Alors que la pandémie plombe les festivals, la revue L’Avant-Scène Opéra consacre opportunément un numéro double à celui que sa ville natale dédie à Rossini depuis 1980, et que l’on connaît sous l’acronyme ROF (Rossini Opera Festival), à l’occasion de ce quarantième anniversaire. Cinq points de repère guident la lecture.
Un festival pour Rossini, pourquoi ? Le Français Olivier Descotes, son actuel directeur général, retrace à grands traits l’histoire du ROF des origines à nos jours en rappelant le rôle moteur de Gianfranco Mariotti à la faveur du contexte politique et celui des directions artistiques successives. A notre confrère Alfred Caron revient l’évocation des lieux divers dédiés aux représentations en lien avec les contingences matérielles. Daniele Vimini, maire adjoint de Pesaro et délégué à la culture, témoigne de l’engagement de la ville et du rôle du festival dans son rayonnement international.
Que signifie l’expression Rossini Renaissance ? Gianfranco Mariotti, qui fut à l’origine du festival et le dirigea pendant trente-sept ans, en donne sa vision dans l’extrait de sa contribution au livre collectif Rossini. L’artista, l’uomo, il mito publié en 2018. Il se félicite que le ROF y ait contribué de façon prééminente, tant pour le Rossini bouffe, débarrassé des numéros comiques gratuits et des effets désastreux chers à la tradition scénique, que pour le Rossini serio. Ces œuvres dramatiques quasiment inconnues jusqu’à leur résurrection systématique par le ROF, quand elles sont représentées avec des instruments culturels familiers au spectateur moderne, retrouvent sens, vie et couleur …et révèlent leurs profondes affinités avec la sensibilité contemporaine. Alberto Zedda, présent pendant près de trente ans, d’abord comme conseiller puis comme directeur artistique, a beaucoup écrit sur Rossini, d’une plume alerte et élégante outre qu’informée. Mais au lieu de lui donner la parole on a confié à Jean Cabourg le soin de faire le portrait du chef d’orchestre que l’on réduit trop souvent au chemin de Damas de l’illumination relative à la partition du Barbiere di Siviglia et dont il révèle l’éclectisme. C’est un bel hommage à l’homme et au musicien.
Comment chanter Rossini ? La question se pose dès lors que grâce aux musicologues de la Fondation Rossini les partitions sont restituées dans leur authenticité la plus probable. Luigi Ferrari, directeur artistique de 1992 à 2000, égrène les noms d’interprètes prestigieux en les situant dans la succession des générations. Glissant sur ses propres mérites il a l’élégance de rappeler le rôle de deux figures essentielles mais souvent marginalisées, le savant Bruno Cagli et l’immense Philip Gossett, évincé de la Fondation Rossini après trente-neuf ans de présence à Pesaro. Christophe Rizoud se plonge ensuite dans l’histoire de l’Accademia Rossiniana, créée en 1989 à l’initiative d’Alberto Zedda, qu’il cite à bon droit. Ainsi il explicite les buts poursuivis par ce stage de quelques semaines : autant assurer la relève des voix aptes à chanter Rossini pour échapper au star system que fournir aux participants les clefs pour l’approfondissement culturel tous azimuts indispensable à bien chanter, ce répertoire ou un autre, grâce aux interventions de grands professionnels, chanteurs chevronnés ou metteurs en scène. Depuis 2001 la formation est sanctionnée par un rôle dans Il viaggio a Reims, mise en pratique de l’enseignement reçu. La direction musicale est confiée à de jeunes chefs. Plus d’un s‘est fait un nom de la sorte, le plus évident étant Antonino Fogliani, devenu le pilier du Festival Rossini de Bad Wildbad. A la mort d’Alberto Zedda en 2017 Ernesto Palacio, ténor rossinien émérite, est nommé à la tête de l’Accademia. Dans une déclaration qui allie clarté et précision il expose sa conception du rôle que peut jouer cette formation.
Aujourd’hui le ROF dure depuis quarante ans. Pour chaque édition, au moins deux opéras, presque toujours trois, et d’innombrables concerts. A Carla Di Carlo, responsable de l’édition des programmes de salle et des archives, est revenue la lourde tâche de retracer le parcours depuis les origines, sur environ quatre-vingts pages, soit deux pages par édition. Un texte de présentation, les titres, les distributions, et des illustrations constituent une documentation qui sera précieuse. Ceux qui ont vécu sur place quelques-uns des spectacles pourront trouver que le commentaire reflète moins leur ressenti qu’une vision “autorisée”, mais ce sont les vainqueurs qui écrivent l’histoire. Les curieux trouveront dans le répertoire de la disco-vidéographie réalisé par Alfred Caron des éléments susceptibles de remettre en perspective la parole officielle.
Pour conclure, le ROF, est-ce aussi un état d’esprit ? Chantal Cazaux, rédactrice en chef de l’ASO, dirige trois entretiens. Elle interroge Olivier Descotes, à la tête du Festival Rossini depuis 2018, sur sa formation, sur la gestion de la manifestation, sur les coopérations internationales, sans oublier le serpent de mer de la réouverture du Palazzetto dont parle Alfred Caron. Puis c’est une interprète d’abord élève de l’Accademia Rossiniana avant que son interprétation de Tancredi en 1999 ne la propulse au premier rang des rossiniennes, Daniela Barcellona, de dire la profondeur de son attachement à Pesaro. Enfin Chantal Cazaux rencontre le chef d’orchestre Michele Mariotti. Si son apparition à l’affiche du festival avait suscité des rumeurs de népotisme dans Landerneau – pardon, Pesaro – son talent indéniable balaya les doutes et l’envol de sa carrière internationale en a fait justice. Il se confie sur sa relation à Rossini avec la précision, la simplicité et la bonne grâce qui le rendent éminemment sympathique.
En clôture de ce dossier une courte bibliographie signale des articles en français et en anglais parus dans des revues. Les ouvrages en italien, qui relèvent de la monographie ou de la compilation, n’ont rien de critique. C’est le point faible de l’entreprise.
Au final, une documentation riche d’informations prête à prendre place dans la bibliothèque de tout rossinien. Le marché existe : parmi les spectateurs étrangers, les Français représentent le contingent le plus nombreux.
L’Avant-Scène Opéra, n° 317
Prix 28 euros
ISBN 978-2-84385-360-9