Est-ce parce qu’elle était supposée chanter à la même période Carmen à la Bastille ? L’instant lyrique de Clémentine Margaine se veut hispanisant lorsqu’il n’est pas carrément espagnol. A s’interroger sur les origines de la mezzo-soprano qui, bien que française, a gagné ses galons sur les plus grandes scènes internationales. « En janvier, elle chantera Amneris (Aida) au Liceu de Barcelone, suivie de Fidès (Le Prophète de Meyerbeer) au Deutsche Oper Berlin, et elle reviendra ensuite vers Amneris, mais cette fois à Toronto avec Canadian Opera Company », raconte sa notice biographique. Sauf que depuis le corona est passé par là, avec les conséquences que l’on sait sur les agendas. Et l’Espagne dans tout ça ?
Une histoire d’affinité élective, une question de tempérament inflammable, de voix aussi, aux couleurs de la robe qu’elle a choisie pour ce premier récital parisien : pourpre avec des reflets bruns et dans le pli de l’étoffe des strass en forme de papillon. Ainsi va le mezzo-soprano de Clémentine Margaine, puissant, capiteux, enivrant comme un Ribera del Duero à l’alcoolmétrie élevée, dense, trapu et parfois brillant lorsque l’écriture musicale l’éclaire d’une lumière favorable. Cette encre d’un rouge grenat, ce chant à l’œil noir et aux paupières lourdes, veut l’opéra pour épancher son ardeur dramatique. Et la mélodie, fût-elle ibérique ? Loin des salons parisiens où elle semble égarée – Bizet, Massenet –, tout dépend, du compositeur et, dans un art où aucune vérité n’est absolue, de l’auditeur. Ainsi les Cinco canciones negras – qu’il faudra songer à rebaptiser pour obéir aux diktats de la cancel culture – nous ont paru mettre en avant certains défauts d’intonation quand les Siete canciones populares españolas au contraire déroulent un tapis – rouge forcément – à un cante jondo sauvage, éclaboussé de terre, de sang et de soleil. Entre les deux, une poignée de numéros inégaux auxquels Sarah Margaine – la sœur de Clémentine – continue d’insuffler la même énergie indomptable en un ballet virtuose avec les touches du piano, une sorte de corrida fascinante où l’instrument devient taureau.
Généreuse, Clémentine Margaine n’économise ni les effets, ni les bis, ni son soutien à ses consœurs en début de carrière. Le programme Momentum, que la mezzo-soprano a rejoint, offre aux jeunes artistes le tremplin dont les prive la situation sanitaire. L’occasion de mettre en avant le talent de Cyrielle Ndjiki Nya, soprano torrentueux dont le médium solide et l’aigu radieux aiment aussi franchir le col des Pyrénées. La musique de Ruperto Chapí, compositeur connu pour ses zarzuelas, nombreuses, sur une période d’une quarantaine d’année, entre 1868 et 1909, n’est pas si souvent chantée à Paris.
Les deux chanteuses se retrouvent dans « El desdichado » écrit par Saint-Saëns à l’intention des filles de Pauline Viardot – cantatrice légendaire avec laquelle Clémentine Margaine partage un pan de répertoire – et surtout l’air de Candide, où la mezzo-soprano occupe la scène pour se livrer à un exercice d’auto-dérision désopilant, amusant et outré sans vulgarité, le meilleur moment d’une soirée que concluent quatre bis, dont la Habanera de Carmen forcément, faute de Bastille.
Prochain Instant Lyrique mardi 3 novembre : Sandrine Piau, accompagnée au piano par Susan Manoff ; concert retransmis via Google Arts and Culture.