Kamil Ben Hsain Lachiri découvre le chant par hasard un jour qu’il accompagne un chanteur au piano. Lauréat du concours Voix Nouvelles et sorti de l’Académie de La Monnaie, il se produit régulièrement sur les scènes belges. Il chantera ce mois-ci le rôle de Papageno au Capitole de Toulouse.
Comment avez-vous vécu sur le plan personnel la période de la pandémie ? Quelles conséquences a-t-elle eu sur votre travail ?
Je dois dire que j’ai vécu cette pandémie en plusieurs étapes. Tout d’abord la désillusion totale quand on comprend que toutes nos activités s’arrêtent et qu’on prend conscience assez durement du manque de stabilité évident de notre métier. Je me sentais limite un peu débile de ne pas avoir réalisé avant à quel point nos contrats pouvaient être si mal goupillés concernant les annulations, ou comment, en Belgique, un vrai statut d’artiste et un vrai filet de sécurité n’existent tout simplement pas pour certains travailleurs du secteur culturel.
Ensuite, la colère bien évidemment, colère de se sentir oubliés et écartés par les décideurs politiques, colère du manque de perspectives offertes, colère de la partialité de certaines décisions. Cette colère étant accentuée par l’impuissance et l’injustice dans laquelle le secteur est plongé (j’avais écrit « était » mais à l’heure d’écrire ces lignes, un nouveau CODECO se tient en Belgique, je suis en train de réactualiser toutes les deux minutes la page « infos » de mon smartphone en attendant les nouvelles mesures (comme je le fais depuis bientôt deux ans) et la culture se retrouve encore une fois sur la sellette, ce cauchemar d’indécision ne semblant pas vouloir s’arrêter).
La troisième étape de ma gestion personnelle de cette pandémie fut la résignation. Après avoir monté en vain un dossier et l’avoir partagé à certains décideurs politiques, après avoir tenté de rassembler mes collègues (dont certains ont admirablement pris la relève), j’ai aperçu cette pandémie comme l’occasion idéale de prendre le temps de me poser, de rétablir l’ordre de mes priorités, et de consacrer toute mon énergie à faire des choses qui nécessitent temps et patience, ce dont on ne dispose généralement pas en début de carrière.
J’avais toujours rêvé de pouvoir faire du sport tranquillement, sans me presser, et ce fut l’occasion idéale de me remettre un peu en forme et de prendre du plaisir à le faire !
Au niveau de ma technique vocale également : quand on enchaîne les projets pendant plusieurs années, sans s’arrêter, et en ayant au final que très peu de temps pour prendre de vrais bons cours de chant, il est parfois possible, surtout quand on est jeune chanteur, qu’on perde un peu contrôle sur ce que l’on fait. Cette pandémie était le moment idéal et extrêmement bienvenu de me poser et de remettre les curseurs de ma technique au bon endroit, en collaboration étroite avec mon professeur, sans devoir tout le temps se presser à apprendre tel ou tel rôle, ou en devant courir de tel pays à tel autre pour une audition ou un concours.
Cela me fait un peu du mal de l’avouer, mais si je regarde honnêtement derrière mon épaule, cette période fut extrêmement bénéfique pour moi, mon équilibre, et mon avancement vocal.
En avez-vous tiré des enseignements particuliers, d’ordre personnel ou artistique ?
Oh oui, énormément. Quand on se rend compte que du jour au lendemain tout peut basculer, on réenvisage un peu la suite des choses et surtout on relativise beaucoup plus.
Tant d’un point de vue personnel que professionnel je me suis posé la question de savoir ce que je voulais vraiment, j’ai profité de ce moment avec la tête hors de l’eau pour établir sereinement l’ordre de mes priorités lyriques et personnelles, et beaucoup de choses ont changées depuis.
J’ai par exemple décidé de me concentrer sur les rôles et les maisons qui me rendaient vraiment heureux et épanouis, plutôt que d’accepter n’importe quel contrat sous prétexte que c’était du travail. Etant très casanier, et ayant pourtant toujours refoulé cette partie de moi pour donner toutes ses chances à ma carrière, j’ai appris à m’écouter et à comprendre qu’il était important pour moi d’arranger mes contrats pour revenir souvent en Belgique, et pouvoir être entouré de mes proches. J’ai également ouvert un restaurant chez moi, à Namur, pour satisfaire mon amour infini pour la nourriture et également pour occuper le temps libre que j’ai en prod à la gestion à distance de celui-ci grâce à une équipe formidable sur place.
Comment abordez-vous la période post-pandémie ? Quelles sont aujourd’hui vos projets et envies d’artiste ?
J’aborde tout cela avec beaucoup de sérénité. Cela va paraître extrêmement cliché, mais avoir pris conscience de l’instabilité des choses et du fait que tout peut basculer à tout instant me fait profiter beaucoup de plus des moments géniaux que je passe avec mes collègues sur scène ou en dehors, et me fait réaliser de la chance que j’ai de faire ce métier.
Je veux continuer à chanter, plus que jamais, et m’investir encore à 200% dans ma carrière, mais de manière équilibrée cette fois. En acceptant les projets qui me plaisent et qui me font grandir, et tant pis si je perds un peu en visibilité, je refuse de substituer mon épanouissement professionnel et personnel à cette envie (légitime) de chanter partout, tout le temps, à n’importe quel prix et peu importe les sacrifices. Je sens que si je veux durer sur le long terme, c’est le chemin que je dois prendre, et je le prends avec le plus grand des plaisirs.