Les recréations des opéras d’Offenbach se multiplient depuis plusieurs années, et c’est tant mieux. Même si leurs producteurs ont pris la fâcheuse habitude d’annoncer systématiquement le fameux chef-d’œuvre oublié, jouir du raffinement de cette écriture avec des morceaux que l’on ne connait pas déjà par cœur est un plaisir certain. Ce Voyage dans la lune ne fait pas exception, ce n’est pas un chef-d’œuvre, mais c’est plus que plaisant à écouter, tant l’orchestration se révèle délicieuse. Mais à écouter seulement, car le livret de cet opéra féérie est bien bancal à force de fantaisie. Certes on y trouve des échos féministes (les femmes utiles versus les femmes décoratives), de la critique politique (le choix des rois sur la Lune) et des clins d’œil amusants (l’amour, maladie réintroduite sur la Lune en croquant une pomme) mais nos trois librettistes (rien que ça !) ne font pas le poids en comparaison du duo qui permit à Offenbach de composer des œuvres qui n’ont jamais eu à être redécouvertes, Meilhac et Halévy. Ce livret (très lointainement inspiré de Jules Verne) était surtout prétexte à une féerie visuelle et sonore. On en a eu un timide aperçu aujourd’hui à Marseille.
© Christian Dresse
Chercher à retrouver l’émerveillement qui dût être celui du public en 1875 a semblé impossible au metteur en scène, trop conscient de l’horizon d’attente d’une audience désormais habituée aux effets spéciaux sur grand écran. Des spectacles comme l’Ercole Amante de Cavalli par Hecq & Lesort ou la Cendrillon de Massenet par Lazar (pour prendre l’exemple d’une scénographie faisant également référence à Méliès) nous ont pourtant prouvé le contraire ; mais soit, troquons à présent l’émerveillement pour la dérision : un plateau de cinéma, où l’on tourne donc un Voyage dans la Lune avec les moyens du bord. Un cadre de scène en forme de lentille et régulièrement occulté par le portrait lunaire du compositeur marque la séparation de chaque scène. Ne reste de la féérie que de très belles projections surréalistes et des costumes rappelant ceux de Laurent Pelly ou de Macha Makeïeff. Le procédé fonctionne et réussit à justifier l’enchainement de tableaux bien peu liés dramatiquement. L’explosion du volcan rend tout le monde à sa nature première dépourvue d’oripeaux, et le clair de terre final est celui d’une projection crue sur le plateau nu. Hélas, la poésie de cette vision, si elle est bien menée, reste assez pauvre et peu inventive. Jusque dans les dialogues platement réécrits, ou les jeux de genre, on a le sentiment d’avoir déjà tout vu en mieux ailleurs et l’imaginaire naïf que déploie Olivier Fredj et son équipe nous semble trop recyclé.
Le versant musical n’est pas beaucoup plus éclatant. L’Orchestre de l’Opéra de Marseille d’abord est assez irrégulier : on commence par regretter le manque de justesse du célèbre solo de cor de l’ouverture, puis par trouver les attaques des tableaux terrestres bien trop molles et le rythme pataud. Heureusement, la fine folie orchestrale voulue par Offenbach chez les Sélénites inspire davantage nos musiciens et la baguette de Pierre Dumoussaud est bien plus agile sur les formidables passages enneigés. Le Chœur de l’Opéra sonne également régulièrement hésitant : est-ce dû aux masques qu’in extremis on leur a demandé de porter sur scène ?
© Christian Dresse
Génération Opéra, co-producteurs de cette récréation, entend donner l’opportunité à de jeunes chanteurs de faire l’expérience de la scène. L’intention est évidemment louable mais la différence avec les autres Offenbach donnés par le Palazetto BruZane saute aux oreilles. Remercions Christophe Lacassagne d’avoir repris au pied levé le rôle du roi V’lan : faire preuve d’une telle assertivité dans ces conditions est rare. Les Microscope d’Eric Vignau et Cactus de Christophe Poncet de Solages sont de valeureuses utilités comiques. Kaëlig Boché est tout aussi marquant en figurant burlesque qu’en chantant le marchand Quipasseparla. Le Cosmos d’Erick Freulon est cependant souvent à court de graves. Chez les femmes, dommage que Cécile Galois n’ait pratiquement rien à chanter, car ses quelques interventions sont très réussies et sonores. La Flamma de Ludivine Gombert laisse peu de souvenir et le Caprice de Violette Polchi troque souvent l’intelligibilité de son texte pour un chant certes plein d’entrain, mais au jeu assez emprunté. C’est la Fantasia de Sheva Tehoval qui l’emporte : bien sûr c’est le personnage qu’Offenbach a le plus gâté, mais assumer crânement ces vocalises sans esquiver la difficulté, alors même que le suraigu est très tendu, et aller chercher des graves burlesques qui donnent du relief au personnage, comme le faisait si bien Natalie Dessay en Eurydice, ça paye.
Le spectacle de cette matinée inaugure une tournée assez extraordinaire puisque cette production voyagera sur rien moins que 15 scènes francophones ! Gageons que les errements constatés sauront se corriger au fil des représentations et que les prochains embarquements seront plus explosifs.