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Les métiers de l’opéra : régisseur, à la jonction de l’artistique et de la technique

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Actualité
29 octobre 2015

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Un opéra, ce sont des chanteurs, un orchestre, un chef et un metteur en scène. Mais la réussite d’un spectacle suppose aussi la présence de bien d’autres participants, dont le travail s’effectue le plus souvent dans l’ombre. Le régisseur est ainsi celui qui transmet en direct, aux machinistes et éclairagistes, toutes les instructions nécessaires au bon déroulement d’une représentation. Régisseur depuis une vingtaine d’années dans de nombreuses maisons d’opéra, Sophie Poyen nous livre les secrets de son métier, à la jonction de l’artistique et de la technique.

Le travail du régisseur se divise en deux grandes périodes. Pendant les répétitions, je suis le lien entre le metteur en scène et la technique. Ensuite, pendant les représentations, je « pilote » le spectacle depuis le « poste de commandement ». La régie d’opéra est un métier très spécifique, qu’on n’apprend nulle part. Dans les écoles de régie, on apprend le métier de régisseur de théâtre, qui est plus technique.  Et la grande différence, c’est qu’à l’opéra, le régisseur est censé savoir lire la musique.  « Censé », parce que certains ne savent pas… Ils sont parfois arrivés à ce poste par hasard, après avoir fait une tout autre carrière.

Pendant les répétitions

Dès le premier jour de répétition, le régisseur doit avoir une certaine connaissance de l’œuvre. On commence en général par une journée de musicales, avec piano. Tous les chanteurs sont assis, donc le régisseur doit avoir prévu des chaises pour tous, qu’il faut ranger par la suite. Quand démarre le travail avec le metteur en scène, le régisseur doit noter sur sa partition les entrées de tous les personnages : par quel plan ils entrent, avec quel costume et quel accessoire. On prend les notes au crayon, car jusqu’à la générale, tout peut changer. En ce qui concerne les mouvements du décor et les effets de lumières, après avoir tout inscrit sur la partition, le régisseur établit aussi des listes appelées « conduites » dont il fait une synthèse sur fichier Excel qui constitue la « bible » du spectacle.

En répétition, je dois aussi imposer une certaine discipline : souvent, il faut faire taire les personnes présentes, artistes ou techniciens. Je dois en outre indiquer l’heure de la pause, sujet plus important (et litigieux) qu’il n’y paraît. A la fin de chaque répétition, quand le metteur en scène annonce quelle scène il voudra répéter le lendemain, je dois faire en sorte que le décor correspondant soit mis en place par les techniciens, même s’il ne s’agit que de « leurres » en salle de répétition. Il faut aussi préparer les accessoires nécessaires au passage que l’on travaillera ; et convoquer tous les solistes, choristes et figurants pour qu’ils soient là à l’heure dite.

Le rôle du régisseur est aussi de faire en sorte que les solistes se sentent bien et aillent bien. En général on leur fournit un document quand ils arrivent, avec les coordonnées d’un bon ostéopathe, d’un bon ophtalmo, d’un bon dentiste… Les chanteurs savent qu’ils peuvent s’adresser au régisseur s’ils ont besoin de conseils que ce soit pour trouver un bon restaurant, un bon magasin ou pour trouver un logement plus proche du théâtre. Lorsque les solistes viennent pour la première fois dans une ville, le régisseur est leur interlocuteur principal.

Pendant les représentations

Quand les représentations commencent, le régisseur doit organiser les convocations maquillage, selon le temps nécessaire qu’a évalué la chef maquilleuse. Il faut établir une feuille des convocations et l’afficher partout. Le régisseur doit aussi indiquer les noms des artistes sur la porte des loges, et parfois fournir des bouteilles d’eau aux chanteurs. Le jour de la première, il faut distribuer à chacun le message de la direction (Toï Toï) et les bouquets éventuels. Avant le lever du rideau, le régisseur se charge aussi des appels en loge – début de la représentation dans 30 minutes, dans 15 minutes, dans 5 minutes – souvent en plusieurs langues, celle du pays et celle du chanteur. C’est aussi le régisseur général qui envoie le noir salle, qui envoie le chef en fosse, et qui fait démarrer le spectacle (après avoir reçu le feu vert de la salle) ; il doit consigner sur un registre l’heure de début et de la fin de la représentation, la durée de l’entracte, et les incidents éventuels.

Pour les représentations, dans les grandes maisons, le régisseur peut avoir deux assistants : il y a donc le régisseur général, le régisseur jardin et le régisseur cour. Les deux régisseurs de scène sont là pour indiquer leurs entrées aux chanteurs, au chœur et à la figuration. Ce sont les « yeux » du régisseur général qui, lui, ne voit pas ce qui se passe en coulisses : lors d’un changement précipité, ils lui signalent l’absence de tel chanteur, lui disent si le décor est prêt et s’il peut donner le feu vert au chef pour reprendre. Parfois, même si tout n’est pas prêt, le régisseur peut faire démarrer la musique s’il sait qu’il dispose encore de temps suffisant avant que le rideau se lève. Mais dans ce cas-là, on n’a pas droit à l’erreur !

La responsabilité la plus lourde du régisseur général est de toper les effets techniques, car chaque mouvement de décor est potentiellement dangereux, et de toper les effets lumière, car il y en a beaucoup. Le décor ne bouge en général pas trop, mais les éclairages évoluent presque constamment. Tous les « tops » sont précis, calés soit sur la musique, soit à vue : « 3e système, 2e mesure », par exemple, ou « quand untel s’assied ». Le plus ardu, c’est de suivre la partition tout en regardant ce qui se passe sur scène. Même quand il n’y a aucun top à donner, le régisseur doit toujours regarder la scène : en cas d’incendie, ou de chute d’un chanteur, c’est lui qui décide de baisser le rideau. C’est très rare, heureusement, mais la décision lui revient. Un régisseur général qui sort fumer une cigarette parce qu’il n’a rien à faire pendant un quart d’heure, c’est aberrant, mais ça arrive, et plus personne ne vérifie rien pendant ce temps-là ! Dans les plus petits théâtres, il arrive qu’une seule et même personne fasse tout à la fois, tops techniques, tops lumière, entrées à jardin et à cour, et même le lancement des surtitres, qu’on confie plutôt à un toppeur spécialisé, puisqu’il y en a constamment. En moyenne, sur un opéra d’une durée de deux heures et demie, on peut considérer qu’il y 700 tops surtitres, 100 tops lumière, 30 effets machinerie, plus les éventuels tops vidéo et tops sons.

Le poste de régie est en général assez proche de la scène (mais à Bruxelles, par exemple, il se trouve au fond de la salle, avec la régie lumière, ce qui empêche le régisseur d’intervenir en scène). C’est un  bureau avec un écran « retour scène » et « retour chef ». Après avoir donné chaque top au casque, le machiniste ou l’éclairagiste répond OK, mais il faut vérifier s’il l’a bel et bien fait. Le régisseur a le casque sur une oreille, pour entendre ce que lui disent les machinos et les électros ; de l’autre oreille, il suit la musique, ce qui est souvent difficile car il y a un flot ininterrompu de discussions de la part de la technique dans le casque.

Les soirs de stress

On peut dire que les appels et les tops du régisseur forment une sorte de musique parallèle à celle de l’orchestre. Quand le système est en place, c’est comme un métronome, et il suffit de changer un détail pour enrayer toute la machine. Entre régisseurs, on se dit souvent qu’on tolère un changement de top (à la demande du metteur en scène) un soir de générale, mais nous sommes censés refuser le soir de la première, pour beaucoup de raisons : ça n’a pas été essayé, donc le résultat est incertain, et surtout le changement peut avoir des conséquences imprévisibles. Pendant le spectacle Ombra felice, réunissant des airs de concert de Mozart, je me rappelle avoir eu une belle engueulade avec Ursel Herrmann, parce que, sans me prévenir, elle avait demandé à une machiniste d’ouvrir une trappe plus tôt que prévu, ce qui avait entraîné la chute d’un chanteur…

Il y a des spectacles où un régisseur est fier d’avoir relevé le défi. Dans mon cas, je pense à trois productions en particulier. Pour La Dame de Pique montée à Lyon par Peter Stein, il y avait tellement de tops à donner lors de la tempête à la fin du premier acte, tellement de choses à dire que j’avais fini par écrire sur ma partition les phrases entières que je devais prononcer dans le casque (du genre : « Attention, machinerie, on approche du mouvement de décor… ») et à partir du moment où je commençais, je n’arrêtais plus. C’était un moment stressant pour tout le monde : quand je disais « On approche de la tempête », j’entendais tout à coup un grand silence dans le casque !

Il y a eu aussi une production des Mamelles de Tirésias à Montpellier où, pendant l’ouverture, je donnais à peu près cinquante tops en trois minutes. Il y avait deux systèmes de rideaux, un horizontal et un vertical, qui s’ouvraient dans tous les sens, plus des effets lumière… Et enfin, il y a Le Consul de Menotti, à Herblay, parce que je devais tout faire : donner les tops habituels (lumière, technique et vidéo), plus mettre en marche un lecteur de CD pour lancer une bande enregistrée, et également lancer les surtitres via un clavier d’ordinateur… On se sent comme une pieuvre dans ce genre de situation ! Heureusement, il y avait une excellente ambiance, et lors d’une des dernières représentations, en réponse à chacun de mes tops numérotés, un des éclairagistes s’est mis à me lire (dans le casque) la description de chaque position correspondante du Kama Soutra !

Comme un moment de grâce

En tant que régisseur, il m’arrive de ressentir comme un moment de grâce : quand les chanteurs sont sur scène, avec toute la technique derrière, je m’approche du décor, j’ai l’œil gauche qui voit la scène et l’œil droit qui voit les coulisses. Et là je me dis, il n’y a que moi qui vois ça. Je ne suis ni technique ni artiste, je suis entre les deux et je vois les deux…

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