Dans les programmes d’opéras comme dans les contrats d’assurance, il faut toujours lire les petites lignes. Cela vous évitera des surprises. C’est ainsi qu’en annonçant sa version de concert de la Walkyrie pour cet été, le Festival de Bayreuth mentionnait au dessous du titre « Performance encadrée par des œuvres de l’artiste Hermann Nitsch. »
On aurait dû se méfier.
Car, à l’arrivée, l’ « encadrement » en question dépassa les bornes. C’est lui qui occupa la quasi-totalité de la scène, l’orchestre étant relégué dans la fosse, les chanteurs ayant droit à être alignés en une rangée sur le devant du plateau.
Ce ne fut pas triste ! Tout au long du spectacle, on vit un commando d’hommes et femmes s’employant à jouer avec des pots de peinture – des dizaines, des centaines de pots de peinture ! Certains les renversaient sur le sol avec des gestes de lanceurs olympiques, d’autres les faisaient dégouliner sur les parois verticales du fond de scène. Telle fut notre Walkyrie.
Au sol, c’était de la folie. Et que je te balance des pots de peinture rouge, bleue, verte ! Des peintures de toutes les couleurs ! Et que je te peins la Walkyrie en jaune, violet, marron ! Dans les pianissimos les plus ténus de la partition, je n’hésite pas à te faire entendre des splashs, des flocs, des flacs, des ploufs en projetant à toute force mes peintures sur le plateau !
Rien ne semblait pouvoir arrêter la fureur de ces barbouilleurs de Walkyrie !
Hermann Nitsch est connu pour ses happenings picturaux. Ils appartiennent au mouvement Actionniste viennois. Ses réalisations sont du meilleur effet. Fascinantes même. Mais que venaient-elles faire en cette Walkyrie?
Peut-être y avait-il un code couleur ? Il nous a échappé. Car pourquoi ces peintures exubérantes autour du sombre drame de la Walkyrie, pourquoi cette ambiance de bonbonnière autour des noires menaces de Wotan ? Oh, il y eut bien un assaut de couleurs noires lorsque fut évoquée la mort de Sieglinde et de couleurs rouges lors de l’encerclement de Brunnehilde par les flammes. Elémentaire, mon cher Watson !
La Walkyrie © Festival de Bayreuth
Tout à fait indépendante du spectacle qui se déroulait derrière elle, la distribution vocale a été magnifique. Elle a été dominée par la Sieglinde de Lise Davidsen – déjà époustouflante à Paris en décembre dernier. Très beau Siegmund de Klaus Florian Vogt, au chant puissant et lumineux, aux inflexions charmeuses, à la ligne de chant toujours bien conduite .
L’impressionnant Wotan était incarné par le polonais Tomasz Konieczny, au chant corsé et dramatique, à la voix sans défaillance, jamais à court de puissance jusqu’à ses bouleversants adieux.
Avec Dmitry Belosselsky, on eut droit à un Hunding de premier choix.
Nous serons moins enthousiaste à l’égard de la Brunnehilde de Catherine Foster. Elle fit preuve de vaillance d’un bout à l’autre, mais chantant trop en force, parfois à la limite de la justesse. Bonne Fricka de Christa Mayer.
Même si certains tempos adoptés par le chef finlandais Pietari Inkinen furent un peu lents, l’orchestre a eu sous sa baguette des sonorités somptueuses.
Lorsque vers 22 heures, alors que les smokings et les tenues de soirées se dispersaient dans la nuit parmi les frondaisons autour du Théâtre sacré, nous avons pris une décision : la prochaine fois que nous irons assister à un opéra en concert, nous demanderons à l’avance le code couleur !