dit à tort le thuriféraire.
Quel est alors votre opéra préféré ?
Don Carlos sans hésitation. Version française, bien entendu. Carlos et pas Carlo. Comment ne pas être bouleversé par la relation entre l’Infant d’Espagne et le Marquis de Posa ? Si Philippe II avait instauré le mariage pour tous, cette histoire, croyez-moi, se serait terminée autrement. Puis il y a une prescience dans le livret qui me subjugue. Le coffret de la reine dérobé par Eboli, c’est un peu le tweet de Valérie.
Existe-t-il ainsi beaucoup d’analogies entre l’opéra et la politique ?
Des tas ! Que l’on évoque la question du foulard islamique et j’entends la chanson du voile. Le Mali, ce sont mes Flandres. La nuit, l’Elysée ressemble à l’Escurial. Dans un autre répertoire, les débats interminables à l’Assemblée m’ont longtemps fait penser au duo entre Fricka et Wotan au deuxième acte de La Walkyrie. Ne trouvez-vous pas qu’il y a du Jean-Marie Le Pen dans les exhortations de Hagen et beaucoup d’Elektra chez Marine Le Pen ?
Et vous, comment vous voyez-vous ?
Tout dépend des jours. Aux temps forts de ma campagne, tel Siegfried terrassant le dragon Fafner-Sarkozy. Mon élection fut le triomphe de Radamès avec Valérie en Amneris quémandant le baiser du général vainqueur sous le regard défait de Ségolène en Aida. Ah ! Le son des trompettes victorieuses sur la Place de La Bastille rendue au peuple. Quand je visionne aujourd’hui ces moments de gloire, je deviens des Grieux à Saint-Sulpice chantant « Fuyez, douce image » et quand j’examine aujourd’hui à la lumière des sondages ma courbe de popularité, c’est « Addio, del passato » de La Traviata que j’ai envie de fredonner. Plus jeune, j’étais Faust claironnant « A moi les plaisirs ! Les folles maîtresses… ». Sur ce dernier point, j’ai été trop exaucé. Mais je peux tout autant me sentir Wotan ruminant son crépuscule, Parsifal à la recherche du Saint Graal de l’équilibre budgétaire, Figaro attisant la lutte des classes ou, avant chaque intervention télévisée, Blanche de La Force montant à l’échafaud..
Mais si vous ne deviez retenir qu’un seul rôle ?
Sans hésitation, Riccardo d’Un Ballo in maschera.
Pourquoi ?
Etre poignardé par son meilleur ami, quoi de plus naturel pour un homme politique ? Et mourir en chantant, pour un héros d’opéra, quoi de plus normal ?
Propos recueillis par Christophe Rizoud le 1er avril 2013