L’Opéra national de Paris fait preuve de prudence pour sa rentrée : plutôt que de miser sur des nouvelles productions, il puise dans son répertoire. Après La Cenerentola et Tosca, Alexander Neef célèbre ainsi Robert Carsen en reprogrammant La Flute enchantée et ce soir I Capuleti e i Montecchi.
Cette dernière production fait partie de l’histoire de l’Opéra Bastille : créée en 1996, elle a été reprise en 1998, 2004, 2008 (avec Joyce DiDonato et Anna Netrebko), et enfin 2014 !
Le classicisme du spectacle, imaginé par Robert Carsen pour la mise en scène et Michael Levine pour les décors et les costumes, défie plutôt bien le passage des années. L’opposition du rouge des Capulet et du noir des Montaigu, l’omniprésence du rouge sang dans les panneaux délimitant un univers toujours clos et oppressant, tout rappelle qu’il y aura une tragédie au bout du compte. Pris en étau ici non seulement par les haines familiales mais aussi, dans le livret signé Felice Romani, par les conflits ancestraux entre les Guelfes et les Gibelins, les amours de Romeo et Giulietta sont condamnées.
Si le visuel est toujours aussi esthétique, magnifié par les éclairages de Davy Cunningham, on pourra regretter (comme nous le faisions déjà en 2014) une direction d’acteurs manquant parfois de souffle, en particulier le final de l’acte 1, très statique. Les scènes intimes fonctionnent mieux sans que l’on sache si on le doit d’abord au metteur en scène ou à la grâce des interprètes.
Julie Fuchs (Giulietta) © Emilie Brouchon / Opéra de Paris
La nouveauté est ce soir à rechercher du côté de la fosse, avec les débuts de Speranza Scappucci à l’Opéra de Paris. L’ouverture au tempo très vif pourrait faire croire à une conduite pétaradante alla Evelino Pidò (qui dirigeait la série de 2008). Mais il n’en est rien et on est très vite rassuré par l’équilibre de cette direction, très attentive aux chanteurs, dont on pourra simplement regretter quelques alanguissements intempestifs. L’Orchestre de l’Opéra national de Paris, un peu bousculé au départ, retrouve très vite ses marques, faisant montre de belles sonorités, et distillant avec élégance les soli instrumentaux dont le compositeur a parsemé la partition.
Les Chœurs masculins de l’Opéra national de Paris, très sollicités tout au long de l’ouvrage, font preuve d’une grande rigueur : on admire la plasticité et l’homogénéité du chant, jusque dans l’émouvant chœur final dans le tombeau.
La distribution réunie ce soir fait honneur au chant bellinien, le couple amoureux trouvant en Julie Fuchs et Anna Goryachova un duo d’une belle alchimie.
La Giulietta gracile de Julie Fuchs touche dès son entrée. Cette voix d’essence légère possède une pulpe et un frémissement qui captivent chez l’héroïne mélancolique. Il n’est nulle question ici de tranchant ou d’héroïsme mais de délicatesse, avec une technique belcantiste (avec messa di voce et quelques beaux trilles) au service de l’émotion. Surtout l’interprète rayonne, passant dans la scène du tombeau en un clin d’œil d’une parfaite ingénuité (« Ebben, che importa ? ») au désespoir total quand elle comprend que son amant agonise dans ses bras.
Silhouette androgyne, voix longue sombre mais sans lourdeur (et sans poitrinage excessif), le Romeo de la mezzo russe séduit par son chant très modelé dans la cantilène. Les passages plus guerriers à l’acte 1 (« La tremenda ultrice spada ») la trouvent un peu à court d’arrogance et on y rêverait plus d’aspérités. Pourtant on s’incline devant la probité de ce chant qui gagne en ampleur et en puissance au fur et à mesure de la soirée.
La séduction n’est pas l’atout principal de son rival Tebaldo. Francesco Demuro délivre une prestation irréprochable, osant variations dans les reprises et suraigus, et l’acteur est arrogant à souhait. Pourtant, cela ne peut faire totalement oublier un timbre dont les nasalités ne trouvent pas grâce à nos oreilles.
Anna Goryachova (Romeo) et Jean Teitgen (Capellio) © Emilie Brouchon / Opéra de Paris
Les basses sont elles luxueuses. En particulier, le Capellio de Jean Teitgen impressionne : autorité, mordant, puissance, il fait du père de Giulietta un homme frustre et glaçant. Krzysztof Bączyk, plus clair de timbre, ne rivalise pas en terme de volume mais instille une belle humanité à son personnage.
On vous le dit : le répertoire n’est pas un gros mot, surtout quand il est défendu comme ce soir.