Il est de retour ! Après plusieurs années d’absence, Juan Diego Flórez revient à New York à l’occasion de sa prochaine prise de rôle dans la nouvelle production de La traviata du Met. Fans et compatriotes péruviens se pressent au Carnegie Hall pour applaudir celui qui fut probablement le meilleur ambassadeur du bel canto au Met.
Aujourd’hui, Flórez semble prendre ses distances avec ce répertoire en se limitant à quelques rôles, notamment moins connus, comme Riccardo et Zoraide à Pesaro l’été dernier. En cela, le programme de ce retour new-yorkais est représentatif de ses tentatives de reconversion dans différents registres. Pas de Mozart mais des compositeurs italiens plus dramatiques (Verdi et Puccini), du Gounod et surtout du Massenet, le ténor ayant prévu de faire ses débuts dans Manon l’année prochaine.
Juan Diego Flórez et Vincenzo Scalera © Chris Lee
Le récital s’ouvre avec deux courts morceaux de Rossini, hommage à celui qui l’a porté aux sommets de la gloire mais aussi symbole de la distance prise par le ténor avec son compositeur fétiche. Dans « Addio ai venisi » (aussi connu sur le nom de « Addio di Rossini »), les aigus de la cadence finale semblent durs et poussés malgré la pureté de la ligne et des notes d’une simplicité évidente. Le « Bolero » qui suit fait figure d’échauffement tant les aigus sont métalliques et inégaux.
Flórez convainc beaucoup plus dans son « Una furtiva lagrima », tout en subtilité et tendresse. Le rossinien se joue des difficultés de la cadence finale, qu’il conclut avec un aigu insolant de brillance. Si l’élégance du timbre lui permet d’incarner un Edgardo délicat, les passages plus dramatiques de l’air de Lucia commencent à mettre à mal un instrument fragile. Impression confirmée dans les deux airs de Verdi et en particulier dans la cabalette des Lombardi où le manque de coffre se fait sentir.
Après l’entracte, Flórez séduit immédiatement par son legato parfait dans « Ouvre tes yeux bleux » et insuffle de la chaleur aux voyelles rondes et caressantes du poème de Paul Robiquet mis en musique par Massenet. Le ténor poursuit avec un « En fermant les yeux » aux pianissimi liquides et transparents. Mais dans les mesures plus dramatiques de « Ah fuyez », la voix se tasse et doit lutter contre le piano pour se faire entendre. Accompagnateur bienveillant, Vincenzo Scalera se révéle inventif pour ne pas faire face aux prises de libertés de Flórez. Une Méditation de Thaïs rigoureuse fait oublier les légers accrocs du début.
S’il est manifestement à l’aise dans « Salut, demeure chaste et pure » déclamé avec douceur, le ténor aborde les deux derniers airs (« pourquoi me réveiller » et « Che gelida manina ») avec une appréhension palpable. La maîtrise technique vient en renfort de la puissance mais le malaise perceptible dans les passages les plus lyriques est contagieux.
C’est après avoir poussé un long soupir de soulagement que Juan Diego Flórez revient sur scène, une guitare à la main, prêt à gratifier son public de sept bis, soit presque autant que les numéros initialement prévus. C’est alors que commence le véritable concert, communion entre un public enflammé, qui hurle, applaudit, supplie son idole et un chanteur qui enchaîne des morceaux interprétés avec un enthousiasme contagieux. Flórez délaisse les habits trop grands des poètes suicidaires et autres héros désespérés pour enfiler le costume bigarré d’Arlequin. Son passage à la chanson populaire italienne et sud-américaine n’en devient que plus logique et évident.
Celui dont la voix peinait contre le piano quelques instants plus tôt emplit l’immense Carnegie Hall avec une facilité déconcertante. Les aigus, auparavant métalliques, deviennent limpides et envoûtants dans « Bésame mucho » et « Cucurrucucú paloma » pour le plus grand plaisir du public. Le ténor sort fatigué de son traditionnel air de la Fille du régiment et se risque à conclure par un « Nessun dorma » qui couronne une soirée placée sous le signe du mélange des genres. Le verra-t-on sortir demain un album de chansons de Noël à l’instar de Rolando Villázon ? Quizás, quizás, quizás…