Hommage tardif mais néanmoins sincère à Giangiacomo Guelfi, (1924 –2012), le célèbre baryton italien, qui nous a quittés le 8 février dernier.
Né à Rome en pleine affaire Matteotti, alors que l’Italie s’enfonce dans le fascisme, Giangiacomo Guelfi aurait sans doute pu être, à la Libération, un ténor du barreau. Il s’engage en effet dans les études juridiques mais il trouve sa voie en étudiant le chant avec le grand Tita Ruffo, dont l’étendue vocale était unanimement admirée. On imagine facilement le plaisir du vieux lion à construire pas à pas avec son jeune élève l’instrument qui allait le distinguer sur les scènes du monde entier.
Comme souvent, c’est le concours du Teatro Sperimentale de Spoleto, qu’il remporte, qui lance sa carrière. Immédiatement, les propositions arrivent. Après des débuts dans cette ville en 1950, en Rigoletto, rêve de milieu de carrière pour la plupart des barytons, les engagements se multiplient sur toutes les scènes italiennes. Il participe à la redécouverte en 1951 d’Attila, en version de concert, dans laquelle il chante Ezio.
Attila (Ezio), 1962 Florence
Dès l’année suivante, la Scala l’acclame, alors qu’il n’a pas 28 ans : il y crééeProserpina e lo straniero de Juan José Castro, aux côtés notamment de Rosanna Carteri. Cet intérêt pour les œuvres contemporaines ne se démentira jamais. Dès 1950, il assure un petit rôle à la création de Il prigioniero de Dallapiccola au Maggio Musicale. En 1953, c’est le tour de Mas’Aniello de J. Napoli et de La figlia del diavolo de V. Mortari ; l’année suivante, il participe à la création de La figlia di Jorio de Pizzetti, à Naples.
La robustesse de sa voix, le volume sonore, l’insolence des aigus, mais aussi la présence scénique permise par une haute stature font de Giangiacomo Guelfi le chouchou des festivals italiens en plein air, notamment Vérone et les Thermes de Caracalla qui l’accueillent en Amonasro, Escamillo, Scarpia ou Jack Rance. Ceux qui ont assisté à ces représentations, comme le critique musical Giorgio Gualerzi, racontent avec émotion l’impressionnante entrée de Guelfi en Scarpia, dont le monumental « Un tal baccano in chiesa » glaçait immédiatement. En quelques mois, il devient une véritable idole en Italie. Plusieurs enregistrements live témoignent de l’enthousiasme du public devant la générosité du baryton. En Amonasro, en 1954, les points d’orgue interminables des « Faraoooni, tu sei la schiava » provoquent le délire du San Carlo qui interrompt le spectacle pour réclamer des bis incongrus.
Aïda Naples 1954 (voir en particulier à 5:45)
Son répertoire s’élargit rapidement à tous les grands rôles, notamment verdiens (Boccanegra, Macbeth, Nabucco, Francesco Foscari, Luna…) mais aussi véristes (Barnaba, Carlo Gérard).
Giangiacomo Guelfi en Nabucco
Même s’il reste avant tout célèbre pour la tonitruance de ses prestations, Guelfi savait aussi alléger et faire passer une réelle émotion, y compris dans le répertoire plus léger, par exemple en Guillaume Tell, dont témoigne un pirate avec Leyla Gencer en 1965.
Il chante avec les plus grands, sous la direction des meilleurs et les débuts américains ne tardent pas : en 1954, il est au Lyric Opera de Chicago. Le Met aura le tort d’attendre encore 16 ans. Guelfi ne chante en tout et pour tout que deux soirées à New York, en février 1970, d’abord pour une Tosca avec Dorothy Kirsten et Ion Buzea et une Fanciulla del West avec Renata Tebaldi et Sandor Konya. Trop tard, beaucoup trop tard.
Tosca Tokyo 1961
Car, si le Met n’a pas fait de Guelfi un de ses piliers, c’est sans doute parce que la concurrence était rude. Ettore Bastianini son quasi contemporain décédé en 1967, mais aussi Robert Merrill (né en 1917), Leonard Warren (né en 1911), Gino Bechi (1913) sont alors à leur apogée et occupent le terrain. Le drame pour Guelfi est que sa générosité phénoménale est payée cash car l’artiste chantait sur le capital et pas sur les intérêts… Il dilapide en quelque sorte un matériau vocal exceptionnel, mais fragile. L’instrument se dégrade et, à l’âge où les barytons font valoir la plénitude de leurs moyens, il doit peu à peu se retirer.
Les maisons de disque sont, au moins pour les enregistrements de studio, passées à côté de ce phénomène. Les ingénieurs du son craignaient-ils pour la santé de leurs micros ? Deutsche Grammophon enregistre en 1965 Cavalleria confiée à Karajan et c’est tout. Heureusement, les captations live sont assez nombreuses, avec quelques soirées exceptionnelles, par exemple pour l’Aïda donnée pour l’inauguration de la saison scaligère en 1956.
Discographie sommaire
Aïda, avec A. Stella, G. di Stefano, G. Simionato, dir Votto, 1956, Dynamic IdisChronique sur Forum opera
Carmen, avec F. Corelli, G. Simionato, M. Freni, dir P. Dervaux, 1959, Idis
Il Trovatore, avec M. Parutto, F. Barbieri, F. Corelli, dir Santini, 1960, Myto
Tosca, avec R. Tebaldi, G. Poggi, dir A. Basile, 1961, Walhall
Jerusalem, avec L. Gencer, G. Aragall, dir. Gavazzeni, 1963, Melodram
Nabucco, avec E. Suliotis, N. Ghiaurov, G. Raimondi, dir. Gavazzeni, 1966, OPD
Guglielmo Tell, avec L. Gencer, G. Raimondi, dir. Previtali, 1965, OPD
Agnes von Hohenstaufen, avec M. Caballe, A. Stella, S. Bruscantini, B. Prevedi, dir. Muti, 1970, Rodolphe
La Cena delle beffe, avec A. Zambon, A.M. Rosati, dir Bonavolonta, 1972, OPD
Studio
Cavalleria Rusticana, avec F. Cossotto, C. Bergonzi, dir. Karajan, DG
Récital
Airs et duos de Rossini et Verdi, Myto records chronique sur Forum Opera