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Jean-Louis Grinda : « Comme les méthodes du passé ne fonctionnent plus, nous sommes contraints à l’innovation »

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Interview
5 janvier 2017
Jean-Louis Grinda : « Comme les méthodes du passé ne fonctionnent plus, nous sommes contraints à l’innovation »

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Désormais à la tête des Chorégies d’Orange en plus de l’Opéra de Monte-Carlo, Jean-Louis Grinda dévoile ses projets pour le Théâtre antique.


Vous avez été appelé à prendre plus tôt que prévu la succession de Raymond Duffaut à la tête des Chorégies d’Orange. Allez-vous pouvoir concilier cette nouvelle responsabilité avec la direction de l’Opéra de Monte-Carlo ?

Absolument, et cela ne devrait pas être un problème : la saison monégasque se termine en fait dès la fin du mois d’avril, car avec le Grand Prix, nous n’avons plus accès au casino et au théâtre, ce qui me laisse tous les mois d’été libres pour Orange. Et puis j’ai l’habitude de porter plusieurs casquettes, car je suis également metteur en scène, sans oublier d’autres responsabilités en dehors de l’art lyrique.

Vous avez des affinités spécifiques avec les Chorégies ?

J’y ai fait mes débuts en 1981 – j’avais 21 ans – et, même si je n’y étais plus revenu autrement que comme spectateur depuis 1984, j’ai eu l’impression de n’avoir jamais quitté ce lieu magique lorsque j’ai été nommé directeur des Chorégies en décembre 2015. Autant je n’aurais jamais envisagé de présenter ma candidature à la succession de Bernard Foccroulle à Aix-en-Provence, autant je pense que mon profil correspond bien à l’esprit d’Orange.

Lorsqu’on se retrouve à la tête d’un festival comme Orange, peut-on vraiment y affirmer des choix personnels, ou est-on condamné à reprendre éternellement un petit nombre de titres « populaires » ?

Je vais bien sûr essayer de changer les choses. Je ne prétends pas tout bouleverser, mais il y a aura du nouveau. Je pense surtout que, comme les méthodes du passé ne fonctionnent plus, nous sommes contraints à l’innovation. En fait, la question ne se pose même pas : nous devons faire autrement, puisque ce qui s’est fait jusqu’à aujourd’hui ne marche pas. J’aimerais pouvoir vous dire : on joue Aida, Carmen, Faust et tout va bien, mais ce n’est pas le cas. Il est maintenant avéré que ne programmer que des « blockbusters » n’est pas une solution valable en termes de billetterie. Cet été, même avec un titre comme Madame Butterfly, nous sommes très loin d’avoir fait le plein, mais avec La traviata, nous étions proches des 8000 spectateurs par soirée : l’effet Domingo, sans doute.

Est-ce un problème de frilosité du public ?

Soyons clairs : ce qui attire le public à Orange, ce sont avant tout les chanteurs et les chefs d’orchestre, mais il faut quand même renouveler le répertoire car il y a fatalement une certaine lassitude qui s’installe. Même dans le cadre prestigieux du Théâtre antique, peu de gens ont envie d’aller voir leur cinquième Trouvère ou leur sixième Carmen en vingt ans.

Ces dernières années, Boris Godounov et Samson et Dalila, initialement prévus, ont été annulés. S’agit-il d’œuvres que vous programmerez ?

Pour Boris, qui devait être coproduit avec le festival de Savonlinna, je sais que Raymond Duffaut y a renoncé pour des raisons économiques ; pour Samson [annoncé avec Roberto Alagna et Marie-Nicole Lemieux, finalement remplacé par Le Trouvère], je ne connais pas la raison. Mais ce sont en effet des titres qui, de mon point de vue, auraient tout à fait leur place à Orange.

Jusqu’où pensez-vous pouvoir élargir le répertoire des Chorégies ?

Si on cherche dans les œuvres du XXe siècle, il n’y en a pas tant que ça qui sont adaptées au lieu. Je vois assez mal Dialogues des carmélites au Théâtre antique. Les Soldats de Zimmermann, ça ferait un événement exceptionnel, mais à part ça… Ce n’est pas seulement une question de masse chorale, mais de style musical : le lieu se prête mal aux opéras plus dialogués. De Richard Strauss, Orange a programmé Elektra et Salomé, il y a déjà pas mal d’années, et ce sont des opéras sans chœur, mais en revanche je ne vois pas du tout Le Chevalier à la rose aux Chorégies.

Orange programme en temps normal deux spectacles à raison de deux représentations chacun. Pourrait-on modifier cet équilibre ?

Dans l’absolu, j’avoue que j’aimais bien le concept de soirée unique, comme cela s’est pratiqué jusque dans les années 1980-1990. Cela donnait à chaque spectacle un caractère unique, un côté « one shot » : on donnait une seule représentation, et c’était fini. Orange s’est mis à proposer deux représentations parce qu’il était devenu impossible de satisfaire la demande, parce que l’on refusait du monde. A présent, nous sommes dans une situation inverse, mais pas non plus au point de revenir à une seule représentation. Le coût général des spectacles a tellement augmenté qu’on aurait du mal à revenir en arrière. Economiquement, ce n’est pas comme cela qu’on remonterait la pente. Donc pour le moment, ce régime n’est pas remis en question.

Et si la municipalité vous permettait d’utiliser le théâtre plus longtemps ?

Le Théâtre antique n’est pas utilisé que par les Chorégies. Il est mis à notre disposition pendant un mois et demi, mais il faut compter le temps d’installation des décors, qui sont très lourds. En termes de planning, si nous devions programmer un troisième spectacle, cela prendrait une vingtaine de jours. Par ailleurs, passé le début du mois d’août, nous avons beaucoup de mal à faire venir les orchestres, car ils sont en vacances ou prévoient déjà leur rentrée. A Vérone, c’est très différent, parce qu’ils fonctionnent avec leur propre orchestre.

Qu’en est-il de la mise en scène ?

Avec un temps de répétition limité, nous n’avons pas le temps de réaliser le travail poussé qu’exigent certains metteurs en scène. Nous préférons collaborer avec des professionnels qui maîtrisent les contraintes propres au lieu et qui savent monter un spectacle efficace en peu de temps. Je souhaite renouveler l’équipe de metteurs en scène auxquels Orange fait appel, non parce que je n’aime pas ce qu’ils font, mais parce que je pense qu’il est temps, là aussi, de changer un peu la donne.

Quelques noms ?

En 2018, je mettrai moi-même en scène un opéra qui n’a jamais été donné au Théâtre antique mais qui y a toute sa place : Mefistofele d’Arrigo Boito, la seule adaptation lyrique qui inclut les deux parties du Faust de Goethe, et qui est une superbe série de tableaux. Ce n’est plus un secret, donc je peux en parler. Par ailleurs, pami les metteurs en scène que j’apprécie, je peux citer Francesco Negrin, Davide Livermore dont j’aime beaucoup le travail, Emilio Sagi ou Kasper Holten.

Envisageriez-vous de faire venir La Fura dels Baus, qui a réalisé en plein air certains spectacles mémorables ?

Ce ne serait pas pour me déplaire, mais ils font appel à une technologie très lourde, donc je crains que ce soit difficile.

Vous comptez donc uniquement sur les chanteurs et sur les nouveaux titres pour attirer plus de public ?

En réalité, la seule chose qui pourra remédier au problème financier des Chorégies, c’est le lien de confiance entre l’institution et son public. C’est ce lien que nous allons nous efforcer de cultiver, de développer, le but étant que les gens en viennent à se dire : « Si on donne tel spectacle à Orange, ça doit être bien ».

En attendant de découvrir la saison 2018, pour laquelle vous serez seul maître à bord, quelle est votre part de responsabilité dans la saison 2017 ?

Raymond Duffaut avait programmé Rigoletto et Aida, j’ai ajouté un récital lyrique, un concert symphonique avec projection et un cinéconcert. Bryn Terfel viendra présenter son programme « Bad Boys » : avec lui, on a l’impression de voir chanter Orson Welles. Et Mikko Franck a tenu à diriger l’orchestre quand il a su que Bryn Terfel allait venir.

La projection d’images sur le mur du Théâtre antique, c’est ce qui a été fait ces dernières années avec les dessins de Philippe Druillet pour accompagner Carmina Burana et le Requiem de Verdi. Vous vous inscrivez dans cette continuité ?

Druillet a son public captif, constitué d’amateurs de bande dessinée. Ce que je propose l’été prochain est un peu différent. J’ai choisi de donner Les Planètes, de Holst, parce que c’est une œuvre grand public, et ce qui m’amuse, c’est la confrontation entre le mur d’il y a deux mille ans et la technologie du XXe siècle, avec les images de la NASA qui seront projetées pendant le concert. Quant au cinéconcert, ça n’avait encore jamais été fait à Orange : cet été, ce sera Le Fantôme de l’opéra, un chef-d’œuvre du cinéma muet, avec Jean-François Zygel qui improvisera au piano. Pour la suite, on pourra envisager Alexandre Nevski d’Eisenstein avec la musique de Prokofiev, ou Métropolis de Fritz Lang. De toute façon, les places pour le cinéconcert ne se vendent pas au même moment que pour les représentations d’opéra : les gens se décideront durant les quinze derniers jours, mais ce n’est pas vraiment un souci.

A Monte-Carlo, vous vous heurtez à moins de contraintes ?

Les seuls problèmes que j’aurais pu avoir à Monte-Carlo, ç’aurait été de rencontrer un public dont les attentes ne correspondent pas à mes goûts de programmation. J’ai pu programmer des œuvres du XXe siècle, Lady Macbeth de Mtsensk, des Janáček, et le public a suivi, grâce au lien de confiance qui s’était établi.

Pourtant, cette année, toutes les œuvres programmées datent du XIXe siècle et il s’agit pour les trois quarts d’opéras italiens.

C’est purement conjoncturel, ça s’est trouvé comme ça. Mais l’an dernier, il y avait Le Joueur de Prokofiev, et cette saison, Tannhäuser en français est quand même une vraie rareté. Presque aussi rare, nous aurons l’an prochain Risurrezione, d’Alfano ; c’est un beau projet de coproduction que j’ai avec le festival de Wexford.

Et le baroque ? Par ses dimensions, la salle Garnier s’y prêterait bien.

Nous avons donné le spectacle Duello amoroso, et nous avons aussi monté des Haendel, comme Jules César. Et maintenant, avec les Musiciens du Prince, cet ensemble baroque monégasque qui vient d’être créé, il y aura chaque année un opéra baroque.

Vous aimez la difficulté ?

Tout comme il y a des hommes qui adorent épouser des emmerdeuses (je précise que ma femme ne se situe pas dans cette catégorie), il y en a qui aiment la difficulté. Les contraintes ne me font pas peur. Et puis, tout dépend de la façon dont on les affronte…

Propos recueillis le 7 octobre 2016

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