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Après une ère Monteverdi soldée de trois disques consacrés aux madrigaux de ce dernier, les Arts Florissants poursuivent leur approche monographique en se consacrant pour trois saisons à la musique de Carlo Gesualdo. En partenariat avec la Philharmonie de Paris, ils proposent ni plus ni moins qu’une intégrale des madrigaux du maître de Venosa. Le second de la saison, ce concert était consacré au Deuxième livre. Comble du luxe et du numérique, la soirée est enregistrée par France Musique, et disponible à la réécoute sur le site de la Philharmonie.
Proposer les compositeur-satellites gravissant autour du principal intéressé en première partie de concert était une excellente idée. Si certains auteurs sont loin d’être inconnus au bataillon Renaissance (Monteverdi, Marenzio ou Lasso entre autres), on se fait une joie de découvrir la musique de Pomponio Nenna ou de Cipriano de Rore. Dans son introduction, Paul Agnew expose clairement les liens qui unissent tous ces auteurs : c’est la recherche de l’enharmonie qui les préoccupe avant tout. Ce procédé de composition, reposant sur les enchaînements d’accords avec des notes communes (le sol dièse de Mi Majeur peut par exemple devenir le la bémol de La bémol majeur), permet des modulations aussi surprenantes que colorées. Gesualdo n’échappe pas à cette mode, et ce n’est donc pas le compositeur tortueux et solitaire des cinquièmes et sixièmes livres que nous écoutons ce soir, mais un auteur plus préoccupé du canon artistique de l’époque.
S’ouvrant sur le « Concupiscendo concupiscit » aussi magistral qu’audacieux d’Orlando di Lasso, l’ensemble vocal nous donne justement une véritable leçon d’enharmonie : des accord que tout opposerait se côtoient avec naturel dans un discours toujours renouvelé. L’ensemble s’affiche déjà en pleine forme vocale et le son de groupe épouse sans encombre l’amphithéâtre de la Cité de la musique. De cette première partie, on retiendra également le doublé surprenant de Michelangelo Rossi (« Alma afflitta, che fai? » et « Occhi, un tempo mia vita »), dont les enchaînements de tonalités n’ont rien à envier au maître Gesualdo. Si les madrigaux de ce dernier sont par essence profanes, il était bienvenu de découvrir leur auteur dans le style sacré, avec les motets « Maria mater gratiae » et « Reminiscere miserationum ». On y trouve un compositeur plus ramassé et concentré, mais déployant un savoir-faire polyphonique d’une grande homogénéité.
Nous disions que la musique de ce Deuxième livre ne laissait que poindre les hardiesses des œuvres ultimes du compositeur. Les solistes des Arts florissant ne font certainement pas défaut de la musicalité nécessaire pour défendre le cycle : « Se per lieve ferita » et « Se taccio, il duol s’avanza » sont la preuve qu’un soin tout particulier est apporté aux contrastes. On en viendrait cependant même à se demander s’il n’y en a pas un peu trop par endroits, brisant l’unité de chaque pièce pour des effets madrigalistes parfois un peu faciles. Une direction musicale plus fluide dans son geste nous aurait peut-être moins bousculé, mais elle aurait contribué à une compréhension plus globale de la forme.
Des six chanteurs présents sur scène ce soir, on retiendra avant tout le soprano brillant et sonore sur toute la tessiture de Hannah Morrison. Le contralto de Lucile Richardot est quant à lui impressionnant par la rondeur et la sensualité de ses graves (on entendrait presque un ténor par endroits !). Enfin, Sean Clayton n’est peut-être pas la voix la plus éclatante de ce trio de tête, mais son ténor léger et sa fine musicalité sont bienvenues dans ce programme. On regrette les prestations un peu effacées de Miriam Allan et d’Edward Grint, tandis que Paul Agnew semble accuser une légère fatigue vocale, le plaçant souvent en retrait pour ce concert.