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Jakub Józef Orliński : « Je n’ai que 29 ans, ma voix évolue encore de jour en jour ! »

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Actualité
30 mars 2020
Jakub Józef Orliński : « Je n’ai que 29 ans, ma voix évolue encore de jour en jour ! »

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Il y a quelques jours encore, Jakub Józef Orliński était en France et se préparait à interpréter le rôle d’Arsamene dans Serse à Rouen. Mais suite à la fermeture des théâtres, il est retourné dans son pays natal, où il est actuellement en quarantaine. Cette interview réalisée via Skype a d’ailleurs été interrompue par un appel de la police polonaise, qui s’assurait de sa présence à son domicile…


Vous devriez être à Rouen mais vous êtes à Varsovie : comment se sont passés ces derniers jours  en France ?

Ce moment a été difficile pour nous tous. Nous répétions d’autant plus qu’aucun cas de coronavirus n’avait encore été détecté à Rouen. Quand est tombée l’interdiction de rassembler plus de 100 personnes, nous avons pensé que nous pourrions quand même réaliser la captation en direct prévue pour Mezzo. La production devait aussi déboucher sur un DVD. Sur les trois représentations rouennaises, deux devaient filmées, dont une pour la télévision, sans compter la version de concert prévue à Paris. Hélas, cela n’a pas été possible. Nous avons répété jusqu’au vendredi-samedi, mais ensuit nous avons été renvoyés chez nous.

Sauf erreur, la mise en scène transposait l’action parmi un groupe d’ados ?

Oui, ç’aurait été un spectacle assez étonnant ! Le décor était une piste de skateboard, où nous devions faire toutes sortes de choses, mais c’était une mise en scène extrêmement bien conçue. Et la distribution fantastique. John Holiday nous a rejoints à la dernière minute pour remplacer Emily d’Angelo, et c’est un contre-ténor absolument incroyable ! Il a juste eu une après-midi de repos après être arrivé des Etats-Unis, et il a chanté « Ombra mai fu » de façon stupéfiante…

On connaît votre talent en matière de break dance, mais ce spectacle n’avait pas été imaginé spécialement pour vous ?

C’est une coproduction entre Rouen et Nuremberg, où il a été créé au printemps 2019. J’ai fait du skateboard pendant plusieurs années, donc ça m’allait très bien, je n’avais aucun mal à me glisser dans mon personnage d’ado. Et de toute façon, Jean-Philippe Clarac et Olivier Deloeuil étaient tout à fait prêts à adapter leur mise en scène aux capacités des différents artistes.

A présent, vous êtes reparti en Pologne et vous ne pouvez qu’attendre un retour à la normale ?

Les artistes n’attendent jamais ! Nous réfléchissons, nous faisons plein de choses ! Comme on ne sait pas combien de temps le confinement va durer, il faut imaginer des solutions. Je suis en contact avec plusieurs amis, et nous préparons des surprises pour le public. Je cherche de nouvelles partitions, de nouveaux programmes pour la saison prochaine.

Avez-vous toujours su que vous seriez chanteur ?

Je n’ai jamais fréquenté de conservatoire, et tout a commencé avec l’université. A 8 ans, je suis devenu membre du chœur d’enfants Gregorianum, et j’y ai passé une douzaine d’années. Je chantais après l’école, mais je faisais aussi du roller, du skateboard, de la capoeira, de l’acrobatie… Quand est venu le moment de choisir une voie pour mes études, je n’avais pas vraiment d’idée, mais comme j’étais depuis toujours un fan des King’s Singers, j’ai décidé d’aller à la fac de musique, pour voir si ça me plairait. En Pologne, les études supérieures sont gratuites, mais j’étais tellement mauvais que j’ai dû payer. Enfin, ça montre à quel point j’étais motivé ! Je ne suis pas né avec une voix ; j’avais la passion, la volonté, mais pas les compétences. Pendant trois ans, j’ai donc étudié en payant alors que mes amis, eux, ne payaient pas ! J’ai quand même fini par être admis et mes dernières années à l’université Chopin de Varsovie ne m’ont rien coûté. Après ça, j’ai commencé à travailler en Allemagne, dans tous les petits théâtres : Aix, Wurtzbourg, Gütersloh, Giessen, Leipzig… Au bout d’un an et demi, mon mentor m’a conseillé d’aller aux Etats-Unis pour reprendre des études. Je me suis présenté au Curtis Institute of Music, où je n’ai pas été accepté, puis à la Juilliard School, où j’ai été pris.

Avez-vous su d’emblée que vous seriez contre-ténor ?

Je n’ai pas vraiment hésité. A la puberté, je suis devenu baryton après la mue, mais je n’ai pas chanté longtemps dans cette voix. J’étais dans un petit ensemble vocal composé de neuf hommes, qui interprétait les maîtres de la Renaissance, Tallis, Palestrina, Victoria… Il nous fallait des voix hautes, donc il y a eu une sorte de tirage au sort. Avec mon ami Piotr, nous étions les deux plus jeunes, donc ça nous est tombé dessus ! Nous nous sommes mis à chanter les voix aiguës, et j’ai adoré ça, même si je ne savais même pas qu’on appelait ça « contre-ténor ». Ensuite j’ai découvert cette catégorie vocale, la technique du falsetto, etc. Et quand je me suis présenté à l’université, j’ai auditionné en tant que contre-ténor.

Au cours de vos études, aviez-vous des modèles parmi les contre-ténors célèbres ?

J’ai énormément écouté les disques de mes aînés, bien sûr, mais je n’ai jamais cherché à imiter l’un d’entre eux en particulier. Je me suis inspiré de certaines choses chez tel ou tel chanteur, je me suis imprégné de la musicalité de l’un, du style d’un autre. Etudiant, j’ai beaucoup écouté Philippe Jaroussky ; maintenant je le connais, je suis ravi de l’avoir rencontré et d’être son ami. Andreas Scholl reste pour moi l’un des meilleurs, sinon le meilleur : sa voix est si pure, si belle, c’est incroyable. Chanter avec lui est une expérience inoubliable. Je dois aussi beaucoup à David Daniels.

Dans la musique baroque, beaucoup de gens préfèrent encore entendre une voix de femme plutôt que celle d’un contre-ténor. Qu’en pensez-vous ?

En général, il me paraît préférable d’employer un contre-ténor pour les rôles de castrats – même si bien sûr nous sommes des hommes, et pas des castrats ! Evidemment, une femme peut chanter magnifiquement le rôle de Rinaldo, mais sur scène je crois que je préfère voir un homme dans les rôles masculins. En revanche, pour Orlando, l’un des rôles les plus graves écrits par Haendel pour un castrat, les contre-ténors ont rarement le volume, la force dramatique nécessaire, et je préfère écouter Ewa Podleś ou Marilyn Horne, qui ont ces couleurs sombres, ce côté robuste que l’on attend pour le personnage. J’ai toujours eu pour objectif de devenir un contre-ténor au timbre masculin, charnu. Récemment, j’ai eu la chance de chanter à Karlsruhe le rôle-titre dans Tolomeo, dont l’écriture est déjà assez grave, très dramatique, et il fallait vraiment que je parvienne à montrer la colère, la folie du héros. C’est assez stupéfiant, de pouvoir trouver ces ressources dans sa voix. Je ne lis pas les critiques, mais on m’a dit qu’elles avaient été bonnes, donc peut-être qu’un jour je pourrai chanter un rôle comme Orlando. Pas tout de suite, mais un jour.

Pourtant, à vos débuts, on vous aurait plutôt classé parmi les contre-ténors « angéliques »…

Tout dépend de ce que l’on chante ! J’adore l’oratorio, pour lequel je cultive le côté pur, éthéré, de ma voix. Pour l’opéra, en revanche, j’essaie de chanter de manière plus charnelle, plus physique, et j’espère y parvenir peu à peu. Et puis je suis encore très jeune, je n’ai que 29 ans, ma voix évolue encore de jour en jour !

Comment équilibrez-vous votre activité entre musique sacrée et opéra ?

La musique baroque nous oblige à savoir tout faire, à maîtriser le légato comme la virtuosité,  à parcourir toutes les nuances. C’est pareil ma carrière, j’ai envie de tout faire. J’aime la variété, la diversité. J’adore les concerts avec Il Pomo d’oro, mon ensemble orchestral préféré, dont je suis un peu le chanteur en résidence à vie ! Avec eux, j’ai fait des tounées fantatisques pour Facce d’amore, qui était très opératique, et Anima Sacra, très tourné vers l’oratorio. Mais j’adore aussi l’opéra, même si je me limite à trois ou quatre spectacles par an.

Quand vous parlez de « tout faire », cela signifie-t-il que vous êtes prêt à vous aventurer en dehors des XVIIe et XVIIIe siècles ?

Je n’ai pas encore participé à une production du Songe d’une nuit d’été de Britten, mais pendant des années, j’ai présenté l’air d’Oberon quand j’auditionnais. A la Juilliard School, j’ai chanté le rôle du Réfugié, le personnage principal de l’opéra Flight de Jonathan Dove, une partition extraordinaire. Par ailleurs, je n’ai rien contre la musique contemporaine, mais jusqu’ici, on ne m’a rien proposé de vraiment alléchant. D’ailleurs, j’ai déjà signé un contrat pour du  contemporain, mais il est trop tôt pour que je puisse révéler où et quand. Néanmoins, en toute franchise, je n’ai aucune envie de m’enfermer six mois pour apprendre une partition excessivement complexe alors que je peux m’amuser avec des opéras baroques ! Cela dit, en concert, avec mon excellent pianiste Michał Biel, je donne beaucoup de mélodies modernes. Je chante le répertoire « normal » des contre-ténors,  mais aussi beaucoup de musique polonaise du XXe siècle, que nous voulons faire découvrir au public. Fin juin, nous donnons – en principe – un récital à Aix-en-Provence, qui est déjà complet.

Que pensez-vous des contre-ténors qui s’approprient les rôles travestis que Rossini a écrits pour des mezzos ?

Tout dépend de l’interprète. On dit parfois que tous les types de voix peuvent aborder les Lieder de Schubert, mais encore faut-il qu’il y ait adéquation entre la partition et la personnalité vocale qui l’interprète. Il m’arrive de proposer des programmes de mélodies, et dans ce cas-là, je ne retiens que les pages que je me sens capable de défendre correctement. Les lieder les plus dramatiques de Schubert ne fonctionnent pas forcément avec certaines voix. Pour Rossini, si un contre-ténor parvient à s’approprier ces rôles et à s’y montrer convaincant, c’est très bien, mais si ça ne colle pas, je préfère une mezzo !

Quels sont vos projets dans un avenir proche ?

En juin, je suis censé chanter dans Partenope de Haendel, à San Francisco, avec Franco Fagioli et Louise Alder, entre autres, mais les représentations démarrent en mai, donc j’ignore si ça se fera : il paraît que toute la silicon Valley et toute la Californie sont bloquées. Ensuite, j’ai une petite tournée avec Lea Desandre et les Arts Florissants, un concert dirigé par William Christie et mis en espace par Robert Carsen. Puis j’ai un récital à Santa Fe. En novembre, je chanterai mon premier Mozart : Farnace, dans Mitridate, à Berlin ! Un projet très enthousiasmant, avec notamment Julie Fuchs.

Vous chantez parfois en Pologne ?

Oui, cela m’arrive. Il y a trois semaines, j’ai donné un concert au NOSPR de Katowice, une grande salle de concert toute récente. J’ai aussi participé au gala des Fryderyks, l’équivalent polonais des Victoires de la musique. Et je chanterai probablement en septembre et en décembre, pour présenter Facce d’amore, avec Il Pomo d’oro, à Cracovie.

En Europe occidentale, on connaît mal les ensembles baroques polonais.

Nos ensembles voyagent peu, mais je vous assure qu’ils sont très bons ! Nous avons d’excellentes formations baroques à Varsovie, Lodz, Cracovie, Wroclav, Katowice, Gdansk, dans toutes les grandes villes. Le plus célèbre est la Capella Cracoviensis, ils organisent le festival Opera Rara, ils enregistrent avec Max Emanuel Cencic, avec Franco Fagioli, ils font énormément de choses avec des artistes internationaux. Le problème, c’est que mon agenda se remplit avec au moins deux ans d’avance, et qu’ils me sollicitent parfois pour chanter avec eux trois mois plus tard, donc je suis déjà pris.

Depuis quelques mois, vous êtes aussi ambassadeur d’Opera for Peace…

Cette organisation co-fondée par Julia Lagahuzère* fait un travail fantastique, avec l’aide de grands artistes un peu plus avancés que moi dans la carrière. L’un des objectifs est de propager l’amour de la musique et de créer un climat favorable à l’épanouissement des artistes. Il n’y a pas longtemps, dans le cadre d’Opera for Peace, j’ai pris la parole à Zurich, pour présenter le métier aux étudiants de l’Opera Studio. Je leur ai expliqué comment se passe, la vie d’un chanteur freelance car, après leur passage par le Studio, la plupart d’entre eux resteront à Zurich, d’autres passeront des milliers d’auditions pour entrer dans un ensemble, ou se lanceront en freelance. Et ce n’est pas si facile. Ces jeunes professionnels ou semi-professionnels ont besoin d’être préparés à la réalité qui les attend. Je ne veux pas dire de mal de mon université à Varsovie, ni de la Juilliard School, mais on ne m’y a pas du tout préparé à certaines des choses les plus dures de la carrière : comment gérer les relations humaines avec les chefs d’orchestre, les metteurs en scène, les équipes artistiques, les directeurs de casting, etc. Dans ce métier, il n’y a pas que la voix qui compte : on n’a pas le droit de se conduire en diva capricieuse. Même parmi les contre-ténors, si je deviens quelqu’un d’insupportable, il y en a cinq autres qui n’attendent qu’un coup de fil pour me remplacer. Maintenant, avec la crise actuelle, il faut s’attendre à de grands bouleversements, dans la structure des contrats, par exemple. Le monde change et nous devons changer avec lui, que cela nous plaise ou non. Le contre-ténor américain Anthony Roth Costanzo est également ambassadeur d’Opera for Peace, il a rencontré des jeunes de 14 à 16 ans et leur a présenté sa passion pour la musique. Il s’agit de faire le bien autour de soi en apportant aux gens une souce d’inspiration. Lorsqu’on mène une vie difficile, l’art peut vous guider vers un avenir meilleur. Pour ma part, j’ai été vraiment inspiré par la musique qui a tracé la ligne de ma carrière.

 

Propos recueillis et traduits le 23 mars 2020

* L’association Opera for Peace a été fondée par Julia Lagahuzère, Dmitry Vdovin et Paolo Petrocelli avec Jenna Wolf et Kamal Khan. Elle compte déjà une vingtaine d’Ambassadeurs (chanteuses et chanteurs, chefs, instrumentistes…)

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