Spécialistes des récitals et concerts des plus grandes stars lyriques, Les Grandes Voix nous proposent cette fois un concert (à prix très doux) réunissant quelques jeunes pousses vocales. La récolte est excellente. Le jeune Xabier Anduaga n’a que 23 ans, mais nos rédacteurs l’avaient déjà repéré depuis un an et demi. Ce jeune ténor basque, formé à l’Accademia Rossiniana Alberto Zedda de Pesaro, possède une belle voix, puissante et ample. Malgré sa formation, après l’avoir apprécié il y a trois semaines à peine dans Il Castello di Kenilworth, nous avions quelques a priori sur son adéquation au difficile air d’Almaviva, le terrible « Cessa di più resistere ». Le ténor basque l’exécute avec une aisance remarquable. Certes les vocalises sont moins précises que celles de spécialistes de Rossini, mais le jeune chanteur y apporte une largeur de voix, une chaleur, rarissime dans ce répertoire et l’aigu est sans complexe. Ses deux extraits de L’Elisir d’amore sont convaincants, un peu génériques, mais n’ont pas grand-chose à envier aux titulaires récents les plus célèbres entendus ces dernières années, au moins sur le plan vocal . En effet, la tenue de scène reste encore un peu gauche. Anduaga attaque forte le célébrissime « Je crois entendre encore » des Pêcheurs de perles, ouvrage qu’on peut assimiler à un bel canto tardif français. Rapidement, le chanteur apporte de délicates nuances d’émission, avec un piano bienvenu, ni détimbré, ni en voix de fausset, remarquable en termes techniques. Il ne lui manque qu’un peu plus de jeu sur les couleurs de la voix et une articulation plus marquée du texte, mais nous ne pouvons pas nous empêcher de penser au jeune Alfredo Kraus (on espère qu’il sera prudent dans ses futurs choix de carrière).
Katie Bray offrirait quasiment des qualités inverses. Dans ses deux premiers airs de Rossini, limités aux cabalettes (les spectateurs entendent donc deux fois la mélodie du « Cessa di più resistere » puisque les mélodies sont identiques sur la partie finale de l’air !), la chanteuse anglaise offre une vocalisation impeccable et précise, mais un bas medium trop clair (il faut dire que nous touchons les rôles de contralto), puis la voix change de consistance dans l’aigu, rond, chaud et superbement projeté. Enfin vient « Una voce poco fa » qui nous amène dans une autre dimension. Abattage scénique, variations inédites exprimant totalement la personnalité de l’héroïne, voilà une des interprétations les plus inédites, convaincantes et surtout stimulantes qu’il nous ait été donné d’entendre, et on ne peut que se joindre aux compliments que le chef, bluffé, lui prodigue.
Angélique Boudeville possède un matériau rare de lyrique avec une belle largeur de voix. Les piani sont superbes, la voix bien projetée . Le timbre, original, est plein de chaleur. La chanteuse dispose de la largeur de voix suivante pour offrir un splendide Verdi. Puis, là encore, nous avouons que nous avons été bluffé par son « Ah! Non credea mirarti ». L’air de La Sonnambula est de toute beauté, mais nous n’imaginions pas que la cabalette serait donnée. Après un couplet de la cabalette, dans une version assez centrale, nous n’imaginions pas que la reprise en serait faite. Après cette reprise avec variations et suraigus, complètement en phase avec la psychologie du personnage, nous baissons les armes : depuis combien de temps n’avions-nous pas entendu une voix aussi colorée dans ce rôle souvent dévolu à des coloratures limitées au suraigu…
Ugo Rabec ne s’élève pas encore à ce niveau d’exception : le grave est somptueux, gras et profond, mais l’aigu un peu court et peu projeté.
Transfiguré sous la baguette de Douglas Boyd, l’Orchestre de chambre de Paris se surpasse, et la qualité de la formation ne souffre quasiment aucun reproche. Le Directeur musical du Garsington Opera (qui, paradoxalement, ne donne plus d’ouvrages belcantistes depuis son arrivée) n’est pas ici qu’un accompagnateur, mais il offre ici une version élégante, renouvelée et captivante de pages ordinairement rebattues (en particulier l’ouverture de Guillaume Tell, absolument remarquable). L’Intermezzo de Cavalleria rusticana, un peu trop propre aurait néanmoins pu être remplacé par une page davantage en situation comme l’ouverture de Norma ou celle de Roberto Devereux. Rendez-vous l’année prochaine ?