« Ver de Lune amoureux d’une étoile », c’est ainsi que se prétend Microscope – avec son chapeau genre Inspecteur Gadget – vis-à-vis de la reine Popotte. Féérie, Le Voyage dans la Lune l’est totalement, que ce soit chez Jules Verne, Offenbach ou Méliès. Plus de 600 costumes à la création, il est difficile d’imaginer la splendeur d’un spectacle où brillaient certaines des vedettes de l’époque, Zulma Bouffar en prince Caprice et – à la reprise de 1876 où furent ajoutés les airs de Popotte – Thérésa déjà citée dans La Vie Parisienne. Aujourd’hui, Popotte nous laisse sur notre faim, car la version choisie est celle de la création, donc sans ses airs. Sans entrer dans les querelles habituelles concernant les diverses versions chez Offenbach, rappelons qu’il s’agissait d’un grand spectacle, avec un orchestre important, une figuration conséquente, et une mise en scène fastueuse sur un large plateau. La seule version qui puisse en donner une petite idée est celle de Jérôme Savary (1979 à Berlin et 1987 à Genève), dont on peut voir sur YouTube une diffusion suivie mais en médiocre état, et une autre en meilleur état mais tronçonnée en 6 épisodes. Mais il y en eut d’autres depuis, Olivier Desbordes et l’Opéra éclaté, Les Tréteaux Lyriques, et tout récemment Laurent Pelly.
© Photo Marc Ginot
Bien entendu, la version du metteur en scène Olivier Fredj ne cherche pas à rivaliser avec ces grandes machines du passé, mais essaie surtout d’en redonner la saveur, ce en quoi il réussit le plus souvent. Le début, avec en décor des gravures noir et blanc, est bien dans l’esprit, et l’on peut penser qu’il est dommage que le parti pris n’ait pas été poursuivi de bout en bout, comme dans le beau film de Karel Zeman Aventures fantastiques (1958). Les costumes auraient pu alors constituer un efficace contrepoint coloré. Or c’est justement dans les costumes que se situe l’un des gros bémols de la production. Non qu’ils soient inintéressants, mais à part les deux rois, ils se ressemblent tous, rendant difficile au non-initié la différenciation entre les Terriens et les Séléniens. L’autre bémol est constitué par la présence d’une sorte de soucoupe volante au centre du plateau, qui – dans le cas où celui-ci se révèle au fil de la tournée un peu exigu – rend les choses extrêmement confuses. Quant au principe du tournage d’un film, le procédé est tellement usé jusqu’à la corde que l’on préfère l’oublier.
Mais il y a aussi beaucoup de dièses, dont la participation de danseurs-figurants-acrobates qui animent l’espace avec fougue et efficacité. On a aussi apprécié la présence du ballet « des flocons de neige », souvent coupé, même s’il est ici écourté et au total peu inventif et même vieilli. Des apparitions de figures amusantes, trois Suzanne Lenglen (les Trois cousines de la Périchole…), un dromadaire agité, un ours débonnaire et un drôle de petit bonhomme de neige, occupent l’espace sans trop de raisons sinon vouloir amuser. Mais pourquoi faire courir trop souvent toute la troupe en tous sens, créant une vaine agitation qui vient même brouiller l’audition de la partition, et ne participe guère à clarifier l’action ! On préfère les moments de simple émotion poétique où le spectacle excelle également, même si c’est parfois aux dépens de la veine comique.
Au niveau du plateau, on salue avec enthousiasme la prestation de Sheva Tehoval qui campe une princesse Fantasia désopilante, notamment dans son premier air où elle transfère excellemment en jeux scéniques fort drôles et en amusantes roucoulades vocales pyrotechniques une partition au demeurant difficile. Le prince Caprice de Violette Polchi est plus sage, ce qui est paradoxal pour un esprit aussi aventureux. Les rois de la Terre et de la Lune (Matthieu Lécroart et Thibaut Desplantes) sont excellents, de même que leurs âmes damnées Microscope et Cactus (Eric Vignau à la diction excellente comme toujours et Pierre-antoine Chaumien) que l’on peut avoir du mal à distinguer du fait de l’attirail fort semblable dont ils sont affublés. On note aussi la jolie voix et le jeu de Jennifer Michel (Flavinia). Tous sont aguerris à ce type de répertoire, et le défendent fort bien.
La direction musicale de Chloé Dufresne est dynamique sans être embrouillée, fluide tout en gardant de bonnes inflexions musicales et rapide sans trop bousculer le plateau, bref, une très bonne cheffe pour Offenbach. Les chœurs quant à eux sont relativement décevants, car dans une acoustique aussi exceptionnelle que celle du théâtre impérial de Compiègne, il aurait fallu que quelqu’un leur explique que pour chanter fortissimo, point n’est besoin de crier, et encore moins de hurler. Néanmoins, au rideau, une représentation ovationnée par un public enthousiaste, qui a pu ainsi découvrir cette œuvre en attendant de pouvoir écouter enfin un enregistrement « intégral », publié par la fondation Bru Zane, et annoncé comme le premier (si l’on exclut l’enregistrement vidéo de Savary, on ne dispose en effet que d’un enregistrement ORTF).
Après Montpellier, Marseille et Nice, ce spectacle durement touché par la pandémie continue sa tournée qui doit le mener jusqu’en 2023 dans de nombreuses directions.