Après Carcassonne, Fréjus et Versailles (Montansier) à l’automne, ainsi que l’Espagne, la tournée de la troupe Opéra 2001 continue par Massy… Mais le choix du Barbier de Rossini était-il vraiment judicieux ? Car cette œuvre supposée facile ne l’est pas autant qu’il semble. Plus peut-être que certains autres ouvrages du répertoire, il faut, pour arriver à une complète réussite, la conjonction d’un chef, d’un metteur en scène et d’interprètes particulièrement talentueux. Or la représentation de l’Opéra de Massy, sans démériter vraiment, ne nous a guère donné de grandes satisfactions.
On se souvient que le spécialiste rossinien Alberto Zedda parlait de la « folie organisée » du Barbier. Le metteur en scène Emilio Sagi y voit de son côté « un ouvrage difficile à cerner, ni totalement drôle, ni totalement sérieux. Rossini a construit une œuvre fragmentée en « sketches », comme des mondes isolés qui se suivent et ne se ressemblent pas. » C’est un peu l’impression que l’on a ce soir, avec un spectacle lourd et désarticulé. Le côté farce y est trop appuyé, sans que le côté comédie soit vraiment assuré. Car la mise en scène de Roberta Mattelli et Matteo Peirone est d’une totale vacuité. Il y manque surtout une vraie direction d’acteurs, et faire des gags et des plaisanteries racoleuses (Rosine ligotée sur un fauteuil qui quitte la scène en marchant, le fauteuil sur le dos, Bartolo qui dort en suçant son pouce et en criant « Maman ! », ou qui chante « Non, rien de rien » en imitant Edith Piaf) n’a jamais construit un personnage ni structuré une représentation. Tous les effets sont téléphonés, répétitifs, voire vulgaires, essayant de répondre par avance au goût d’un public qui n’aurait pas de références. On peut résumer cette mise en scène à de la « mise en place », car aucun déplacement de quiconque (qu’il soit soliste ou membre des chœurs) n’est justifié par une pensée réelle. Enfin, il y a aussi un problème au niveau du décor, car s’il y a bien une ouverture vers l’extérieur par les portes-fenêtres du fond, on ne voit jamais l’extérieur de la maison de Bartolo, suggérée seulement par les mouvement de chanteurs dans la salle. C’est dommage.
Paolo Ruggiero (Figaro) © Photo Opéra de Massy / Daniel Malherbe
La direction musicale de Constantin Rouits, trop lente et sans éclat, est en grande partie responsable de l’ennui qui s’installe dès l’ouverture. Tout se traîne, lourdingue et convenu, il n’y a aucune rupture de rythme, aucun rebond, c’est plan-plan, beaucoup trop sage et appliqué, et le style rossinien n’y est pas, sauf peut-être – mais un peu tard – pour le final. Bref, ça ne décolle pas, il manque à tout cela un vrai vent de folie. Pire encore, on a l’impression que l’orchestre n’accompagne pas les chanteurs, mais que ce sont les chanteurs qui accompagnent – ou soutiennent – l’orchestre. Ainsi, les récitatifs, où le chef n’intervient pas directement, sont nettement plus libres et vifs que les parties chantées.
Les chanteurs se démènent avec conscience et énergie pour essayer de sauver ce qui peut l’être. Il faut dire qu’en plus ils nous ont semblé sonorisés, tant leurs voix paraissaient à certains moments tonitruantes et déformées, puis ajustées. Cette pratique qui nous vient des variétés tend à envahir l’opéra, alors qu’elle y est totalement inacceptable, surtout dans une petite salle comme Massy et pour une œuvre qui ne nécessite justement pas d’efforts de puissance. D’autant que cela, loin de mettre en valeur les voix, en souligne surtout les défauts. Francesco Marsiglia (Almaviva) n’est pas ce que l’on nomme un ténor rossinien. Surtout dans son premier air, où bien planté au centre de la scène, face au public, il savonne allègrement les vocalises d’une voix plutôt nasale. Paolo Ruggiero (Figaro) ne fait rien dans la dentelle. D’un baryton sonore mais peu rossinien, lourd et sans finesse, il chante son grand air d’entrée dans la salle, au milieu du public. Comme Anne Roumanov, il entraîne un spectateur sur scène, pour le coiffer. Les deux cris « Eh, Figaro ! », sont lancés par deux musiciens de l’orchestre. Tout cela donne un peu le tournis, et le personnage, s’il est bien caractérisé en termes de théâtre – encore que l’on ait vu cent fois un tel procédé –, en perd aussi toute vraie personnalité.
Francesca Bruni (Rosina) a une voix de mezzo qui n’est pas désagréable, chaude dans le médium, mais assez tirée dans les aigus. Elle vocalise plutôt bien – c’est la seule –, mais c’est surtout au niveau de sa prestation théâtrale qu’il y a des problèmes. Elle donne l’impression de jouer une chanteuse jouant Rosine, au lieu d’être tout simplement Rosine. Coquette dévergondée, elle laisse présager une virago en devenir, et non pas la comtesse des Noces… Stefano de Peppo (Bartolo) campe un personnage plus classe, bien propre sur lui, mais ne donne pas froid dans le dos, et n’est pas non plus la rondeur que l’on voit parfois. Il émaille tous ses textes de mots en français à la limite du compréhensible… Mais il utilise fort bien la voix de tête, et fait des nuances subtiles. Le rôle de Basilio est-il plus facile ? Gabriele Sagona, d’une belle voix de basse, s’en sort honorablement, quoiqu’en s’agitant beaucoup trop. On note la voix agréable du Fiorello de Nicolay Bachev, et une Berta (Roberta Mattelli) trop terne, avec un plumeau bien dérisoire, et une voix bien vieillie.
Catastrophique ? Non, pas du tout, c’est ce que l’on appelle une honnête représentation de troupe, à laquelle une part du public a pris quelque plaisir. Mais ce n’est pas une représentation du niveau de l’opéra de Massy – Opéra 2001 nous avait habitués à mieux –, et d’ailleurs, en fin de spectacle, la sortie du public était plutôt terne et sans grand enthousiasme.
Suite à la publication de ce compte rendu, l’Opéra de Massy a tenu a apporter les précisions suivantes. Durant ces représentations du Barbier de Séville, seuls le pianoforte et la guitare de la sérénade ont fait l’objet d’une sonorisation, indispensable pour l’équilibre des volumes, ce qui n’exclut pas la possibilité d’un micro laissé ouvert par mégarde expliquant l’impression générale de sonorisation ressenti par notre correspondant lors de la représentation du 12 janvier. D’une manière générale, l’Opéra de Massy se dit totalement opposé à cette pratique qui ne correspond pas à sa conception artistique de l’opéra.