C’est un accueil triomphal que le public du Théâtre des Champs-Élysées a réservé à cette nouvelle production de la traviata dont la réussite repose essentiellement sur les talents conjugués de la metteuse en scène, du chef d’orchestre et de l’interprète du rôle-titre.
Deborah Warner choisit de transposer l’ouvrage à la fin des années 40, à l’époque où la tuberculose était encore incurable, ce qui nous vaut de superbes costumes, signés Chloé Obolensky, notamment pour les femmes dont les robes somptueuses se déclinent dans des teintes sombres, noir, gris, mauve ou bleu marine qui tranchent avec le rouge vif de la robe de Violetta sur laquelle se concentrent tous les regards, clin d’œil sans doute à la fameuse production de Willy Decker que Deborah Warner dit avoir admirée. La maladie est omniprésente dans cette production : dès le prélude, tandis que résonne le thème de la mort, le rideau se lève sur l’hôpital dans lequel Violetta finira ses jours, figuré par des lits blancs en métal, des infirmières et des médecins qui s’activent autour de la malade. Tout au long de l’opéra il y aura deux Violetta sur scène, celle qui chante en robe du soir et celle qui meurt en chemise de nuit blanche interprétée par une actrice et danseuse dont la présence rappelle de façon obsédante à la première le destin qui l’attend. La direction d’acteurs, d’une grande lisibilité met en valeur avec justesse les rapports entre les personnages et installe progressivement le drame au cours du deuxième acte jusqu’à l’explosion finale.
© Vincent Pontet
Jérémie Rhorer a choisi d’être aussi fidèle que possible aux vœux du compositeur. L’ouvrage est proposé dans son intégralité, avec toutes les reprises, notamment les seconds couplets de « Ah fors’è lui » et « Addio del passato » ainsi que celle de la cabalette du ténor « O mio rimorso », sans l’aigu final toutefois, supprimé tout comme le contre-mi bémol de Violetta à la fin de « Sempre libera » parce qu’ils ne sont pas écrits. Le diapason est le même que celui de la création, à 432 Hz. La direction précise est nerveuse réserve des moments d’une grande intensité dramatique comme le final spectaculaire du deuxième acte mais n’est pas exempte d’une certaine sècheresse, notamment au cours du bal chez Violetta à l’acte un.
Vannina Santoni enfin, effectue une prise de rôle éblouissante qui témoigne d’une grande compréhension du personnage malgré son jeune âge, fruit du travail effectué sous la houlette de Deborah Warner qui souhaitait que son interprète n’ait pas déjà l’ouvrage à son répertoire afin de la modeler à sa guise comme le précise la soprano dans l’interview qu’elle nous a accordée. Alors on pourrait lui reprocher un « Sempre libera » chanté trop en force, on pourrait souhaiter des accents plus déchirants dans sa confrontation avec Germont où elle se montre certes émouvante sans pour autant donner l’impression qu’elle joue sa vie mais il s’agit d’une première et nul doute qu’elle approfondira son interprétation au fil des représentations. Déjà la cantatrice qui souhaitait proposer « sa vision personnelle du rôle » a gagné son pari. Son « Ah fors’è lui » tout en nuances, agrémenté de délicats pianissimi est d’un haut niveau tout comme sa scène finale, poignante de bout en bout, qui lui vaut une ovation au rideau final.
Face à elle Saimir Pirgu est un Alfredo au timbre clair et juvénile qui fait valoir une belle ligne de chant dans son air et se montre pleinement convaincant dans ses éclats de colère à la fin du deuxième acte ou de désespoir face à Violetta mourante. Laurent Naouri possède une voix sonore et une autorité qui conviennent à son personnage de bourgeois austère et intraitable.
Le reste de la distribution n’appelle que des éloges, citons la Flora solide de Catherine Trottmann, le Baron exemplaire de Marc Barrard et le docteur bien chantant de Marc Scoffoni sans oublier le Chœur de Radio France irréprochable de bout en bout.