Le 250e anniversaire de la mort de Georg Friedrich Haendel (23 février 1685 – 14 avril 1759) est prétexte à bien des célébrations. Tant mieux. Plutôt qu’un « happy birthday » à la mélodie épuisée, la rédaction de Forum Opéra a choisi pour chanter le caro sassone les plus beaux airs qu’il ait composés, sans oublier les interprètes qui vont avec. Florilège.
Samuel Ramey
en Argante dans Rinaldo
Metropolitan Opera, 1984
« Sibillar gli angui d’Aletto » (Rinaldo)
Haendel fait, pour moi, le lien entre le baroque et le bel canto. Le Messie contient déjà de très nombreuses pages belcantistes et il faudrait peut-être rappeler cette vérité à de nombreux chanteurs d’aujourd’hui. Toutefois, pour célébrer le 250e anniversaire du compositeur, je vous invite à écouter en boucle l’air tiré de Rinaldo « Sibillar gli angui d’Aletto ». Virtuosité, ligne mélodique, aigus, tout le bel canto est là, surtout lorsqu’il est chanté par Samuel Ramey, dans un de ses premiers récitals enregistré pour Philips.
Jean-Philippe Thiellay
Malena Ernman
en Neron dans Agrippina
La Monnaie, 1999
« Come Nembo », (Agrippina)
En 1999, le Théâtre Royal de La Monnaie a réuni René Jacobs et David McVicar autour de la partition d’Agrippina. McVicar n’était pas encore la star qu’il est, Anna-Caterina Antonacci, dans le rôle titre, faisait un come-back flamboyant après des années de disette. L’institution, elle, nous proposait de découvrir deux jeunes chanteurs à peine sortis du berceau: Lawrence Zazzo, un Ottone juvénile et incroyablement émouvant et Malena Ernman, une actrice hallucinante qui campa si bien le personnage de Neron qu’à la fin, tout le monde se demanda si elle n’était pas, tout compte fait, un contre ténor. Malena, qui aujourd’hui représente la Suède à l’Eurovision, commença doucement, sans se presser. Puis vint son grand air, le « Come Nembo », dans lequel Neron enchaîne les vocalises. David McVicar eut l’idée de lui faire sniffer une dose déraisonnable de cocaïne et, elle, de se rouler par terre alors que les vocalises crescendo flirtaient avec le Si aigu. Voilà l’air de Händel qui m’a le plus marqué.
Hélène Mante
Sarah Connolly
dans Giulio Cesare
Glyndebourne, 2005
« Dall’Ondoso periglio… Aure Per Pieta » (Giulio Cesare)
On ne saurait compter les airs exceptionnels que compte l’opéra Haendelien. Mais s’il en est un qui me vient immédiatement à l’esprit, de tous les opéras du Maître, c’est sans doute Giulio Cesare et la scène du « Dall’Ondoso periglio » suivi de « Aure Per Pieta ». C’est l’expression, dans sa plus bouleversante nudité, sa plus émouvante simplicité d’un homme devant le vide, livré à lui-même. La contemplation d’un monde dévasté, vision triste et profonde, et pourtant empreinte d’espoir, pénétrée d’une douce et intense lumière. Sarah Connolly, à Glyndebourne, avec l’aide et le brio de William Christie, en a donné une version qui restera, pour moi, comme la plus bouleversante de toutes.
Christophe Schuwey
Cecilia Bartoli
« Disseratevi, o porte d’Averno » (La Resurrezione)
Quel air choisir parmi tant de chefs-d’œuvre ? J’aimerais faire part d’une découverte récente, « Disseratevi, o porte d’Averno » issu de l’oratorio La Resurrezione. Haendel le compose alors qu’il n’a que vingt-trois ans, mais on ne peut être qu’ébloui devant tant de virtuosité, admirablement maîtrisée par Cecilia Bartoli dans son disque Opera Probita. Le tempo y est brillant et l’aspect triomphant merveilleusement rendu.
Anne Le Nabour
Anne-Sophie Von Otter
dans Ariodante
Opéra de Paris, 2001
« Scherza infida » (Ariodante)
Choisir un aria de Haendel parmi la multitude de petits bijoux qui parsèment la production du compositeur n’est pas chose aisée. Aux vocalises pyrotechniques et aux démonstrations virtuoses, je préférerais la tristesse obsédante du « Scherza infida » d’Ariodante, air à la simplicité sincère et à l’accompagnement envoûtant. Existe-il, dans l’histoire de l’opéra, un passage comparable à celui-là ? Difficile de résister à l’incarnation saisissante qu’en fait Magdalena Kožená dans son superbe récital Haendel (Archiv) ou aux dernières mesures telles que nous les souffle au creux de l’oreille Angelika Kirchschlager dans un disque pourtant discutable (Sony).
Nicolas Derny
On n’oubliera pas de sitôt le mémorable Ariodante donné en janvier 1997 à Poissy en version de concert, et qui allait passer à la postérité avec un enregistrement paru un an plus tard chez DG…Ni le « Scherza infida » épuré, suspendu entre ciel et terre, qui valut à Anne-Sofie von Otter et à Marc Minkowski parmi les plus beaux lauriers de leur carrière….
Qui sait, le Caro Sassone aurait peut-être pleuré en l’écoutant…
Juliette Buch
Joan Sutherland dans Alcina
« Tornami a vagheggiar » (Alcina)
Haendel, pour moi, c’est d’abord dans l’enfance le plaisir pur qui naît du son de fanfares éclatantes et de rythmes dont j’ignore qu’ils sont majestueux mais qui m’émeuvent, me suggèrent des cortèges lents comme des processions ou me mettent des fourmis dans les jambes, avec la musique pour les feux d’artifice royaux.
Plus tard, vers l’adolescence, c’est la fascination et la jouissance renouvelée sans modération du « Tornami a vagheggiar » par Joan Sutherland ; je me laisse littéralement envahir, sans l’analyser, par le charme sensuel de cette voix féminine si souple et si acrobatique, par son duo avec le cor, par le souffle si long, par les ornements, et l’exploit vocal semble tellement faire corps avec la musique que je ne distingue plus l’une de l’autre et je me prends à aimer le musicien qui a su faire naître de tels enchantements. Et bien des années plus tard Haendel et la Stupenda me mettent toujours en joie !
Maurice Salles
David Daniels
« Inumano fratel… Stille amare » (Tolomeo)
Rare en concert comme au disque, la scène du poison de Tolomeo (1728) est pourtant l’un des sommets dramatiques de l’opéra haendélien. Un accompagnato nerveux et contrasté, qui glisse de la colère à la tendresse, introduit un arioso écrit dans la tonalité singulière de si bémol mineur. « Stille amare » (larmes amères) développe une brève et saisissante évocation de l’agonie du prince, irréversible et ponctuée par l’alternance agitée des pizzicati et des archets, jusqu’à l’ultime soubresaut : « in seno la morte a » … (dans ma poitrine, la mort…), où les instruments se taisent et la voix expire seule sur un mi bémol, interrompant le Da Capo dans un climax redoutablement efficace. Il faut être sacrément sûr de soi pour se lancer, à froid, dans une page aussi exigeante. La fortune sourit aux audacieux, comme David Daniels, ce soir de 2002, à Bruxelles, avec l’Europa galante (Biondi). Une concentration, une présence, une vérité de l’incarnation proprement stupéfiantes en récital. Cette interprétation éclipse toutes les versions enregistrées, y compris celle du contre-ténor, platement accompagné en 1999.
Bernard Schreuders
Natalie Dessay
« Tu del Ciel ministro eletto » (Il trionfo del Tempo e del Disinganno)
Cette aria qui clôt l’oratorio marque la rédemption de la Beauté, l’abandon des séductions du monde pour rejoindre Dieu. Loin du feu d’artifice attendu, ce finale étonne par son ascétisme, surtout quand la voix de Natalie Dessay, diaphane, dialogue avec le violon solo. Haendel y atteint au sublime par un dépouillement apaisé.
Antoine Brunetto
Teresa Berganza
en Ruggiero dans Alcina
Aix-en Provence, 1978
« Sta nell’Ircarna » (Alcina)
Quoi de plus énergisant que cet air qui raconte le dilemme d’une « tigresse coléreuse » dans sa tanière rocheuse ? Entre sa soif de vengeance dans le sang et la protection de ses petits, elle hésite… Mais c’est l’amour qui l’emporte.
Dans cet air rythmé très virtuose où la voix dialogue avec les deux cors sur le thème de la chasse, Haendel met l’accent sur le panache et la détermination. Seule issue : la victoire.
Dans un enregistrement dirigé par Richard Bonynge en 1962, Teresa Berganza avec des vocalises impeccables, un timbre clair aux couleurs délicates et une belle note grave sur le mot « amor » est pour moi irrésistible.
Brigitte Cormier
Lorraine Hunt Lieberson
en Irene dans Theodora
Glyndebourne, 1996
« As with rosy steps the morn » (Theodora)
Philippe Ponthir
Steve Davislim
« Vi sento, si, vi sento » (Lotario)
Un seul air pour tout Haendel. Mission impossible que l’on accomplira en s’abritant derrière une aria inconnue – « Vi sento si, vi sento » – d’un opéra mineur – Lotario – écrite pour une voix que le compositeur servit moins que d’autres : la voix de ténor. Air des remords qui, sous forme de traits obstinés, lacèrent Berengario dont les longues vocalises prennent alors un goût de larmes. Dans la seule intégrale disponible à ce jour (Alan Curtis, Deutsche Harmonia Mundi), Steve Davislim y fait sensation.
Christophe Rizoud