Il est à Parme, Piazza Garibaldi, là où bat le pouls de la cité verdienne, accrochée sur la façade de l’hôtel de ville une statue de bronze d’Hercule terrassant Antée. Conformément au récit mythologique, le héros invincible soulève de terre son adversaire et le tient fermement serré dans ses bras pour qu’il ne puisse reprendre des forces au contact du sol.
A moins de cinq cents mètres, le Teatro Regio commémorait ce 10 octobre le jour anniversaire de naissance de Giuseppe Verdi, événement phare du festival consacré à l’enfant chéri du pays, « il Verdi » comme aiment à dire les Italiens pour lesquels l’article défini est marque de respect. Soirée de gala où cinq chanteurs par ailleurs à l’affiche des opéras représentés jusqu’au 21 octobre viennent offrir un bouquet d’airs à un public averti. Le programme peut substituer aux scies verdiennes des pages moins habituelles. Pas d’orchestre – les temps sont durs – mais un pianiste, et des meilleurs – Simone Sabina – dont l’accompagnement, infaillible, sait aussi évoquer les humeurs des partitions interprétées.
Tous les deux ou trois numéros, un récitant – Sergio Basile, acteur, metteur en scène et dramaturge réputé de ce côté des Alpes – interrompt le cours du récital pour raconter Verdi, l’homme, à travers quelques anecdotes. Était-ce nécessaire ? Disons que oui pour donner à la soirée un ton d’apparat, à condition de comprendre parfaitement l’italien – le discours est partiellement surtitré en anglais.
Sur scène défilent les uns après les autres les chanteurs, séparément, à l’exception du duo entre Rigoletto et Sparafucile et de l’inévitable brindisi final. Ce moment attendu, voire redouté tant il est désormais la conclusion obligée de tout concert avec ténor et soprano, réussit à surprendre. Des coupes de prosecco sont distribuées dans la salle à chaque spectateur et deux canons de confettis placés dans les loges de part et d’autre de la scène transforment la soirée en simulacre de Saint-Sylvestre. C’est la fête.
Tout, auparavant, n’a pas été égal d’un interprète à l’autre – évidemment. Il faut à Michele Pertusi le temps de s’échauffer. Peut-être parce que sa voix de basse n’est pas assez profonde pour sculpter dans le marbre noir de la rancœur, de la noblesse outragée ou de la plus mercantile des vilénies, Fiesco, Procida ou Sparafucile. L’art du cantabile, cette manière de dérouler en un ruban ininterrompu la phrase verdienne, demeure admirable. Don Pasquale à Paris au printemps dernier nous avait laissé sur notre faim., On peut penser que Philippe II, en proie au doute, place l’artiste à l’endroit exact de ses questionnements et de son actuelle tessiture. L’émotion suinte enfin.
De Nino Surguladze, mezzo-soprano géorgienne devenue célèbre en 2010 avec Maddalena dans Rigoletto à Mantoue – le film-opéra d’Andrea Andermann –, il y a peu à dire. Non qu’elle ait moins à chanter mais les airs choisis n’exigent pas tant de caractérisation, juste une démonstration de technique qui expose les couleurs variées d’un chant raide non exempt de duretés.
Benjamin de l’équipe, Antonio Poli illumine la scène d’une voix radieuse et égale de ténor lyrique qui gagnerait à user davantage de la demi-teinte. Anna Pirozzi confirme qu’elle est aujourd’hui une des rares sopranos à pouvoir sans trébucher marcher sur le fil sinueux de l’air du Nil d’Aida puis oser des aigus filés dans un « Tu che le vanità » autrement péremptoire.
Là où ses partenaires se contentaient de chanter, souvent bien, Vladimir Stoyanov entre dans le vif du sujet. Il ne s’agit plus de faire trois jolis petits tours et de s’en aller mais de saisir la vérité du personnage en un exercice de métempsychose lyrique fascinant : Rigoletto, Germont et surtout Renato du Bal Masqué révélés dans leur complexe humanité par une voix à laquelle rien ne semble résister. Le mordant, le phrasé, l’aigu impératif, sont autant d’éléments constitutifs d’une interprétation radicale où le baryton se voit nouvel Antée puisant en terre verdienne la force d’étreindre des partitions herculéennes.