Cette année encore, la rédaction de Forum Opéra a frôlé le schisme pour décerner ses trophées annuels : l’Arabella de platine qui récompense l’artiste du monde lyrique la plus émérite et l’Ortrud de cristal qui, à l’inverse, anathématise la personnalité la plus irritante. En 2010, les lauréats sont…
Marie-Nicole Lemieux
ARABELLA DE PLATINE : Marie-Nicole Lemieux
Récompensée en 2000 par le Prix Spécial du Lied au Concours Musical International Reine Élisabeth de Belgique, on aurait pu penser que Marie-Nicole Lemieux ferait de la mélodie son fer de lance. C’était méconnaître la largeur d’un talent qui peut embrasser tous les genres et tous les répertoires avec un même bonheur : les lieder de Mahler, la musique de Vivaldi aussi bien que le grand opéra à la française. Déjà, Marie-Nicole Lemieux possède ce timbre rare de contralto qui faisait délirer Musset, auquel elle ajoute la puissance et l’ampleur que la nature refuse souvent à ses consœurs. Son Orlando furioso stupéfia les parisiens un soir d’octobre 2003. Cinq ans plus tard, au même endroit, le bras en écharpe, elle interprétait une inénarrable Mrs Quickly. Interprète accomplie, elle sait passer du rire le plus gaillard – la gourmandise avec laquelle elle chante « J’ai la migraine » d’Offenbach vaut un sketch de Maillan – aux larmes les plus arides – son prochain album chez Naïve scrutera les tréfonds anguleux des Bagatelles de Webern. L’an passé, son enregistrement d’airs d’opéras français, Ne me refuse pas, a fait sensation. Depuis Régine Crespin et Rita Gorr, on n’avait pas entendu notre langue chantée avec autant d’aplomb. Une prouesse qui lui vaut de ravir sur le fil à Anja Harteros, autre grande interprète que 2010 a portée aux sommets, l’Arabella de platine.
ORTRUD DE CRISTAL : Frédéric Mitterand
Pour la première fois depuis sa création, l’Ortrud de cristal a été octroyée à un responsable politique : le ministre de la culture lui-même, Frédéric Mitterrand, a été distingué par les votes de la rédaction. Alors qu’il se déclare volontiers l’épigone d’Henri Beyle et de sa vie traversée par l’opéra, on cherche une quelconque impulsion en matière de politique lyrique, notamment et surtout en région. A Paris, les grands paquebots vont sur leur erre, et le ministère est à distance, Frédéric Mitterrand allant manifestement chercher ses références davantage chez Marc Fumaroli que chez Jack Lang (« l’Etat culturel » est cité, sans esprit de critique apparent, dans le discours prononcé après la « remarquable représentation » (sic) donnée pour les 30 ans de l’AROP). En région, il y a un besoin, et un besoin urgent, de retrouver un pilote dans l’avion, pour sortir de l’éparpillement des théâtres et de la difficulté des collectivités territoriales à assumer les coûts de ces belles maisons dispendieuses. C’est certes difficile, mais si l’Etat ne parvient pas à mettre les parties prenantes autour d’une table, à quoi sert la rue de Valois ? Ajoutez à cela l’absence de toute volonté sur le terrain de l’éducation musicale et le panorama est complet. La culture pour chacun, dont Frédéric Mitterrand s’est fait l’ardent défenseur, n’est au fond, qu’un cache-misère assumé destiné à masquer la pénurie et la faiblesse. Triste début 2011. Alors, pour retrouver espoir en attendant des temps meilleurs, on ne peut que citer Butterfly, dont le cinéaste Mitterrand avait donné une jolie illustration : « Un bel dì vedremo » ?
Revoir le palmarès des éditions précédentes