Bonjour Maître. Vous voici de retour à Marseille, où après La Donna del Lago et Armida vous allez diriger Les Huguenots. Comment êtes-vous devenu chef d’orchestre ?
Parce que je suis extrêmement sociable. Enfant, j’ai étudié le piano et à seize ans j’ai été le plus jeune diplômé du Conservatoire de Madrid. La suite s’annonçait d’elle-même : j’allais devenir pianiste de concert. J’ai donc commencé à me former auprès de maîtres eux-mêmes élèves de Claudio Arrau ou Radu Lupu pour préparer des concours internationaux. Mais alors que certains ont besoin de la solitude pour approfondir leur talent, à moi elle me pesait terriblement, et plus elle me pesait moins j’avais de plaisir à faire de la musique. Cet apprentissage qui me coupait constamment, durablement, des autres m’est devenu si pénible qu’à dix-neuf ans j’ai décidé d’abandonner ce projet. Je me suis alors dédié à la musique de chambre et aussitôt le plaisir est revenu. Duos, trios, quatuors, plus le groupe était nombreux et plus cela me plaisait. Et puis il y a eu le quintette de Brahms où le pianiste est en quelque sorte le chef de l’ensemble. Cela m’a tellement plu, participer à organiser la relation entre personnes faisant de la musique ensemble, que je me suis lancé dans l’étude de la direction d’orchestre. Je me suis formé à Sienne à l’Accademia Chigiana auprès de Gianluigi Gelmetti, puis j’ai été assistant de Gabriele Ferro à Naples, à Palerme et à Madrid et d’ Alberto Zedda dont j’ai été l’adjoint au Centre de Perfectionnement Placido Domingo à Valence (Espagne). J’ai eu la chance en 2009 de nouer une relation étroite avec Lorin Maazel, tant à Valence qu’à Munich, dont l’immense maîtrise technique m’a profondément enrichi et dont je tire toujours profit aujourd’hui.
A Marseille, vous avez dirigé deux opéras de Rossini dont vous êtes considéré comme un spécialiste. D’où vous vient cette réputation ?
Probablement de ma fréquentation assidue du répertoire de ce compositeur, que j’ai eu la chance d’aborder sous l’influence de celui qui le connaissait le mieux, le regretté maestro Alberto Zedda. J’ai été son assistant de 2004 à 2009 et il m’a véritablement guidé pour connaître Rossini et le comprendre en profondeur.
Vous allez faire vos débuts dans Les Huguenots, cette fresque de Meyerbeer. Comment abordez-vous ce « grand opéra » ?
Avec fierté et reconnaissance. Fierté que l’on m’ait proposé, à moi qui ne suis pas Français, de participer à l’évènement que constitue ce retour sur la scène marseillaise, après plus de soixante ans, de cet opéra qui fut longtemps un monument du répertoire. Reconnaissance parce que Maurice Xiberras a compris mon désir de ne pas être prisonnier d’un répertoire. On l’oublie souvent mais Alberto Zedda n’est devenu le rossinien émérite dont la postérité va se souvenir que vers la cinquantaine : durant plus de trente ans il a dirigé tous les répertoires ! Je partage avec lui cette curiosité, ce désir d’ouverture, d’exploration, de découverte ! Je vais vous faire une confidence : savez-vous pourquoi je ne dirige pas de musique baroque ? Parce qu’on ne me le propose pas ! Et Dieu sait pourtant qu’il me plairait de diriger Giulio Cesare par exemple, ou Les Indes Galantes !…Je suis vraiment content qu’en France on me propose autre chose que Rossini, et je considère comme un honneur d’être invité à diriger Les dialogues des Carmélites à Massy. Entendons-nous bien : j’adore Rossini, mais l’opéra ne finit pas avec lui. Pourquoi renoncerais-je à ce qui l’a précédé et à ce qu’il a entraîné, dans son sillage ou contre lui ? De toute façon la musique est un univers d’interactions et c’est cette vitalité organique qui me motive et me passionne. Je me réjouis déjà de diriger au festival de Turku un concert avec Lise Davidsen en soliste dans un programme Verdi, Beethoven, Puccini, Kalman et Geronimo Gimenez, un compositeur de zarzuelas, un genre musical encore trop méconnu en dehors de l’Espagne. Ce programme me ressemble : je veux être éclectique !
Pour revenir à Meyerbeer, comment l’abordez-vous ?
Comme un des contemporains de Rossini qui l’a le mieux compris. On sait que l’audition de Tancredi constitua pour Meyerbeer une révélation telle que dès lors il considéra Rossini comme un maître – alors qu’il était son aîné – et lui voua une admiration qui ne se démentit jamais. Il était du petit nombre des élus qui assistèrent à la création de la Petite Messe solennelle. J’espère rendre évident l’intérêt de cette musique qui s’est nourrie de ce qui l’a précédée, n’ignore pas ce qui lui coexiste, mais sera à son tour un aliment pour des musiciens contemporains ou successifs, Wagner pour ne pas le nommer qui s’inspirera beaucoup de l’orchestration de Meyerbeer ! Il y a en effet chez celui-ci une modernité de principe : même quand il écrit dans l’esprit de son temps il est personnel dans sa recherche de couleurs et de sonorités, et vous savez qu’il se tenait informé au plus près de l’évolution de la facture des instruments. Cela vous semblera peut-être incongru, mais j’éprouve à diriger sa musique un plaisir proche de celui que me donne Puccini, le compositeur avec lequel je me sens le plus d’affinités sensorielles et sensuelles. Et j’admire l’honnêteté intellectuelle de Meyerbeer, qui en écrivant Les Huguenots s’interdit d’essayer de faire un autre GuillaumeTell. Et je vois le lien entre Les Huguenots et Don Carlo, pour moi la bénédiction des poignards conduit à l’autodafé, quand on dit que Verdi est influencé par Wagner, je crois qu’on se trompe : il est inspiré par Meyerbeer. Comme Meyerbeer est inspiré par Rossini : les deux premiers actes des Huguenots tendent au semiserio de Matilde di Shabran.
Aurons-nous droit à une exécution intégrale ?
Vous savez, il existe pour Les Huguenots beaucoup de musique. Jusqu’à aujourd’hui la totalité n’a jamais été enregistrée. En représentation, on donne toute celle que l’on peut donner car comme vous le savez toute représentation est toujours un compromis entre le souhaitable et le possible, l’idéal et les contingences. Ce que je peux dire c’est que l’édition qui sera proposée à Marseille sera la plus complète possible, compte tenu de tous les paramètres d’une production. Avec deux entractes le spectacle devrait durer environ quatre heures quarante-cinq. Et pour les amoureux de Meyerbeer je voudrais leur dire d’espérer : j’espère dans un avenir assez proche pouvoir concrétiser mon projet d’enregistrer une véritable intégrale, je croise les doigts !
Vous parliez de votre plaisir à diriger l’opéra français. Avez-vous des souhaits à formuler ?
Je vais bientôt diriger Samson et Dalila à Tenerife et j’en salive à l’avance, mais un Werther me comblerait ! Je voudrais dire, d’ailleurs, la satisfaction que je tire de l’accueil que j’ai reçu dans la vie lyrique française, depuis mes débuts à Metz en 2013, jusqu’à Marseille aujourd’hui, en passant par Reims, Massy, Strasbourg, et le Théâtre des Champs Elysées. Je me sens honoré d’être invité à diriger des œuvres lyriques en français dans l’aire francophone et j’espère me montrer assez exigeant envers moi-même pour les servir au mieux !