C’est l’Opéra Royal de Stockholm qui a diffusé la nouvelle de la disparition, ce vendredi 22 novembre, d’Elisabeth Söderström, formidable soprano de la seconde moitié du siècle dernier. Après Birgit Nilsson en 2005, la Suède perd donc son « autre » soprano de légende, même si l’inoubliable Jenůfa de Mackerras -qu’elle chanta en tchèque, allemand, anglais et suédois- n’avait rien d’une star. Elle était la plus grande chanteuse-actrice de sa génération. Tout simplement…
Christine Söderström © DR
Née le 7 mai 1927 d’un ténor suédois reconverti dans les affaires et d’une pianiste russe, Elisabeth Anna Söderström est baignée dans la musique durant toute son enfance. Elle se destine à une carrière d’actrice mais, refusée par l’Ecole d’Arts Dramatiques de Stockholm, elle se tourne vers le chant, qu’elle étudie avec Adelaïde (Andrejewa) von Skilonz, colorature venue de Saint-Petersburg. Söderström fait ses débuts professionnels à l’âge de 20 ans en chantant la Bastienne de Mozart au Drottningholmsteatern. Peu après, elle intègre la troupe de l’Opéra Royal de Stockholm dont elle reste membre jusqu’au début des années 1980. Après la naissance de son premier enfant, elle est engagée à Glyndebourne pour interpréter le rôle du compositeur dans Ariadne auf Naxos de Richard Strauss (1957). Ainsi commence son histoire d’amour avec le public du festival du Sussex. Deux ans plus tard, à l’époque où le rôle d’Octavian était chanté par les sopranos, elle y apparaît en « Quinquin » amoureux de Régine Crespin. Grande straussienne, Söderström est parmi les rares à avoir campé les trois grands rôles « féminin » (Octavian, Sophie et la Maréchale) du Rosenkavalier, quitte à le faire la même année sur trois scènes différentes. Dans ses mémoires, publiées en 19781, Söderström se rappelle d’un jour où, dans la peau d’Octavian, elle embrassa Birgit Nilsson tellement passionnément que celle-ci lui glissa à l’oreille : « ne me mets pas enceinte ! »… A Glyndebourne, on se souvient encore de sa Léonore (Fidelio), Tatiana (Eugène Onégin) ou de sa Comtesse de Cappricio.
Dès les années 1950, on peut l’entendre à Salzburg dans le rôle d’Ighino du Palestrina de Pfitzner (1955). Elle se produit régulièrement au Wiener Staatsoper et fait ses débuts au Metropolitan Opera de New York en Susanna des Nozze di Figaro (1959). Par la suite si elle se produit souvent au Covent Garden de Londres, Söderström décide de restreindre le nombre de ses voyages, soucieuse de préserver la vie de famille qu’elle mène avec son mari, Sverker Olow, capitaine dans la marine suédoise, et ses trois fils. En effet, en 1964, après six saisons à New York, elle décide de rentrer en Suède pour scolariser ses enfants et ne retourne pas chanter au « Met » avant 1983 pour un gala avec Kathleen Battle et Frederica Stade sous la baguette de James Levine.
En 1968, elle chante pour la première fois sous la direction de Charles von Mackerras dans un Cosi fan tutte donné à Covent Garden (Fiodiligi). Le chef australien en fait alors une de ses chanteuses fétiches et lui confie les rôles de Jenůfa, Katia Kabanova et Emilia Marty dans ses enregistrements légendaires des opéras de Janáček avec le Philharmonique de Vienne. Parmi ses autres enregistrements marquants, soulignons sa Mélisande dirigée par Boulez (1969 –Sony) ou les mélodies de Rachmaninov enregistrées avec Vladimir Ashkenazy, qui la considérait comme « le soleil de sa génération ». Car si à l’opéra, son répertoire est immense, la soprano est également connue comme une mélodiste accomplie et ce, depuis son premier récital en 1947.
Grande chanteuse dramatique à la scène, Söderström témoigne en privé d’une joie de vivre communicative et d’un sens de l’humour peu banal. Ainsi, lorsqu’un directeur d’opéra paniqué l’appelle pour chanter dans La Bohême sous prétexte que sa Mimi est malade, la soprano répond : « Mais mon cher, elle est supposée l’être ! ». En 1991, elle prend la direction artistique de la maison qui l’a vu faire ses premiers pas sur scène, le Drottningholmsteatern. Elle abandonne le poste en 1997, exactement 50 ans après ses débuts, disant sous forme de boutade que cela « ferait bien sur [sa] tombe ou dans les dictionnaires »… Son dernier rôle est celui de Comtesse de la Dame de pique de Tchaïkovski avec Placido Domingo en Ghermann. De plus, Söderström fut, des années durant, une véritable ambassadrice de l’opéra dans son pays natal, tentant de l’introduire dans des lieux où il ne s’invite pas : les prisons, les hôpitaux ou les usines… Elle eut d’ailleurs sa propre émission télévisée en Suède, un show qui mélangeait variété et musique classique et était régulièrement invitée à la radio britannique (Radio 3).
De Néron (L’incoronazione di Poppea) aux rôles contemporains (chez Henze ou Ligeti) en passant par la Gouvernante (The turn of the screw), Marie (Wozzeck), Rosalinde (Die Fledermaus), Alcina, Marguerite (Faust) et beaucoup d’autres, Elisabeth Söderström restera dans l’histoire comme une chanteuse à l’intelligence dramatique insurpassable et à la voix lumineuse. Pour ses proches, elle était avant tout une mère et une épouse aimante qui ne sacrifia pas sa condition de femme aux les feux de la rampe, malgré un amour total pour son art. C’est une grande dame nous quitte, pas une diva…
Nicolas Derny
1 Pour la version anglaise : E. Söderström, In my own key, Londres, Hamish Hamilton, 1979