Reprise à la Bastille du Barbier de Séville dans la mise en scène de Damiano Michieletto, déjà applaudie à Genève en 2010 puis à Paris en 2014. Pour cette deuxième représentation, Manuel Valls occupe de sa présence omnipotente le fameux rang 15. Visiblement tendu, le regard en angle droit, le premier ministre d’une France privée d’accent circonflexe a besoin de se changer les idées. Il a frappé à la bonne porte.
Dans une frénésie de mouvements tentant d’imiter jusqu’au pléonasme la musique de Rossini, le spectacle défile joyeusement. Sans reprendre son souffle mais sans ne rien laisser au hasard, on trépigne, on saute, on se bouscule, on monte, on descend, on dévale les escaliers, on court d’une pièce à l’autre, on claque les portes d’une gigantesque maison de poupée inspirée de l’Espagne d’Almodovar. On s’agite beaucoup – trop à notre goût – mais on rit souvent. N’est-ce pas l’essentiel s’agissant d’une des œuvres les plus jubilatoires du répertoire ?
On chante aussi bien, plutôt mieux qu’en 2014, exception faite d’Alessio Arduini, baryton clair débordé par le flux rapide de l’écriture, Figaro poids plume au sein d’une distribution d’interprètes chevronnés. A rebours de toute orthodoxie, Rosina est soprano. Pourquoi pas lorsque le rôle est confiée à une voix aussi charnue que celle de Pretty Yende, sans commune mesure avec ces rossignols qui longtemps vinaigrèrent de traits acides « Una voce poco fa ». Cela nous vaut des notes piquées comme des épingles à chapeau, des extrapolations ébouriffantes dans l’aigu, des variations inhabituelles, pas toujours en mesure, pas toujours justes mais d’une fraîcheur et d’une insolence finalement adaptées à la personnalité d’une héroïne émancipée avant l’heure.
© Julien Benhamou / Opéra national de Paris
Grâce à Lawrence Brownlee, on a droit à l’impossible « Cessa di più resistere », ultime air d’Almaviva souvent coupé en raison de sa difficulté. Longuement ovationné, le ténor rachète en une bourrasque de roulades, égales sur une longueur confortable, une première partie où la voix, mate, se noyait dans les ensembles. Le chant syllabique n’a plus de secret pour Nicola Alaimo depuis qu’il a écumé les scènes de Pesaro. Aux notes en rafale de « A un dottor della mia sorte » débité à une vitesse vertigineuse s’ajoutent la silhouette bonhomme et le tempérament comique que l’on est en droit d’attendre du barbon de la farce. A l’orée d’une carrière prometteuse, Anais Constans n’a pas le profil usuel de Berta, confiée en général à des chanteuses de caractère. Mais depuis Orphée aux enfers à Nancy, on sait que la soprano n’est pas seulement dotée d’un des plus jolis timbres du moment. Elle sait aussi le temps d’un numéro, ici l’aria di sorbetto « Il vecchiotto cerca moglie », occuper la première place et dérider la salle. S’il faut cependant décerner une palme drolatique, elle reviendra à Ildar Abdrazakov, Don Basilio déchaîné, visiblement heureux de s’ébattre dans un rôle qui lui permet de donner libre cours à sa fantaisie tout en satisfaisant son inclination naturelle pour le chant rossinien. Ce Mosè colossal, cet Assur impérial ne fait qu’une bouchée d’un air de la calomnie, admirablement gradué, insidieux et puissant.
Dans la fosse, on retrouve Giacomo Sagripanti qui la veille encore dirigeait Werther. De Massenet à Rossini, il y a un gouffre que ce jeune chef d’orchestre apprécié dans le répertoire belcantiste enjambe avec une vivacité réjouissante mais non sans quelques décalages, l’ampleur du dispositif scénique compliquant le travail d’orfèvre qu’exige le réglage au cordeau des ensembles. La nervosité, l’agitation, la folie oui mais jusqu’à un certain point.