On ne fait pas une daube pour deux personnes, les proportions sont pour huit convives ; s’il en reste, cela sera meilleur le lendemain, réchauffé ou froid, et encore meilleur le surlendemain, réchauffé à nouveau.
2 kg ou 2,5 kg de bœuf à braiser (dans la tranche ou le jumeau)
Une bouteille de bon vin rouge
Une cuillère à soupe de vinaigre (de vin, faut-il le dire)
Un gros oignon, de l’échalote, de l’ail
Un demi-bâton de cannelle, sarriette, thym, laurier, romarin, poivre
Un zeste d’orange
Une cuillère à soupe d’huile d’olive
Premier mouvement, la veille ou mieux l’avant-veille
Couper la viande en gros dés de 4 ou 5 centimètres de côté. Mettez-la à mariner dans le vin, dans un grand « vase », comme on disait au XVIIe siècle. Faire une daube avec un mauvais vin ou même médiocre, c’est du gâchis. La qualité du vin compte pour moitié dans la réussite.
Versez le vinaigre, l’oignon et les échalotes émincés, la carotte en julienne, le bouquet, les épices et les herbes.
Ne salez pas la marinade.
Versez sur le tout une cuillère d’huile d’olive qui va tisser comme un filet imperméable au-dessus de la marinade, empêchant que le moindre fumet ne s’en échappe.
Deuxième mouvement
Le lendemain, c’est-à-dire le jour du festin, dès le matin pour le dîner, ou mieux encore la veille du festin, pour laisser à la daube le temps de mûrir, et lui donner le plaisir de la réchauffer (on se donne en même temps le plaisir d’avoir une maison toute parfumée au long du jour).
250 g de lardons non fumés
sel, un morceau de sucre
Huile d’olive ou saindoux un pied de veau
1 kg de carottes
5 cl de cognac
Sortir la viande de la marinade, égouttez-la en vous gardant bien de perdre la moindre goutte de ce qui en tombe. Puis on « l’esquiche », c’est-à-dire qu’on presse les morceaux, fermement, pour en exprimer tout le jus, qu’on recueille lui aussi précieusement. Tout ce liquide rejoint la marinade.
Puis on les éponge, pour qu’ils soient bien secs au moment où on va les faire dorer. Sans quoi il ne seraient pas sautés, mais bouillis…
On passe la marinade, on jette tous les ingrédients qui ont été utilisés (oignons, échalotes, carottes, bouquet) et on n’en garde que le liquide.
On met dans la daubière ou dans la cocotte un peu de saindoux ou d’huile d’olive et on fait dorer les morceaux sur toutes leurs faces. Procéder en plusieurs temps, sans quoi on ne peut pas les retourner facilement. Pendant cette opération, ils expriment encore un peu de précieux liquide que chaque fois, avant de remettre un nouveau contingent de cubes, on recueille et qu’on verse dans la marinade (si on ne le fait pas entre chaque étape, ce bon jus brûle, caramélise, et non seulement se perd, mais ruine la suite). Série après série, on a réservé la viande dans un grand plat. Dans une autre marmite, on fait blanchir le pied de veau un quart d’heure dans de l’eau.
Troisième mouvement
On fait revenir vivement les lardons. On ajoute la viande de bœuf dans la daubière et on verse sur le tout la marinade passée, sans rien d’autre que le cognac.
On place sur la daubière une assiette creuse pleine d’eau froide, ou son couvercle renversé. Pourquoi ? Pour éviter le goutte-à-goutte à l’intérieur de la marmite. On prendra grand soin de vérifier régulièrement que l’assiette ou le couvercle restent pleins d’eau
On « fait partir » la daube, viande et marinade et rien d’autre.
Après deux heures à feu bien doux, on rajoute le pied de veau.
On fait cuire encore une heure, toujours à feu doux.
On rajoute alors les carottes coupées « en mandoline », c’est-à-dire coupées en quatre (dans le sens de la longueur, s’entend), le morceau de sucre, sel et poivre.
On laisse cuire encore une heure : au total, quatre heures
Quatrième mouvement
La daube est prête, après ces quatre heures.
On se garde bien de la manger tout de suite, et c’est bien pourquoi on la fait cuire dès le matin pour le soir.
On la laisse refroidir.
On attend le soir pour dîner.
Ou mieux, le lendemain.
Cinquième mouvement
On la mange, avec des pâtes fraîches ou des gnocchis, ou bien des pommes de terre à la vapeur.
Notes très importantes :
Quand on met le couvert pour offrir une daube à ses amis, on ne met pas de couteau à table. C’est une double injure : une injure envers les convives, qu’on traite de goujats ; une injure envers le cuisinier ou la cuisinière, qu’on traite d’incapable, d’incompétent(e), de cordon noir. La daube fond dans la bouche et se mange sans couteau.
À table, on boit le même vin que celui qui a servi à la cuisson, raison de plus pour qu’il soit bon…
In Philippe Beaussant : Préludes, fougasses et variations. Actes Sud, 2004