La Somnambule, ce sont déjà des voix. La distribution pouvait-elle être plus pertinente ? Le 27e concours international de chant de Clermont-Ferrand, qui y a présidé n’a pas été une simple audition… En dehors d’Elvino, le ténor, tous les chanteurs ont été recrutés par le jury, qui associait les scènes coproductrices. L’autre clé de la réussite réside dans la conjugaison des voix et des instruments. L’Orchestre national d’Auvergne, entre les mains expertes de Beatrice Venezi, réalise l’exploit, nous en reparlerons. Enfin, la mise en scène constitue l’écrin, le creuset de cette mystérieuse alchimie. Une autre femme, Francesca Lattuada, la signe, avec le concours de Christian Dubet pour les décors et lumières. On a en mémoire leur mise en scène du Ballet royal de la nuit ( dirigé par Sébastien Daucé) : le miracle se reproduit. Cette Somnambule singulière est appelée à faire date, n’en doutons pas. Si l’expression n’était réductrice voire péjorative, on écrirait que la mise en espace la plus luxueuse et la plus raffinée, assortie d’une direction d’acteurs millimétrée, s’avère bien préférable à nombre de productions mobilisant de riches et coûteux moyens. En effet, en dehors des costumes originaux, recherchés, expression visuelle de chaque acteur, admirables (signés Bruno Fatalot), cinq filins, garnis de spots, tombant des cintres, deux autres permettant la descente et l’ascension de la prima donna, deux figurations d’arbres devant un alignement de troncs, quelques rideaux ou voilages, un sol noir réfléchissant, puis blanc assorti d’un tapis rouge en losange irrégulier, c’est tout. Les lumières savamment élaborées, mouvantes, en accord idéal avec chaque scène et les évolutions dramatiques et psychologiques sont proprement magiques. Avec une fantaisie pleinement convaincante, assortie de quelques touches circassiennes (extraordinaire Lise Pauton), l’Helvétie est oubliée pour un univers onirique que le spectateur habite avec bonheur.
Julia Muzychenko, Amina, a la bonté candide et la fragilité de l’héroïne. La pureté d’émission, la tendresse des phrasés, un souffle qui épouse le texte musical, nous émeuvent. L’ornementation, les vocalises, les colorature sont éblouissantes de naturel, la légèreté, le clair-obscur, nous tenons là une grande voix doublée d’une présence dramatique incontestable. Dans la jubilation comme dans le désespoir, seule, en duo avec Elvino, elle est admirable. C’est encore dans le célèbre « Non credea », mélodie infinie, douloureuse, d’autant plus émouvante que dépouillée de toute surcharge, que l’émotion est la plus forte. Francesca Pia Vitale est Lisa, la jeune aubergiste abandonnée par Elviro, flamboyante séductrice dont le dos dénudé provoque. La voix sait se faire enjoleuse comme volontaire et colérique. L’émotion est feutrée, l’élégance constante, avec des colorature jusqu’au contre-ut, trilles et ornements parfaits. Dès sa cavatine d’entrée, « tutta è gioia » nous sommes sous le charme. Son air « De’ lieti auguri » rend le personnage attachant. Teresa, la propriétaire du moulin, qui a adopté Amina, est confiée à Olga Syniakova, beau mezzo à la voix ample, ronde. Ses récitatifs, son « Piano amici », où elle va défendre sa pupille, comme sa participation aux ensembles n’appellent que des éloges. Marco Ciaponi est une heureuse découverte. Le jeune ténor qui incarne Elvino, fait montre de qualités vocales et dramatiques rares. Son style s’accorde idéalement à Bellini, dans ses airs, cabalettes, récitatifs et ensembles : la voix est libre, épanouie sans esbrouffe, réservant la vaillance aux moments où le drame l’exige. La ligne et ses ornements sont d’un naturel qui force l’admiration. Qu’il s’agisse de tendresse comme d’amertume ou de révolte, elle se plie à toutes les exigences avec facilité et beauté. Alexey Birkus incarne Rodolfo avec brio. La basse à l’assurance sereine, noble, sensible au charme féminin, se double d’un excellent comédien au jeu toujours juste. La voix, sonore, bien timbrée lui permet d’imposer le Comte avec bonheur. Autre basse, Alessio, chanté par Clarke Ruth, est servi par une voix prometteuse et un jeu efficace. Les petit rôles se montrent à la hauteur, confiés à des chanteurs avignonnais du chœur.
Julia Muzychenko © Yann Cabello
Moments de grâce, le quintette « D’un pensiero e d’un accento », puis la strette du finale du I, comme le quatuor « Signor Cote, agli occhi miei », sont magnifiques d’équilibre et de vie. Quant au chœur de l’Opéra d’Avignon, fréquemment sollicité depuis le « Viva ! Viva Amina » jusqu’à la fin du second acte, il se signale par son engagement vocal et scénique. Tout juste peut-on regretter que quelques voix d’hommes jouent ponctuellement aux solistes alors qu’ils participent à leur pupitre.
L’Orchestre régional d’Auvergne, en formation bellinienne, nous offre le plus beau des concerts : la direction attentive, inspirée de Beatrice Venezi, toujours attentive à chacun, équilibre, sculpte, nuance le propos. Les solistes (une corniste, la flûte, la clarinette…) sont exemplaires dans leur contrepoint avec la voix. Un régal.
Exceptionnels sont les spectacles auxquels on adhère sans réserve aucune, qu’il s’agisse des voix, prises individuellement et ensemble, de l’orchestre et de sa direction, de la réalisation scénique. Ce fut le cas à Clermont-Ferrand en cette première : un pur bonheur vocal, visuel et dramatique. L’excellente nouvelle : treize fois, après avoir quitté son berceau arverne, cette équipe va reproduire le miracle sur sept autres scènes lyriques (Vichy, Avignon, Metz, Reims, Limoges, Massy et Compiègne), pour le plus grand bonheur des passionnés de bel canto comme pour le plus large public qui découvrira l’ouvrage.