Grand habitué du Théâtre de la Monnaie depuis sa fameuse Médée de 2008, Krzysztof Warlikowski aime à varier les répertoires. Ainsi, après Macbeth, Lulu et Don Giovanni voilà qu’il propose sur cette scène, sa vision des Contes d’Hoffmann d’Offenbach. On sait la fascination que le cinéma exerce sur le metteur en scène polonais qui se plaît à parsemer ses productions d’allusions au septième art, mais ici, tout comme dans L’Affaire Makropoulos qu’il avait réalisée à l’Opéra Bastille en 2007, c’est l’ouvrage tout entier qui est situé à Hollywood avec pour fil conducteur le chef-d’œuvre de George Cukor A Star is born dont il reproduit presque mot pour mot la séquence mythique des Oscars à la fin de l’acte 4, où l’on voit Stella (ici en clone de Rita Hayworth) recevoir la fameuse statuette quand soudain Hoffmann, ivre et titubant interrompt la cérémonie pour crier sa rancœur. Seulement voilà, le scénario du film de Cukor ne saurait se superposer au livret des Contes malgré les quelques numéros parlés ajoutés par le metteur en scène. Faire d’Hoffmann une star déchue et alcoolique et de Stella une starlette en pleine ascension dont chaque histoire constitue un nouveau rôle, ne parvient guère à captiver le spectateur dont l’attention est mobilisée par les (trop) nombreuses références cinématographiques qu’il va chercher à identifier. Ainsi, reconnaît-on la moquette des couloirs de l’hôtel de Shining qui voisine avec celle du salon de Twin Peaks, la basse apparaît tantôt sous les traits de Bela Lugosi dans Dracula tantôt maquillée comme le Joker dans Batman, trois jeunes danseuses en rose bonbon font songer aux Andrew Sisters, tandis qu’un Nicklausse androgyne, coiffé comme Uma Thurman dans Pulp fiction lutine Giulietta durant la barcarolle. De plus chacun des airs est traité comme un numéro de music-hall, le chanteur l’interprète debout devant un micro, procédé qui devient vite lassant et nuit à la fluidité du récit. Mais le plus regrettable est la disparition de la double identité de Nicklausse / la Muse et avec elle la dimension fantastique, composante essentielle de l’ouvrage.
Les Contes d’Hoffmann, Bruxelles © Bernd Uhlig
En dépit d’une direction d’acteurs inventive et d’une grande virtuosité, comme toujours chez Warlikovski, le spectacle finit par tourner à vide en laissant une fâcheuse impression de déjà vu que souligne le recours tant de fois ressassé à la mise en abyme dans des décors pourtant somptueux de Malgorzata Szczęśniak. Au fond une gigantesque scène de théâtre avec un cadre doré et un rideau rouge qui s’ouvre sur un écran où seront projetées, entre autres, des images filmées en gros plan sur le plateau. A droite un bar qui rappelle celui de Carsen à Bastille dans la même œuvre et qui se transforme au gré des actes en studio d’enregistrement. Enfin divers accessoires épars font référence au septième art.
La partition est celle établie par Michael Kaye et Jean-Christophe Keck avec cependant quelques coupures. Dapertutto par exemple y perd son air du quatrième acte. En revanche Nicklausse chante ses deux pages magnifiques, « Voyez-la sous son éventail » et « Vois sous l’archet frémissant », quant à Giulietta, ici soprano, elle hérite de « L’amour lui dit la belle » air retrouvé au milieu des années 80.
La distribution est dominée par le spectaculaire Hoffmann d’Enea Scala qui livre une prestation extrêmement fouillée tant sur le plan scénique que vocal au point qu’on a peine à croire qu’il s’agit d’une prise de rôle. Il habite son personnage avec conviction notamment dans les scènes où il apparaît hagard, le regard halluciné, une bouteille d’alcool à la main. Ses talents d’acteur sont particulièrement mis en valeur dans la séquence de l’Oscar parlée en anglais. Sa voix solide à l’aigu triomphant se joue des difficultés de ses airs qu’il cisèle avec une intensité dramatique qui va croissant au fil de la représentation, enfin il parvient à émettre dans le grave des sonorités rauques en adéquation avec la détresse de son héros. Comme le souhaitait Offenbach, les quatre rôles féminins sont dévolus à une même voix tout comme les quatre méchants. Nicole Chevalier accomplit l’exploit d’incarner avec un égal bonheur les différentes héroïnes de la pièce, son Antonia bouleversante de bout en bout mérite une mention spéciale. Son Olympia vocalise avec probité, quant à sa Giulietta, transformée ici en star du porno, elle est d’une troublante sensualité. Gábor Bretz semble prendre un malin plaisir à incarner les divers méchants avec des moyens généreux, un timbre clair, un aigu aisé et un grave sonore qui font regretter qu’il n’ait qu’un seul air à défendre, celui du premier acte. Michèle Losier est un Nicklausse d’un haut niveau, délicieusement ambigu qui donne de ses airs une interprétation captivante et stylée. Sylvie Brunet-Grupposo est un luxe dans le rôle épisodique de la mère d’Antonia à qui elle prête sa voix opulente, tout comme le vétéran Sir Willard White dont le medium a conservé son ampleur et qui campe un émouvant Crespel. Les seconds rôles sont tous excellents, citons François Piolino impeccable en Spalanzani et Nathanaël ainsi que Loïc Felix très à l’aise dans sa quadruple prestation, particulièrement désopilant dans les couplets de Frantz.
Signalons enfin les belles interventions des Chœurs de la Monnaie et la haute tenue de l’orchestre. Au pupitre Alain Altinoglu propose une direction fouillée avec des tempos retenus pendant l’acte de la poupée qui s’étire quelque peu en longueur. En revanche le trois est d’une tension dramatique extrême qui ne se relâche pas jusqu’au final, spectaculaire.