Intituler ce concert « Le Mozart suédois » ne manque pas d’interroger, à plusieurs titres. Si Joseph Martin Kraus fut l’exact contemporain de Mozart (Carl Philipp Emanuel Bach déclara préférer le premier au second), il était bavarois. Son séjour à Stockholm, d’un peu plus de dix ans, fut interrompu par un tour d’Europe, dont une longue visite à Paris, puis à Londres. D’autre part, trois mouvements de symphonies, deux de son Requiem, voilà qui fait fort peu dans un concert dont l’essentiel est l’ample Stabat mater de Joseph Haydn, la plus jouée de ses œuvres religieuses jusqu’à La Création. Certes, le XVIIIe et le XIXe siècles furent coutumiers du fait d’associer des mouvements d’œuvres différentes. Est-ce une raison suffisante pour reproduire cette extravagance ? Le programme fragmente ce Stabat mater pour y greffer des pièces de la même époque.
Presque tous ces mouvements sont de caractère sombre, funèbre. Le mixage effectué par le chef aboutit à une sorte d’uniformité où les caractères spécifiques s’estompent au profit d’une atmosphère. Le Stabat mater est privé pour une part importante du caractère dramatique et lyrique de son texte, renforcé par une écriture relevant du Sturm und Drang. Qui plus est, pour équilibrer la première partie, le premier verset (Stabat mater dolorosa) est repris après le vigoureux Pro peccatis suae gentis (n°5), au mépris de l’organisation du propos. De surcroît, si les transitions ou enchaînements harmoniques sont habilement conçus, passer de mi bémol majeur (O quam tristis) en ré mineur (Dies irae du Requiem de Kraus) rompt les relations tonales du temps. Ces réserves émises, efforçons-nous de recoller les morceaux.
On retiendra de ce Stabat mater la qualité rare des solistes. Au premier chef, le ténor Reinoud van Mechelen, le plus sollicité, dont on se souviendra particulièrement du Vidit suum dulcem natum (n°6), en fa mineur. Le soutien comme l’émission sont admirables. Adèle Charvet, dont la rondeur et la puissance font forte impression, nous émeut dans le Fac me vere (n°9) réalisant pleinement le « lagrimoso » indiqué par Haydn. Son duo final avec la soprano Florie Valiquette est parfait. Voix saine et ample, Andreas Wolf, la basse, se voit confier les deux seuls airs animés de la partition, le presto Flammis orci prenant vraiment un caractère flamboyant. Auparavant, le Virgo virginum, sommet de l’œuvre, faisait dialoguer le quatuor de solistes avec le chœur. Ce dernier (Aedes) est en retrait, non seulement de par son placement traditionnel, mais par son chant, qui relève trop souvent d’un déchiffrage correct de professionnels. Plongés dans leur texte, réalisant une mise en place satisfaisante, les chanteurs semblent livrés à eux-mêmes, qu’il s’agisse des phrasés, des ponctuations (ainsi celles du Virgo virginum, réduites à l’anecdote). L’alla breve, fugué (Paradisi gloria), est en place et permet à la soprano solo de rayonner dans l’Amen conclusif.
L’orchestre est inégal, le caractère chambriste, complice, ne semble concerner qu’un noyau d’instrumentistes particulièrement attentifs et engagés. Certaines attaques sont imprécises. Si Julien Chauvin, depuis son pupitre, parvient à communiquer son dynamisme à la plupart, l’ensemble conserve encore une large marge de progrès pour satisfaire à toutes les exigences du concert et de l’enregistrement.
Ces qualités et handicaps se trouvent peu ou prou dans les autres pièces égrenées au fil du programme. De Joseph Martin Kraus, deux mouvements, disjoints, de sa Symphonie funèbre (VB 148), comme celui de sa symphonie en mi bémol (VB 144) nous mettent en appétit. Le caractère évidemment tourmenté du Dies irae et l’écriture harmonique du Benedictus invitent à en écouter davantage de son Requiem (VB 1). Du Chant sur la mort de Joseph Haydn, de Cherubini, commande de la Loge olympique, à l’annonce prématurée (1804) de la mort de Haydn, nous n’écouterons qu’un air confié à Reinoud van Mechelen, introduit ici par les timbales. La voix, toujours compréhensible, sonore, bien timbrée, est splendide et donne envie d’écouter la totalité de la cantate (écrite pour soprano et deux ténors solistes). Le Miserere de Hasse ouvre la seconde partie, bien dirigé par le chef. L’œuvre, dans l’air du temps, est cependant desservie par des pupitres inégaux d’où émergent telle ou telle voix.
On sort partagé, heureux d’avoir apprécié des solistes de grande qualité, d’avoir découvert de belles pages orchestrales et vocales, mais frustré d’avoir subi une écoute par trop morcelée d’œuvres dont l’unité formelle est indéniable.