Soixante années de suite, des dizaines et des dizaines de distributions et une production carte-postale d’un Paris fantasmé par les américains… ce soir le Metropolitan Opera pourrait toujours être sur Broadway tant cette Bohème a des allures de musical et tant l’ambiance dans l’auditorium s’approche d’une soirée populaire. Au-delà de ce folklore très américain où chaque levée de rideau est salué par des applaudissements pour les décors et où les chanteurs sont chaleureusement applaudis dès que l’occasion s’en présente, le Metropolitan Opera propose une solide soirée de répertoire autour d’une distribution homogène et d’un chef rigoureux à la tête d’un orchestre somptueux.
La mise en scène de Franco Zeffirelli ne se présente plus : elle date de 1981. L’acte 2 et l’acte 3 sont rigoureusement les mêmes que ceux déjà imaginés pour le Teatro alla Scala dans les années 1960, à peine modifiés pour s’adapter à la largeur du cadre de la scène. Seule la mansarde se différencie : plus exiguë à New York, perdue au milieu des toits et des cheminées de Paris. J. Knighten Smit qui assure la reprise règle la gestuelle avec fluidité et les gags font mouche systématiquement.
Sur scène l’esprit d’équipe prédomine chez des interprètes qui prennent un plaisir manifeste. En Rodolfo, Bryan Hymel fait montre des même qualités et lacunes que lors de son récital au Théâtre des Champs-Elysées. Assise sur un souffle long, cette voix facile, bien projetée se pare d’un petit supplément de soleil à l’aigu. Toutefois, les couleurs et les nuances restent chiches, à l’exception des dernières scènes où il brise l’armure. Il en va de même pour sa partenaire, Maria Agresta, dont la Mimi, en plus d’être techniquement parfaite, bénéficie d’un timbre clair idéal pour la jeune couseuse. Il faudra là aussi attendre la dernière scène pour que tout ce style châtié et cette intelligence musicale émeuvent. Musetta trouvent en Ailyn Pérez un soprano corsé à l’abattage nécessaire, à défaut de la précision requise. Des quatre rôles clés c’est en définitive le Marcello de Levente Molnar qui convainc le plus. Le roumain sait canaliser une voix généreuse et sonore dans des nuances et demi-teintes assez inhabituelles. Entre le Colline de Roberto Tagliavini et le Schaunart d’Allesio Arduini, le dernier emporte les suffrages grâce des nuances que son comparse ne sait trouver dans un adieu à son pardessus trop prosaïque. Chœurs et chœurs d’enfants sont irréprochables et transforment le deuxième acte en une vraie fête auditive.
L’orchestre revêt de très beaux atours sous la baguette de Dan Ettinger : tous les pupitres rivalisent en beautés, en teintes et en rondeur du son. La battue plutôt lente, ménage des respirations ou étire les fins de phrases. Rigueur et intelligence en somme, auxquelles manque un surcroit de pathos.