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Joyeux anniversaire, Giuseppe Verdi !

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Anniversaire
10 octobre 2013

Infos sur l’œuvre

Détails

 

Ce 10 octobre 2013, jour de sa naissance, comme pour Richard Wagner en mai dernier, nous soufflons les deux cent bougies du gâteau d’anniversaire de Giuseppe Verdi en parcourant chronologiquement ses opéras. La compilation par Decca de l’intégralité – ou presque – de son œuvre (voir brève du 18 avril dernier) en offre le plus luxueux des prétextes.

 

 

 

 

Oberto, opéra en deux actes, livret d’Antonio Piazza et Témistocle Solera, créé à la Scala de Milan le 17 novembre 1839

Tous les spécialistes s’accordent à reconnaître peu de qualités à Oberto. C’est bien simple, n’étaient les chefs d’œuvre dont on se plait à deviner entre les lignes de ce premier opéra les prémices – le trio du 1er acte, le quatuor du second –, on n’en parlerait plus. Pourtant, il émane de cet ouvrage une énergie à laquelle il est difficile de résister. Encore faut-il des interprètes capables d’en exalter la vigueur. Dans la version dirigée (trop) sagement par Sir Neville Marriner en 1997, le ténor Stuart Neill, douze ans avant que son Don Carlo scaligère ne soit crucifié par le public et la critique, a de l’ardeur à revendre et un contre-ut à convertir les incrédules. Maria Guleghina s’empare de la première des Leonora verdienne telle une Furie d’un malfaiteur. Violeta Urmana se donne un mal de chien pour sortir Cuniza des ornières de la convention. Pendant ce temps, Samuel Ramey trace d’un chant orné la ligne qui relie Verdi à Rossini.
 
Violeta Urmana (Cuniza), Stuart Neill (Riccardo), Maria Guleghina (Leonora), Samuel Ramey (Oberto), Sona Ghazarian (Imelda)
London Voices, Academy of St. Martin in the Fields, Sir Neville Marriner (1996)

 

 

 

Un Giorno di regno (parfois rebaptisé Il Finto Stanislao), melodrama giocoso en deux actes, livret de Felice Romani, créé à la Scala de Milan, le 5 septembre 1840

Allez composer un opéra buffa quand vous venez d’enterrer, en l’espace de quelques mois, vos deux enfants et votre épouse. Si Verdi n’a pas hésité à tricher sur les dates pour édifier sa légende (il fallut deux ans et non deux mois comme il l’a écrit pour que sa famille soit entièrement décimée par la maladie), il n’en demeure pas moins qu’Un Giorno di regno se solde par un fiasco. Comme prophétisée par son titre, l’œuvre fut retirée de l’affiche après une seule représentation. Il faudra attendre le dernier de ses opéras, Falstaff, pour que le compositeur prenne sa revanche sur le genre comique. A l’écoute de l’enregistrement par Lamberto Gardelli de ce Giorno di regno, on comprend la réaction du public. Peut-être faudrait-il une direction plus fringante pour insuffler à l’œuvre l’humour qui lui fait défaut ? Jessye Norman n’a jamais été une rigolarde. Sa Giulietta se contemple dans le miroir d’un chant qui dans pareil contexte parait déplacé. L’exacte antinomie de Fiorenza Cossotto qui en Marchesa del Poggio fait preuve d’une fantaisie insoupçonnée. Contrairement à son homologue rossinien, le Belfiore verdien est un baryton, interprété ici avec une noble virtuosité par Ingmar Wixell. S’il consentait à davantage de légèreté, José Carreras serait un bourreau des cœurs.

Fiorenza Cossotto (Marchesa del Poggio), Jessye Norman (Giulietta di Kelbar), José Carreras (Edoardo di Sanval), Ingvar Wixell (Cavaliere di Belfiore), Vincenzo Sardinero (Gasparo Antonio La Rocca), Wladimiro Ganzarolli (Barone di Kelbar), William Elvin (Delmonte), Riccardo Cassinelli (Conte Ivrea)
The Ambrosian Singers, Royal Philharmonic Orchestra, Lamberto Gardelli (1973)
 

 

Nabucco, opéra en quatre parties, livret de Témistocle Solera, créé à la Scala de Milan le 9 mars 1842
 
Coup de tonnerre dans le paysage lyrique, Nabucco consacre le nom de Verdi. Aujourd’hui encore, cet opéra biblique figure parmi les plus populaires du répertoire. Un seul air suffit à son succès, « Va pensiero », le chœur des esclaves, métaphore du peuple italien en proie au joug autrichien, devenu depuis hymne de tout peuple opprimé. Si fervente soit cette prière en forme de berceuse, elle est l’arbre qui cache la forêt. Nabucco ne saurait se résumer à ce seul numéro tant il contient de fulgurances appelées à modifier le cours de l’histoire lyrique. A commencer par le rôle-titre qui inaugure la longue liste des barytons verdiens, une nouvelle catégorie vocale forgée pour l’occasion par Verdi. Dans la version dirigée par Lamberto Gardelli, Tito Gobbi propose du Roi de Babylone un portrait expressionniste quand d’autres chanteurs préfèreront insister sur sa filiation belcantiste. A raison : Donizetti, après tout, n’est pas si loin. Une autre originalité de Nabucco est de reléguer le ténor au second plan. Bruno Prevedi ne parvient pas à sortir Ismaele de l’ombre à laquelle Verdi l’a condamné. En bon prêtre, le Zaccaria de Carlo Cava remplit son office. Reste le cas d’Elena Souliotis, promue Abigaille par la seule volonté d’une voix qui avait pris Callas pour modèle. Certains crieront à l’imposture tant son chant contient d’artifices. Mais n’est-ce pas l’imposture, précisément, qui caractérise cette fille d’esclave autoproclamée reine ?
 
Tito Gobbi (Nabucco), Elena Souliotis (Abigaille), Dora Carral (Fenena), Bruno Prevedi (Ismaele), Carlo Cava (Zaccaria), Giovanni Foiani (Gran Sacerdote), Walter Krautler (Abdallo), Anna D’Auria (Anna)
Konzertvereinigung Wiener Staatsopernchor, Wiener Staatsopernorchester, Lamberto Gardelli (1965)

 

 

 

I Lombardi alla prima crociata, opéra en quatre actes, livret de Témistocle Solera, créé à la Scala de Milan le 11 février 1843

Quatrième opéra commandité par l’impresario Merelli, I Lombardi ne veut rien tant qu’exploiter le filon patriotique de Nabucco. L’identification entre les croisés partis libérer Jérusalem et le peuple italien coule de source. Les nombreux chœurs, 24 sur les 37 numéros que compte la partition, cuirassent un ouvrage que le compositeur allemand Otto Nicolai décrivait comme une « interminable suite de fureurs, d’effusion de sang, d’injures, de coups et de tueries ». C’est faire peu de cas de pages moins agitées qui offrent à la partition sa véritable respiration : la prière de Giselda « Oh Madre, dai cielo soccorri al mio pianto », le trio conclusif du 3e acte soutenu par un violon en état de grâce ou encore la cavatine d’Oronte, « La mia letizia infondere ». Que le titulaire de ce rôle se nomme Luciano Pavarotti, comme en 1997 dans la version dirigée massivement par James Levine, et c’est tout l’opéra qui s’embrase. Le ténor jette ici les ultimes feux d’un chant solaire mais ce soleil, s’il est couchant, apparaît plus brûlant que bien d’autres à leur zénith. Evidemment, tant de lumière renvoie dans l’ombre l’autre ténor, Richard Leech. Arvino aurait voulu davantage d’héroïsme. En digne fille de ce père, Gilselda, interprétée par June Anderson, se montre plus vierge que guerrière.

Richard Leech (Arvino), Samuel Ramey (Pagano), Patricia Racette (Viclina), June Anderson (Giselda), Ildebrando d’Arcangelo (Pirro), Luciano Pavarotti (Oronte), Jane Shaulis (Sofia)
Metropolitan Opera Chorus, Metropolitan Opera Orchestra, James Levine (1996)
 

 

Ernani, opéra en quatre parties, livret de Francesco Maria Piave, créé à la Fenice, le 9 mars 1844

En faisant Ernani ténor plutôt que contralto, contre l’avis de la direction de la Fenice, Giuseppe Verdi tourne résolument le dos à Bellini et à Rossini. Son cinquième opéra dessine la carte des typologies vocales qui régiront l’opéra romantique : un ténor dont les amours avec la soprano sont contrariés par le baryton, auquel s’ajoute ici la basse, véritable méchant de l’histoire. Si Ernani comporte encore quelques chœurs martiaux, le compositeur se préoccupe d’abord des émotions qui animent ses personnages, sculptés dans le marbre des passions, tout d’un bloc. Autant dire qu’il faut des interprètes à la mesure de l’enjeu. Sur le papier, difficile de faire mieux que les noms alignés par Richard Bonynge en 1987 : Sutherland, Pavarotti, Nucci, Burchuladze. Las, l’écoute déboulonne les statues, les unes après les autres. Malgré un aigu victorieux, le Carlo nasal de Leo Nucci a l’air d’un vulgaire conspirateur. L’Elvira de Joan Sutherland accuse son âge. Paata Burchuladze charbonne Silva. Même Luciano Pavarotti, fatigué, curieusement privé de cet éclat qui caractérise son chant, semble la caricature de lui-même. Découragé, Richard Bonynge pousse les notes.

Leo Nucci (Don Carlo), Luciano Pavarotti (Ernani), Joan Sutherland (Elvira), Richard Morton (Don Riccardo), Linda McLeod (Giovanna), Alastair Miles (Jago), Paata Burchuladze (Don Ruy Gomez de Silva)
Chorus of the Welsh National Opera, Orchestra of the Welsh National Opera, Richard Bonynge (1987)
 

 

I Due Foscari, opéra en trois actes, livret de Francesco Maria Piave, créé au Teatro Argentina à Rome, le 3 novembre 1844

Tiré d’une pièce dont Byron, l’auteur, disait qu’il ne l’avait « pas écrite avec la plus petite intention de la porter en scène », le livret d’I Due Foscari pèse de toute sa vacuité théâtrale sur un opéra qui gagne pourtant à être connu. L’emploi de thèmes associés aux protagonistes, dont le fameux dessin mélancolique de clarinette qui accompagne le rôle de Jacopo, la structure de la partition, découpée en scènes davantage qu’en numéros, l’inspiration mélodique, toujours généreuse, la concision dramatique font de ce sixième opéra un joyau romantique. La tristesse qui suinte le long de ces pages demande un chef d’orchestre convaincu pour en exalter les teintes funestes. Lamberto Gardelli ne semble pas croire un seul instant au drame qu’il dirige. Piero Cappuccilli ne parait pas davantage concerné par Francesco, le premier des deux Foscari, qui dispose pourtant au dernier acte de la scène la plus poignante de l’opéra. Séduisant à prime abord, José Carreras se laisse rapidement déborder par la bravoure de Jacopo. Katia Ricciarelli, enfin, fait figure d’oie blanche dans un rôle qui fut écrit à l’intention de Marianna Barbieri-Nini, créatrice trois ans plus tard de Lady Macbeth. C’est dire si l’on est loin du compte.

José Carreras (Jacopo), Katia Ricciarelli (Lucrezia), Piero Cappuccilli (Doge di Venezia), Samuel Ramey (Loredano), Vincenzo Bello (Barbarigo), Elizabeth Connell (Pisana)
ORF Chorus, ORF Symphony Orchestra, Lamberto Gardelli (1976)
 

 

Giovanna d’Arco, opéra en un prologue et trois actes, livret de Témistocle Solera, créé à la Scala de Milan le 15 février 1845

Quelle drôle d’idée de faire de Jeanne d’Arc un opéra ! L’histoire de la Pucelle d’Orléans, amoureuse de Charles VII et dénoncée aux anglais par son propre père, fera sourire plus d’un français chauffé dès son plus jeune âge au bûcher de Rouen. Si on fait abstraction de toute référence historique, cet opéra a pourtant plus d’un atout dans sa manche, à commencer par son héroïne qui, avec Abigaille, est le rôle de soprano le plus abouti composé jusque-là par Verdi. Encore faut-il une chanteuse capable d’en restituer tous les aspects. Montserrat Caballe, aux débuts des années 70, porte aussi bien la robe que l’épée. La pureté de l’aigu, la richesse des inflexions, la palette de couleurs, un souffle inépuisable répondent aux exigences élégiaques de la partition tandis que la vaillance et la souplesse règlent leur compte aux cabalettes vengeresses. Si on ajoute à cette interprétation exceptionnelle, le Carlo VII sanguin de Plácido Domingo, le noble Giacomo de Sherrill Milnes et la direction épique de James Levine, on comprend pourquoi les anglais furent boutés hors de France.

Montserrat Caballé (Giovanna d’Arco), Plácido Domingo (Carlo VII), Sherrill Milnes (Giacomo), Keith Erwen (Delil), Robert Lloyd (Talbot)
Ambrosian Opera Chorus, London Symphony Orchestra, James Levine (1972)
 

 

Alzira, opéra en un prologue et deux actes, livret de Salvatore Cammarano, créé au Théâtre San Carlo de Naples, le 12 août 1845

Un des opéras de Verdi le plus court (moins d’une heure et demie), le moins souvent représenté et un de ceux qui gagnent à être connus, ne serait-ce que pour son finale du premier acte, vaste concertato où les six voix des protagonistes s’unissent deux par deux. Composé trop vite (en 20 jours d’après certains) sur un (mauvais) livret de Salvatore Cammarano (1801-1852, avec qui Verdi collabora également pour La Battaglia di Legnano, Luisa Miller et Il Trovatore), Alzira bénéficie pourtant d’une orchestration raffinée à laquelle Fabio Luisi rend justice dans la dernière intégrale discographique de l’opéra existant à ce jour. Ramon Vargas est le meilleur des Zamoro et Marina Mescheriakova répond à toutes les exigences vocales du rôle-titre. S’il faut un bémol à cette version, on le placera sur le nom de Paolo Gavanelli. Son baryton trémulant manque définitivement de relief. A noter pour l’anecdote, la présence de Tostern Kerl dans le rôle minuscule d’Otumbo.

Paolo Gavanelli (Gusmano), Marina Mescheriakova (Alzira), Ramón Vargas (Zamoro), Jovo Reljin (Ovando), Slobodan Stankovic (Alvaro), Wolfgang Barta (Ataliba), Jana Iliev (Zuma), Torstern Kerl (Otumbo)
Chœur Du Grand Théâtre de Genève, Orchestre de la Suisse Romande, Fabio Luisi (1999)
 

 

Attila, opéra en un prologue et trois actes, livret de Témistocle Solera, créé à la Fenice de Venise, le 17 mars 1846

Il serait dommage de réduire Attila à « Resti l’Italia a me », la déclaration patriotique d’un de ses personnages – Ezio – qui valut à l’œuvre son succès dans une Italie assoiffée d’unité. Le neuvième opéra de Verdi brille par de multiples qualités qui lui valent encore aujourd’hui d’être régulièrement à l’affiche, à commencer par un des plus beaux rôles de basse du répertoire en général, verdien en particulier. Ruggero Raimondi est-il le mieux placé pour restituer au chef des Huns l’envergure que lui confère la partition ? La voix, aux débuts des années 70, est à son printemps. Pourtant, on peut aimer un Attila plus musculeux (il faut attendre « Mentre gonfiarsi l’anima » pour que le personnage prenne un semblant d’épaisseur). Tout comme il est permis de préférer un Ezio plus affirmé (Sherill Milnes, curieusement, passe assez inaperçu), une Odabella moins indigeste (Christina Deutekom dont il n’y a pas grand-chose ici à sauver) et une direction plus marquée que celle de Lamberto Gardelli. Impossible en revanche de faire l’impasse sur Carlo Bergonzi, exemplaire Foresto, même si le rôle n’en mérite pas tant. Dans cet opéra en effet, le ténor, s’il a droit à un air (ce que Verdi refuse à Ismaël dans Nabucco), joue plus souvent qu’à son tour les utilités.

Christina Deutekom (Odabella), Carlo Bergonzi (Foresto), Sherrill Milnes (Ezio), Ruggero Raimondi (Attila), Riccardo Cassinelli (Uldino), Jules Bastin (Leone)
The Ambrosian Singers, Finchley Children’s Music Group, Royal Philharmonic Orchestra, Lamberto Gardelli (1972)

 

 

Macbeth, opera en quatre actes, livret de Francesco Maria Piave, créé au Teatro della Pergola de Florence, le 14 mars 1847, version révisée créée au Théâtre Lyrique, à Paris, le 19 avril 1865 en français

La première rencontre entre Verdi et Shakespeare donne lieu à un véritable chef d’œuvre à condition d’accepter ce que Macbeth – l’opéra – comporte d’expérimental, à savoir un mélange de style, finalement assez shakespearien, mais qui peut parfois déconcerter. Quel rapport entre la scène du somnambulisme, si nouvelle dans son écriture et dans sa structure, le chœur prosaïque des sorcières ou « pietà, rispetto », le cantabile de Macbeth, un des plus beaux airs pour baryton composés par Verdi. La révision de 1865, seule en vigueur aujourd’hui, ne fait qu’accentuer le caractère hétéroclite de l’ouvrage. Mais une fois acceptée cette disparité, que d’émotions pour peu que les interprètes se révèlent aptes à surmonter les multiples difficultés posées par la partition. En 1976, la direction inspirée de Claudio Abbado transcende le couple diabolique formé par Piero Cappucilli et Shirlet Verrett. Lui s’appropriant chaque inflexion du discours verdien jusqu’à proposer une interprétation de Macbeth, parmi toutes celles possibles, proche de l’idéal. Elle, peut-être moins prolixe, mais tout aussi redoutable. Nicolai Ghiaurov (Banco) et Plácido Domingo (Macduff) achèvent de poser cette version en référence.

Shirley Verrett (Lady Macbeth), Nicolai Ghiaurov (Banco), Piero Cappuccilli (Macbeth), Plácido Domingo (Macduff), Antonio Savastano (Malcolm), Stefania Malagú (dama di lady Macbeth)
Orchestra Coro del Teatro alla Scala di Milano, Claudio Abbado (1976)

 

 

I Masnadieri, opéra en quatre actes, livret d’Andrea Maffei, créé à Londres, Her Majesty’s Theater, le 22 juillet 1847

A mauvais livret, mauvais opéra ? On aurait tort de faire porter l’entière responsabilité des faiblesses d’I Masnadieri sur une intrigue, inspirée de Schiller, mal ficelée par Andrea Maffei. L’œuvre souffre d’une genèse complexe. Surtout, après les fulgurances visionnaires de Macbeth, elle apparaît trop conformiste. Se vérifie ici la règle verdienne du balancier qui veut que l’écriture marque systématiquement un recul en termes de modernité dès qu’elle a dépassé la fois d’avant les limites de la convention. Avec Amalia, rôle écrit à l’intention de Jenny Lind, le « rossignol suédois », on tient pourtant le soprano le plus virtuose de tout le répertoire verdien. Seule une cantatrice exceptionnelle peut lui rendre justice. Lorsque Joan Sutherland l’enregistre en 1982, la technique fait encore merveille mais il est tout de même un peu tard. La voix parait usée et de nombreux tics défigurent le chant, une tendance à mâchonner chaque note n’étant pas le moindre défaut. On avoue une certaine faiblesse pour Franco Bonisolli dont l’interprétation vigoureuse de Carlo tend mieux le discours que la direction philologique de Richard Bonynge. Matteo Manuguerra sait lui aussi capter l’attention et Samuel Ramey se montre le plus noble des pères.

Franco Bonisolli (Carlo), Joan Sutherland (Amalia), Samuel Ramey (Massimiliano), Matteo Manuguerra (Francesco), Arthur Davies (Arminio), Simone Alaimo (Moser), John Harris (Rolla)
Chorus of the Welsh National Opera, Orchestra of the Welsh National Opera, Richard Bonynge (1982)

 

 

Jérusalem, opéra en quatre actes, livret d’Alphonse Royer et de Gustave Vaëz, créé à l’Opéra de Paris, le 26 novembre 1847

Comment, quand on est un compositeur ambitieux au milieu du XIXe siècle, refuser la possibilité d’être représenté à Paris, capitale lyrique universelle de l’époque ? Faute de temps, Verdi reprend la partition d’I Lombardi qu’il adapte sur un livret en français à l’intrigue simplifiée, mais augmenté de l’inévitable ballet qu’impose le goût local. L’enregistrement réalisé en 1998 par Fabio Luisi permet de comparer cette nouvelle mouture à la version originelle et l’on ne peut que se ranger à l’avis de Marie-Aude Roux quand elle écrit dans le Guide des opéras de Verdi  (Fayard) que Jérusalem « a perdu en force brute et richesse expressive ce qu’elle a gagné en bonnes manières parisiennes ». Les interprètes, réunis pour l’occasion, ne déméritent pas. Sans être exceptionnels, ils répondent aux exigences de l’œuvre, à commencer par une diction acceptable, ce qui n’était pas gagné d’avance compte tenu de leur nationalité.

Marcello Giordani (Gaston), Philippe Rouillon (Comte de Toulouse), Robert Scandiuzzi (Roger), Marina Mescheriakova (Hélène), Daniel Borowsky (Adhémar de Monteil), Simon Edwards (Raymond), Hélène Le Corre (Isaure), Slobodan Srtanković (émir de Ramla)
Chœur Du Grand Théâtre De Genève, L’Orchestre de la Suisse Romande, Fabio Luisi (1998)
 

 

Il Corsaro, Opéra en trois actes, livret de Francesco Maria Piave, créé au Teatro Grande de Trieste, le 25 octobre 1848

Les plus indulgents trouvent beaucoup de circonstances atténuantes à Il Corsaro : sa date de composition, antérieure à Macbeth ; son sujet romantique, exotique mais contemporain, comme un avant-goût de La Traviata (si, si…) ; la présence de deux sopranos, originale quand la logique de l’époque voudrait une soprano et une mezzo-soprano ; certaines pages audacieuses dont la scène de la prison au 3e acte. Disons qu’avec les meilleurs artistes pour avocats, cet opéra des « années de galère » peut tenir la route. Est-ce le cas dans l’enregistrement dirigé en 1975 par Lamberto Gardelli ? Oui si l’on considère Corrado et Gulnara, interprétés par José Carreras et Montserrat Caballé, l’un qui est au corsaire ce que Gérard Philippe est à Julien Sorel, un jeune premier idéal, sensible, tendre, nerveux, séduisant en diable ; l’autre qui aligne les traits virtuoses comme Célimène les mots d’esprit. Non, si l’on s’en tient à la direction sans grand relief de Lamberto Gardelli, au Seid bonhomme de Gian-Piero Mastromei et à la Medora inadaptée de Jessye Norman, égarée dans Verdi comme une déesse grecque dans un roman de Walter Scott.

José Carreras (Corrado), Jessye Norman (Medora), Montserrat Caballé (Gulnara), Cifford Grant (Giovanni), Gian-Piero Mastromei (Seid), John Noble (Selimo)
The Ambrosian Singers, New Philharmonia Orchestra, Lamberto Gardelli (1975)
 

 

La Battaglia di Legnano, opéra en quatre actes, livret de Salvatore Cammarano, créé au Teatro Argentina de Rome, le 27 janvier 1849

Mourir pour la patrie : le sous-titre du 4e acte de La Battaglia di Legnano ne laisse pas de doute. En ses « années de galère », Giuseppe Verdi a fait de l’unité italienne son fonds de commerce. Livret clopinant qui trébuche (à l’image du héros dont un fleuve providentiel vient amortir la chute au 3e acte), mélodies ordinaires, caractères conventionnels, il s’agit d’un de ses opéras les plus faibles, sauf à ce que les artistes capables de nous convaincre de sa valeur ne soient pas encore nés. Pourtant, après Leyla Gencer et Vittorio Gui en 1959 à Florence, Katia Ricciarelli, José Carreras et Matteo Manuguerra, les trois protagonistes de l’histoire, ont plus d’un atout dans leur manche, le dernier surtout qui tire le rôle de Rolando vers le haut (ça tombe bien, l’aigu, souvent sollicité, ne lui pose aucun problème). A la baguette, Lamberto Gardelli essaye de mettre le feu aux poudres.

Nicola Ghiuselev (Federico Barbarossa), Katia Ricciarelli (Lida), José Carreras (Arrigo), Matteo Manuguerra (Rolando), Ann Murray (Imelda), Jonathan Summers (Marcovaldo)
Chor und Symphonieorchester des ORF, Lamberto Gardelli (1977)
 

 

Luisa Miller, opéra en trois actes, livret de Salvatore Cammarano, créé au Teatro San Carlo de Naples, le 8 décembre 1849

Considéré comme un jalon important dans la production verdienne, ne serait-ce que par sa structure et son style semiseria en rupture avec les opéras précédents, Luisa Miller vaut aussi par son héroïne qui, deux ans avant Rigoletto, préfigure Gilda. Les affinités de Montserrat Caballe avec ce rôle dont l’évolution vocale épouse le parcours psychologique, des coloratures belcantistes du 1er acte aux élans dramatiques du 3e, ne sont plus à démontrer. Que son amant, Rodolfo, se nomme Pavarotti et le plaisir monte d’un cran, tant le tenorissimo déploie ici tout le sex-appeal dont il est capable. La fin de l’opéra qui les réunit tous deux en une succession de duos poignants, fait de cet enregistrement un passage obligé, malgré la direction trop alanguie de Peter Maag, malgré des comprimari sans grand relief, exception faite de l’irréprochable Miller de Sherrill Milnes.

Montserrat Caballé (Luisa), Luciano Pavarotti (Rodolfo), Sherrill Milnes (Miller), Bonaldo Giaiotti (Walter), Richard Van Allan (Wurm), Anna Reynolds (Federica), Annette Céline (Laura), Fernando Pavarotti (Contadino)
London Opera Chorus & National Philharmonic Orchestra, Peter Maag (1975)
 

 

Stiffelio, opéra en trois actes, livret de Francesco Maria Piave, créé au Teatro Grande de Trieste, le 16 novembre 1850

A l’écoute de ce Stiffelio ardemment défendu en 1979 par José Carreras, Sylvia Sass, Matteo Manuguerra sous la direction de Lamberto Gardelli, on se demande pourquoi cet opéra n’est pas plus populaire. Parce qu’il faut sans doute des interprètes aussi investis que ceux dont on dispose ici pour mettre en exergue les fulgurances de l’œuvre, à commencer par les remarquables ensembles qui la parsèment. Parce que la position de l’ouvrage dans la chronologie verdienne, juste avant Rigoletto, joue en sa défaveur. Parce qu’enfin, l’argument bancal, avec notamment la position ambiguë de l’héroïne, coupable et innocente à la fois, dessert le propos musical. Dommage. S’il est un opéra de Verdi qui reste aujourd’hui à réhabiliter, c’est assurément celui-ci.

José Carreras (Stiffelio), Sylvia Sass (Lina), Matteo Manuguerra (Stankar), Wladimiro Ganzarolli (Jorg), Ezio Di Cesare (Raffaele), Maria Venuti (Dorotea), Thomas Moser (Federico)
ORF-Symphonie-Orchester Wien, Chor des Österreichischen Rundfunks, Lamberto Gardelli (1979)
 

 

Rigoletto, opéra en trois actes, livret de Francesco Maria Piave, créé à La Fenice de Venise, le 11 mars 1851

Avec Rigoletto, Verdi entre au panthéon des plus grands compositeurs d’opéra de l’histoire, position que les ouvrages à venir ne feront que confirmer. La beauté de cette œuvre dont le livret provient de la pièce de Victor Hugo, Le roi s’amuse, son génie dramatique, sa générosité mélodique, l’originalité de son écriture en font l’un des sommets du répertoire. Il faut, pour en restituer toute la richesse, des interprètes chevronnés, à commencer par un chef capable de trouver la juste pulsation et d’exalter la couleur orchestrale. Bingo avec Carlo Maria Giulini en 1979 à la tête de la Philharmonie de Vienne. Dans les trois rôles principaux, Piero Cappuccilli, Lleana Cotrubas et Plácido Domingo se montrent sous leur meilleur jour mais, au sein d’une discographie foisonnante, on trouvera pour chacun d’entre eux chanteurs mieux adaptés : Rigoletto d’extraction et d’émission plus nobles, Gilda à la technique et au suraigu plus assurés, Duc au langage plus châtié.
 
Piero Cappuccilli (Rigoletto), Ileana Cotrubas (Gilda), Plácido Domingo (Il Duca), Nicolai Ghiaurov (Sparafucile), Elena Obraztsova (Maddalena), Hanna Schwarz (Giovanna), Kurt Moll (Monterone), Luigi De Corato (Marullo), Walter Gullino (Borsa), Dirk Sagemuller (Conte di Ceprano), Olive Fredricks (Contessa di Ceprano), Audrey Michael (Un paggio)
Wiener Philharmoniker, Wiener Staatsopernchor, Carlo Maria Giulini (1979)
 

 

Il Trovatore, opéra en quatre actes, livret de Salvatore Cammarano, créé au Théâtre Appolo de Rome, le 19 janvier 1853

On a coutume de railler les invraisemblances du livret d’Il Trovatore. Force est pourtant de reconnaître qu’elles n’entachent en rien l’efficacité dramatique et musicale d’une œuvre qui apparaît aujourd’hui comme l’archétype de l’opéra romantique. On a coutume aussi de dire qu’il faut les quatre plus grandes voix du monde pour interpréter les quatre rôles principaux. Avec Placido Domingo, Giorgio Zancanaro, Rosalind Plowright et Brigitte Fassbaender, l’enregistrement dirigé par Carlo Maria Giulini en 1983 ne remplit que la moitié du contrat. Si ténor et baryton étaient à l’époque effectivement ce qu’il y avait de mieux chacun dans leur catégorie, on ne peut hélas en dire autant de ces dames. Egarée dans un rôle étranger à son répertoire, Brigitte Fassbaender en fait des tonnes et Rosalind Plowright manque cruellement de la science belcantiste nécessaire pour interpréter Leonora.

Plácido Domingo (Manrico), Rosalind Plowright (Leonora), Brigitte Fassbaender (Azucena), Giorgio Zancanaro (Luna), Evgeny Nesterenko (Ferrando)
Coro e Orchestra dell’Accademia Nazionale di Santa Cecilia, Carlo Maria Giulini (1983)
 

 

La Traviata, opéra en actes, livret de Francesco Maria Piave, créé à La Fenice de Venise, le 6 mars 1853

Chef d’œuvre incontesté, La Traviata, comme tout chef d’œuvre, ne se présente pas en quelques lignes. Il y a tant à dire sur cet opéra qui, tout en semblant obéir aux codes en vigueur, poursuit la révolution entreprise dès Nabucco, selon un jeu de va-et-vient entre modernité et tradition, déjà souligné plus haut. Le choix d’un sujet contemporain, proche par certains aspects de la vie de Verdi, tend à faire de Violetta la première héroïne vériste du répertoire. Vocalement, pas vraiment, le rôle, immense, demande plusieurs voix quand un chanteur n’en a qu’une. Rares sont celles qui parviennent à en traduire toutes les dimensions. Ileana Cotrubas, soprano d’essence lyrique, paraitra inévitablement sous-dimensionnée, mais une fois ses exigences revues à la baisse, on ne pourra qu’être touché par le portrait qu’elle dessine de la dévoyée verdienne, moins courtisane que petite femme perdue, condamnée à mort dès les premières mesures d’une partition que magnifie la direction de Carlos Kleiber. A défaut de Violetta idéale, la présence de Placido Domingo (Alfredo) et Sherrill Milnes (Giorgio Germont), l’un et l’autre facteurs d’équilibre, fait de cette version la référence actuelle.

Ileana Cotrubas (Violetta), Plácido Domingo (Alfredo), Sherrill Milnes (Giorgio Germont), Stefania Malagù (Flora), Helena Jungwirth (Annina), Walter Gullino (Gastone), Giovanni Foiani (Dottore Grenvil), Bruno Grella (Barone Douphol), Alfredo Giacomotti (Marchese d’Obigny)
Bayerischer Staatsopernchor & Bayerisches Staatsorchester, Carlos Kleiber (1976)
 

 

Les Vêpres Siciliennes (I Vespri Siciliani), opéra en cinq actes, livret de Eugène Scribe et de Charles Duveyrier, créé à l’Opéra de Paris, le 13 juin 1855

Les Vêpres Siciliennes ou I Vespri Siciliani ? Le premier assurément. Commandé par l’Opéra de Paris, le vingtième ouvrage lyrique de Verdi, avec ses cinq actes, ses ballets et son arrière-plan historique (la révolte des siciliens contre l’occupation française au XIIIe siècle), appartient sans conteste au genre du grand-opéra français. Traduite en italien l’année même de sa création, l’œuvre s’est malheureusement imposée depuis dans sa version transalpine. Pour preuve, une discographie qui fait un usage quasi-exclusif de la langue de Dante. Riccardo Muti confirme la règle en 1989 à La Scala de Milan. Sa direction, comme toujours héroïque, achève de faire pencher la balance de l’autre côté des Alpes. Le choix de Chris Merritt en Arrigo peut surprendre. Que vient faire un ténor rossinien dans pareil contexte, si ce n’est rappeler tout ce que Les Vêpres Siciliennes (et non I Vespri Siciliani) doivent à Guillaume Tell. C’est pourtant Cheryl Studer qui semble ici la plus déplacée. Promue soprano à tout chanter au début des années 1980 (elle enregistra même Semiramide), elle se montre à la peine, notamment dans les coloratures du fameux boléro. Mieux que le Procida bourgeois de Ferruccio Furlanetto, le Monforte au mordant incomparable de Giorgio Zancanaro domine la distribution.

Cheryl Studer (Elena), Chris Merritt (Arrigo), Giorgio Zancanaro (Monforte), Ferruccio Furlanetto (Procida), Gloria Banditelli (Ninetta), Ernesto Gavazzi (Danieli), Enzo Capuano (Bethune), Francesco Musinu (Vaudemont), Paolo Barbacini (Tebaldo), Marco Chingari (Roberto) & Ferrero Poggi (Manfredo)
Orchestra e Coro del Teatro alla Scala di Milano, Riccardo Muti (1989)
 

 

Simon Boccanegra, opéra en un prologue et trois actes, livret de Francesco Maria Piave, créé à La Fenice de Venise, le 12 mars 1857 (version définitive, livret complété par Arrigo Boito, créée à Milan le 12 mars 1881)

De Venise en 1857 à Milan en 1881, un monde sépare les deux versions de Simon Boccanegra. D’un opéra maladroit, encore empreint de romantisme sauvage dans l’esprit du Trouvère, Giuseppe Verdi, avec le concours d’Arrigo Boito, va faire vingt-cinq ans après l’un de ses plus grands chefs-d’œuvre. Cette version révisée a définitivement supplanté celle d’origine. En 1977, à la tête des forces de La Scala, Claudio Abbado en exalte comme aucun autre les raffinements. L’équipe réunie autour de lui peut ne pas faire l’unanimité. Piero Cappucilli est un Simon rattrapé par son passé de corsaire. Mirella Freni n’a jamais été un véritable soprano verdien, pas plus ici qu’ailleurs. En Gabriele Adorno, le chant de José Carreras paraît souvent forcé. Toujours est-il qu’on n’a jamais fait mieux, ni avant, ni après.

Piero Cappuccilli (Boccanegra), Mirella Freni (Amelia/Maria), José van Dam (Paolo), Nicolai Ghiaurov (Jacopo Fiesco), José Carreras (Gabriele)
Orchestra e Coro del Teatro alla Scala di Milano, Claudio Abbado (1977)
 

 

Aroldo, opéra en quatre actes, livret de Francesco Maria Piave, créé au Teatro Nuevo de Rimini, le 16 août 1857

Bien que clairement démarqué de Stiffelio, dont il est une nouvelle mouture, Aroldo est encore moins souvent représenté. Pourquoi ? Parce que la transmutation d’un pasteur en chevalier croisé rend invraisemblables les enjeux dramatiques de l’ouvrage. Les scrupules d’un homme d’église, sur lesquels repose l’intrigue de Stiffelio, ne peuvent s’appliquer à un valeureux guerrier de retour des croisades. Il faut tout l’engagement de Neil Shicoff pour faire passer la pilule. A son exemple, Carol Vaness, Anthony Michaels-Moore et Roberto Scandiuzzi essaient tant bien que mal de rendre crédible leur personnage. De tous, Fabio Luisi est celui qui parait le moins convaincu par la valeur de l’ouvrage qu’il dirige – et donc le moins convaincant.

Neil Shicoff (Aroldo), Roberto Scandiuzzi (Briano), Carol Vaness (Mina), Anthony Michaels-Moore (Egberto), Julian Gavin (Godvino), Sergio Spina (Enrico), Marina Comparato (Elena)
Orchestra e Coro del Maggio Musicale Fiorentino, Fabio Luisi (1997)
 

 

Un ballo in maschera, opéra en trois actes, livret de Antonio Somma, créé au Teatro Appolo de Rome, le 17 février 1859

Un ballo in maschera est un opéra plus subtil qu’on a bien voulu le dire. « Le plus mélodramatique des mélodrames », selon Gabriele d’Annunzio, s’avère en effet une brillante tentative de mélanger les genres, comiques et dramatiques, tout en intégrant aux codes de l’opéra italien différentes influences, françaises principalement. Au mari trompé, sa femme et son amant – triangle de vaudeville que la musique fait voler en éclats – s’ajoutent des personnages secondaires que Verdi place le temps d’une scène au premier plan : la sorcière Ulrica et le page Oscar. Il en résulte une galerie unique de portraits d’où se détache le personnage de Riccardo, le plus beau rôle jamais offert à un ténor par Verdi. Il faut tout l’art de Luciano Pavarotti, dirigé en 1982 par Solti, pour en restituer le charme et l’éclat. Ses partenaires – Renato Bruson (Renato), Margaret Price (Amelia), Christa Ludwig (Ulrica), Kathleen Battle (Oscar) – se hissent au même niveau himalayesque, faisant de cet enregistrement une référence incontestable.

Luciano Pavarotti (Riccardo), Renato Bruson (Renato), Margaret Price (Amelia), Christa Ludwig (Ulrica), Kathleen Battle (Oscar), Peter Weber (Silvano), Robert Lloyd (Samuele), Malcolm King (Tom), Alexander Oliver (Un Giudice)
National Philharmonic Orchestra, London Opera Chorus, Junior Chorus of the Royal College of Music, Sir Georg Solti (1982)

 

 

La Forza del Destino, opéra en quatre actes, livret de Francesco Maria Piave, créé à Saint-Pétersbourg le 10 novembre 1862 (version révisée avec l’aide d’Antonio Ghislanzoni, créée à Milan le 27 février 1869)

Encore un opéra dont il existe pour le moins deux versions, la dernière ayant éclipsé l’originale. Créée à Saint-Pétersbourg en 1862, La Forza del Destino fut remaniée par Verdi sept ans après pour une série de représentations milanaises sans que le compositeur, aidé d’Antonio Ghislanzoni, le futur librettiste d’Aida, ne parvienne mieux à résoudre les problèmes dramatiques posés par un livret aux ficelles épaisses. Le destin a en effet bon dos dans cette histoire abracadabrantesque d’amours contrariés par un malheureux coup de révolver. Subsiste une musique dont la séduction ne se résume pas à l’ouverture universellement connue (et rebattue). Dirigée en 1995 par Valery Gergiev, bien que raccourcie et privée du thème du destin de Leonora en contrepoint, elle brûle d’un feu totalement étranger à l’approche de Giuseppe Sinopoli. D’un côté les jambes, de l’autre la tête pourrait-on résumer en une phrase deux conceptions dont la version choisie de l’œuvre n’explique pas à elle seule les différences. Dans les deux cas, aucun des interprètes ne marque les esprits. Même Renato Bruson, dont on aime d’habitude le velours sombre et l’art du chant, parait l’ombre de lui-même. A tout prendre, on préfèrera globalement la distribution russe, sans chanteurs de grand renom mais plus équilibrée et plus appropriée que celle réunie autour de Sinopoli.
 

Version 1862 : Galina Gorchakova (Leonora), Nikolai Putilin (Don Carlo), Gegam Grigorian (Don Alvaro), Marianna Tarasova (Preziosilla), Grigory Karasev (Marchese di Calatrava), Sergei Alexashkin (Padre Guardiano), Lia Shevtzova (Curra), Nikolai Gassiev (Mastro Trabuco), Yuri Laptev (Un Chirurgo), Evgeny Nikitin (Un Alcalde)
Orchestra & Chorus of the Kirov Theatre, Valery Gergiev (1995)

Version 1869 : José Carreras (Don Alvaro), Rosalind Plowright (Leonora di Vargas), Renato Bruson (Don Carlo), Agnes Baltsa (Preziosilla), Jean Rigby (Curra), Paata Burchuladze (Padre Guardiano), John Tomlinson (Il Marchese di Calatrava), Richard Van Allan (Un Alcalde), Mark Curtis (Mastro Trabuco), Petteri Salomaa (Un Chirurgo)
Philharmonia Orchestra, Ambrosian Opera Chorus, Giuseppe Sinopoli (1985)

 

 

Don Carlos (Don Carlo), opéra en cinq actes, livret de Joseph Méry et Camille Du Locle, créé à l’Opéra de Paris, le 11 mars 1867

Pour sa dernière collaboration avec l’Opéra de Paris, Giuseppe Verdi réussit ce que d’aucuns (dont nous faisons partie) considère comme son chef d’œuvre absolu. Là encore, la version italienne a malheureusement supplanté la version française. Mieux vaut malgré tout une bonne interprétation dans la langue de Dante qu’une mauvaise dans celle de Molière, ainsi qu’en atteste la comparaison entre les deux intégrales proposées ici. Indépendamment de l’adéquation des chanteurs à leur rôle, infiniment supérieure chez Solti, l’exotisme de la prononciation du français disqualifie définitivement l’enregistrement d’Abbado. Il n’y a pas grand-chose à jeter en revanche chez son concurrent, qu’il s’agisse du Carlo de Bergonzi, inégalé, du Posa contrasté de Dietrich Fischer-Dieskau, du Filippo de Nicolai Ghiaurov, royal comme il se doit, ou de l’Eboli volcanique de Grace Bumbry. Même Renata Tebaldi, que l’on a souvent présentée comme le maillon faible de l’équipe, nous semble proposer d’Elisabetta un portrait accompli, la maturité vocale de la soprano justifiant son ascendant sur l’infant.
 

Version française : Katia Ricciarelli (Elisabeth), Lucia Valentini Terrani (Eboli), Plácido Domingo (Carlos), Leo Nucci (Rodrigue), Ruggero Raimondi (Philippe II), Nicolai Ghiaurov (Le Grand Inquisiteur), Nikita Storojew (Un Moine), Ann Murray (Thibault), Tibère Raffalli (Le Compte de Lerme), Antonio Savastano (Un Hérault Royal), Arleen Auger (Un Voix d’en haut)
Coro e Orchestra del Teatro alla Scala, Claudio Abbado (1983)

Version italienne : Carlo Bergonzi (Don Carlo), Renata Tebaldi (Elisabetta), Nicolai Ghiaurov (Filippo II), Dietrich Fischer-Dieskau (Rodrigo), Grace Bumbry (Eboli), Martti Talvela (Il Grande Inquisitore), Jeannette Sinclair (Tebaldo), Kenneth MacDonald (Il Conte di Lerma), John Wakefield (Un Araldo Reale), Joan Carlyle (Una voce dal cielo)
Orchestra and Chorus of the Royal Opera House, Covent Garden, Sir Georg Solti (1965)

 

 

Aida, opéra en quatre actes, livret d’Antonio Ghislanzoni, créé à l’Opéra du Caire, le 24 décembre 1871

Sonnez trompettes, vous qui avez fait la réputation d’Aida ; vous qui, lors des représentations de cet ouvrage pharaonique, servez de prétexte à tous les débordements scéniques, dans des lieux qui dépassent largement le cadre d’un opéra plus intimiste qu’il n’y parait. Rarement vous n’avez aussi bien sonné d’ailleurs que dans l’enregistrement dirigé en 1959 par Herbert von Karajan. Tout sert ici de prétexte au maestro pour magnifier le son, à commencer par l’usage de tempi exagérément lents et l’abus de rubato. Le drame inévitablement en pâtit et les chanteurs, déjà mal à l’aise avec des tessitures qui ne leur correspondent pas exactement, se voient à leurs dépens obligés de composer avec le narcissisme de la direction d’orchestre. Seule l’Amneris de Giulietta Simionato ne dépare pas. C’est insuffisant pour rendre justice à l’ouvrage, même si Verdi a un temps envisagé de lui donner le nom de la princesse égyptienne.
 
Renata Tebaldi (Aida), Giulietta Simionato (Amneris), Carlo Bergonzi (Radamès), Cornell MacNeil (Amonasro), Arnold van Mill (Ramfis), Fernando Corena (Il Re di Egitto), Piero de Palma (Un Messaggero), Eugenia Ratti (Una Sacerdotessa)
Wiener Philharmoniker, Singerverein der Gesellschaft der Musikfreunde Wien, Herbert von Karajan (1959)
 

 

Otello, opéra en quatre actes, livret de Arrigo Boito, créé à La Scala de Milan, le 5 février 1887

Avant-dernière rencontre entre Shakespeare et Verdi qui, par l‘intermédiaire d’Arrigo Boito, signe son opéra le plus audacieux. Même si, d’après Piotr Kaminski, il n’y a rien dans Otello que Rigoletto ne contienne déjà, la modernité de cet ultime drame lyrique continue de décontenancer plus d’un mélomane qui lui préfère les ouvrages antérieurs. Pourtant, que de sombres beautés offre cette tragédie de la jalousie, ainsi qu’en témoigne l’intégrale enregistrée par Myng-Whun Chung aux débuts des années 1990. Dans le rôle-titre, Placido Domingo démontre que, s’il n’est pas le meilleur Otello de la discographie, il est celui de sa génération.

Placido Domingo (Otello), Cheryl Studer (Desdemona), Sergei Leiferkus (Iago)
Orchestre et Choeurs de l’Opéra Bastille, Muyng-Whun Chung (1994)

Falstaff, opéra en trois actes, livret de Arrigo Boito, créé à La Scala de Milan, le 9 janvier 1893

Renato Bruson (Falstaff), Leo Nucci (Ford), Dalmacio Gonzalez (Fenton), Katia Ricciarelli (Alice), Barbara Hendricks (Nannetta), Lucia Valentini Terrani (Mrs Quickly)
Los Angeles Philharmonic, Carlo Maria Giulini (1983)
 
Christophe Rizoud

 

 

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