Rien n’est plus hasardeux que de remplacer une production dont le succès n’était pas démenti … depuis 43 ans ! Pari plutôt réussi avec cette nouvelle Bohème réalisée par Richard Jones qui possède déjà de beaux atouts, mais qui gagnera toutefois à être peaufinée. Ainsi, au premier acte, la chambre des bohémiens laisse perplexe : vide, propre et fortement éclairée, elle fait davantage penser à un loft attendant de riches investisseurs qu’au sordide local où résident nos étudiants. Mais le deuxième acte renoue avec le spectaculaire, avec des changements à vue particulièrement réussis. A la chambre d’étudiant succèdent, sans heurt, un ensemble de passages couverts, avec de beaux effets de perspective, puis le restaurant Momus, enfin une rue éclairée par des lampadaires pour le défilé final. La baraque du troisième acte rend bien l’atmosphère de la barrière de l’octroi, toujours sans réalisme excessif, la neige étant omniprésente lors des trois premiers actes.
Pour cette création Jones bénéficie d’une belle brochette de jeunes chanteurs talentueux dont la crédibilité physique ajoute à la réussite du spectacle. Si le chant n’a pas la perfection de certaines représentations starisées, et même si l’alchimie ne prend pas toujours entre les protagonistes (par exemple dans le duo du premier acte ou dans la « bataille » du dernier), sa direction d’acteur fouillée offre beaucoup de beaux moments (par exemple, Florent Sempey en roue libre au finale de l’acte II). Surtout, la mort de Mimi, superbement rendue, nous arrache une larme par la justesse théâtrale de la scène. N’est-ce pas le plus beau compliment qu’on puisse faire à une Bohème ?
© Catherine Ashmore /ROH
Michael Fabiano offre un Rodolfo un peu uniformément sonore, mais capable de belles nuances dans l’expression du texte. L’aigu est au rendez-vous, avec un contre-ut venant couronner un air non transposé. La Mimi de Nicole Car est initialement d’une réserve toute britannique. Son troisième acte est en revanche d’un engagement total, à donner la chair de poule. Le timbre est un peu passe-partout, mais la technique est impeccable et la musicalité toujours au rendez-vous. Le Marcello de Mariusz Kwiecień volerait presque la vedette de Rodolfo par son abattage. L’émission est facile, le chant plaisant par son naturel. La voix de Simona Mihai n’est pas très puissante, mais elle campe superbement une Musetta alcoolisée, libérée de toutes inhibitions, dans une scène de séduction du plus haut comique. Comme signalé plus haut, le Schaunard de Florent Sempey crève l’écran. Luca Tittoto est un Colline bien chantant mais un peu discret.
La direction d’Antonio Pappano vaudrait à elle seule une seconde écoute : l’acoustique excellente pour les voix nous fait parfois oublier de prêter attention aux subtilités de l’orchestre. Une fois de plus, le chef britannique se révèle un des meilleurs chefs de théâtre actuel, capable de renouveler la lecture d’une partition que l’on imaginait rebattue, sans jamais perdre le fil du drame. Pappano sait aussi faire preuve d’humour, forçant des glissandi comiques à la limite de la justesse dans la scène où Benoît raconte ses tribulations sentimentales. Cette représentation qui, sur le papier, ne payait pas nécessairement de mine, se révèle une bonne surprise, une partie de la salle optant d’ailleurs pour la standing ovation.