Hans Werner Henze est mort le samedi 27 octobre à Dresde, et beaucoup n’hésitent pas à voir en lui un des grands compositeurs d’opéras de la seconde moitié du XXe siècle, au même titre que Benjamin Britten. Cette disparition est l’occasion d’un premier bilan de sa carrière de compositeur lyrique telle que le CD et le DVD nous permettent aujourd’hui de la connaître. Souvent frileuse vis-à-vis de la musique contemporaine, l’industrie du disque a relativement bien servi Henze, même si l’on a encore à déplorer des lacunes assez stupéfiantes dans sa discographie. Espérons que son décès réveillera les différents labels et les incitera à recommercialiser certains enregistrements présents dans leur fond de catalogue.
En 1998, Henze publia son autobiographie, Reiselieder mit böhmischen Quinten, qui connut une nouvelle édition en 2001. Ce document a été traduit en anglais, mais jamais en français. Pour pallier ce manque, on pourra se tourner vers le DVD publié chez Arthaus dans la série « Composers of our time » : Tourné dans la propriété du compositeur, non loin de Rome, Hans Werner Henze – Memoirs of an Outsider retrace le parcours du compositeur en s’appuyant sur des interviews de chefs d’orchestre (Ingo Metzmacher, Simon Rattle) et avec la participation de chanteurs comme Ian Bostridge et Michaela Kaune.
Les opéras de Henze en DVD
Pour rester dans le domaine de l’image, le témoignage le plus ancien, en ce qui concerne les opéras de Henze, est la version de Der Junge Lord tournée en 1968 pour la télévision allemande (DVD Unitel sorti en 2008). Cette réalisation est typique de tous ces films en play-back qui furent réalisés à l’époque, où le meilleur côtoie le nettement moins réussi. Le film tourné dans les décors et costumes historiques (années 1830) de Filippo Sanjust offre un assez fidèle reflet de la mise en scène soignée de Gustav Rudolf Sellner au Deutsche Oper de Berlin. Christoph von Dohnanyi y dirige les interprètes de la création en 1965, notamment une splendide Edith Mathis. On aimerait maintenant qu’une production « moderne » connaisse à son tour les honneurs du DVD, par exemple celle qu’a montée Christine Mielitz à Dortmund en 2009.
Nettement plus récent, puisque capté en 1994, le DVD du Prince de Hombourg (Arthaus 2002) nous plonge dans un tout autre univers esthétique, beaucoup plus en accord avec notre sensibilité actuelle. Nikolaus Lehnhoff avait réglé cette production au Cuvilliés Theatre de Munich en 1992 pour le Bayerische Staatsoper, dont l’orchestre est ici dirigé par Wolfgang Sawallisch. La présence de François Le Roux dans le rôle-titre montre que l’école française de chant arrivait encore à exporter ses meilleurs éléments dans les dernières années du XXe siècle. Autour de lui, on entend notamment Helga Dernesch dans le rôle de l’Electrice de Brandebourg. A signaler que l’œuvre fut montée en 2009 au Theater an der Wien, avec Christian Gerhaher en prince, dans une production de Christof Loy.
Filmée dès sa création à Salzbourg en 2003, L’Upupa fut l’avant-dernier opéra de Henze (DVD Euroarts 2005). Ce conte oriental bénéficie de la mise en scène colorée de Dieter Dorn, et la musique est brillamment servie par Mathias Goerne, John Mark Ainsley, Laura Aikin, Hanna Schwarz, Anton Scharinger et Axel Köhler, entre autres. Toujours en 2003, Pollicino, opéra pour enfants, fut filmé à la Musikschule de Calw, dans le Bade-Wurtemberg. Il s’agit d’une production semi-professionnelle, et le DVD est actuellement épuisé.
Enfin, toujours chez Euroarts, Boulevard Solitude est une captation réalisée en 2007 au Liceu de Barcelone. La mise en scène raffinée de Nikolaus Lehnhoff (encore lui !) se situe dans le décor unique d’un hall de gare, avec pour interprète principale Laura Aikin (encore elle !) en Manon, Des Grieux étant confié à un Pär Lindskog qui n’a rien de bien séduisant, ni dans la voix ni dans le physique, l’orchestre étant dirigé par Zoltán Peskó. (Hors opéra, on signalera le DVD du ballet Ondine, capté à Londres 2009 ; l’œuvre est d’ailleurs une commande de Covent Garden, le ballet de Frederick Ashton ayant été conçu pour Margot Fonteyn).
Conclusion : au DVD, ce n’est pas si mal, mais il manque deux titres essentiels, Elegie für jugende liebenden et Die Bassariden. Et curieusement, ces deux lacunes ne sont que partiellement comblées par le CD. Comme le montrera le parcours chronologique ci-dessus, la période centrale de la carrière lyrique de Henze est la mieux représentée, ses débuts glorieux et ses dernières années étant paradoxalement les moins bien traitées.
La musique vocale en CD
En 1948, Henze conçut Das Wundertheater, « opéra pour acteurs » d’après Cervantès, réécrit en 1964 « pour chanteurs ». Ce œuvre courte devint par la suite la première partie d’un triptyque formé avec deux « opéras radiophoniques », Ein Landarzt (1951) d’après Kafka, et Das Ende einer Welt (1953). Il existe un disque Wergo réunissant ces deux rundfunkopern ; quant au Wundertheater, on en trouve un enregistrement chez Ars Production.
En 1952, Henze connaît son premier grand succès dans le domaine lyrique, avec Boulevard Solitude, d’après Manon Lescaut. On pourra écouter l’enregistrement historique de 1953, réalisé avec Francfort, avec Elfriede Trötschel et Kurt Gester dans les rôles principaux (Line Music). La seule autre version existante en CD est dirigée par Ivan Anguelov, avec Elena Vassileva et Jérôme Pruett (Cascavelle 1989). Le DVD mentionné plus haut complète heureusement la discographie de l’un des titres parmi les plus joués de Henze.
Du König Hirsch, opéra d’après Carlo Gozzi, créé à Berlin en 1956 (révisé en 1962 sous le titre Il Re Cervo), on croit savoir qu’il existe un enregistrement par le Universität für Musik und Darstellende Kunst, 2006, mais qui est bien sûr introuvable. Henze connaît un nouveau grand succès en 1960 avec Der Prinz von Homburg, sur un livret adapté de Kleist par Ingeborg Bachmann. Il faudra se contenter du DVD car il n’existe apparemment aucun disque de cet opéra.
Autre sommet de la production de Henze, Elegie für junge Liebende, créé en 1961 à Schwetzingen. On écoutera bien sûr le disque d’extraits dirigé en 1963 par le compositeur, avec Dietrich Fischer-Dieskau, premier interprète du rôle du poète Gregor Mittenhofer. Seul rescapé de la création, il est ici entouré d’une équipe incluant notamment, luxe suprême, Martha Mödl dans le rôle de la comtesse Caroline. Parmi les intégrales, mieux vaut oublier le live du Berliner Kammeroper en 1989 pour se tourner vers la version enregistrée en 2000 par le compositeur britannique Oliver Knussen à la tête du Schönberg Ensemble, qui dirige la version originale anglaise (Elegy for Young Lovers ) avec Lisa Saffer en tête de distribution.
Pour Der junge Lord, créé en 1965 au Deutsche Oper de Berlin, on dispose d’un enregistrement réalisé la même année, avec toute l’équipe de la création, dirigée par Christof von Dohnányi, pour Deutsche Grammophon, jadis édité dans le cadre de « The Henze Collection ». A noter que le film tourné trois ans après réunit la même distribution à deux exceptions près : Patricia Johnson (la baronne Grunwiesel) et Ruth Hesse (Frau von Hufnagel) sont remplacées dans le film par Margarete Ast et Gitta Mikes, respectivement. Autre enregistrement, réalisé le jour même de la création, Die Bassariden, capté le 6 août 1966 à Salzbourg. Toujours sous la direction de Dohnányi, cette fois à la tête des Wiener Philharmoniker (Orfeo). Il existe une version plus récente, avec Gerd Albrecht dirigeant le Radio-Symphonie-Orchester Berlin, et Karan Armstrong en tête de distribution.
Le tournant des années 1960-70 marque pour Henze une période très engagée. Son requiem pour Che Guevara, Das floß der Medusa, fut enregistré sous la direction du compositeur lui-même, avec Edda Moser et Fischer-Dieskau. En 1970 fut créé au festival d’Aldeburgh El Cimarrón, pour récitant et ensemble de chambre. C’est sans doute l’œuvre lyrique qui compte le plus de versions différentes, puisqu’on en dénombre au moins quatre, dont une dirigée par Henze en personne, pour Deutsche Grammophon. Le flirt de Henze avec le régime Castro se poursuivit en 1974 avec La Cubana oder Ein Leben für die Kunst, vaudeville en cinq tableaux, dont on peut trouver un enregistrement paru chez Wergo en 1989, avec entre autres Anja Silja et Trudeliese Schmitt, dirigées par Jan Latham-König.
En juillet 1976, Henze connut un échec retentissant avec We Come to the River, commande de Covent Garden sur un livret d’Edward Bond, pure expression du marxisme dialectique. On ne s’étonnera pas outre mesure qu’il n’en existe aucune trace en CD, malgré l’existence d’un enregistrement en 33 tours (la reprise de cette œuvre à l’opéra de Dresde le mois dernier laisse néanmoins espérer la possibilité d’un nouvel enregistrement). La même année, Henze fonda le Cantiere Internazionale d’Arte à Montepulciano, où fut créé en 1980 son Pollicino, conte de fées en musique d’après Collodi, Grimm et Perrault (voir enregistrement Wergo 2003).
Nullement découragé par le four essuyé par sa première collaboration avec Edward Bond, Henze réitère l’expérience avec La Chatte anglaise, sur un livret de Bond d’après Balzac. Créée en 1983 à Schwetzingen, l’œuvre fut donnée dès 1984 à l’Opéra-Comique (avec notamment François Le Roux). Il en existe un enregistrement réalisé à Berlin en 1989 (Wergo). Les derniers opéras sont très inégalement représentés au disque. Das Verratene Meer , drame musical en deux parties, d’après Mishima (1990), a été enregistré à Salzbourg en 2006 sous le titre Gogo no Eiko, dirigé par Gerd Albrecht. De Venus und Adonis (1997), il n’existe aucun enregistrement commercialisé (mais on peut écouter l’intégralité de l’œuvre sur Youtube). L’Upupa (2003) a eu les honneurs du DVD, mais pour Phaedra, ultime opéra de Henze (2007), il faut une fois encore aller chercher sur Internet.
On mentionnera finalement les réorchestrations auxquelles Henze procéda sur commande : en 1976, la Jephte de Carissimi (Londres) et le Don Chisciotte de Paisiello (Montepulciano), et surtout, en 1985, pour le festival de Salzbourg, Il Ritorno d’Ulisse in patria de Monteverdi, dont il a existé un CD et un DVD, version dirigée par Jeffrey Tate avec Thomas Allen et Kathleen Kuhlmann dans les rôles principaux (mise en scène Michael Hampe). La récente reprise à Madrid du Couronnement de Poppée réorchestré par Philippe Boesmans en 1988 montre bien que cette pratique n’a rien d’anachronique. On doit aussi à Henze une orchestration des Wesendonck Lieder de Wagner (disque Claves avec Yvonne Naef).
En matière de mélodies de Henze, on mentionnera quelques disques intéressants : le récital d’Ian Bostridge avec Julius Drake au piano, réunissant les Sechs Gesänge aus dem Arabischen de 1998, dont le ténor britannique fut le créateur, et les Three Auden Songs de 1983 (EMI), et un disque DG de la fameuse « Henze Collection », où Edda Moser interprète les magnifiques Whispers from heavenly death, cantate de 1948 pour voix aiguë sur des textes de Walt Whitman, et Being Beauteous, cantate pour soprano colorature d’après un extrait des Illuminations de Rimbaud (1963), tandis qu’à Dietrich Fischer-Dieskau reviennent les Fünf Neapolitanische lieder (1956) dont il fut le dédicataire.