© Margaux Willems
Les nuits de Chéronne donnent de la voix
par Sylvain Angonin
Loin de l’agitation des grands festivals, seize chanteurs se sont isolés du 26 juillet au 4 août dans le Perche Sarthois, afin de travailler la technique du chant ainsi que le répertoire. Raphaël Sikorski est le fondateur de cette manifestation atypique baptisé Les Nuits de Chéronne.
L’ambiance était studieuse au Château de Chéronne durant la dernière semaine de juillet. L’équipe d’encadrement pédagogique et artistique, constituée de Raphaël Sikorski – coach vocal renommé (voir l’article que nous lui consacrions en avril dernier) – ainsi que de deux chefs de chant, Bertrand Halary et Ouri Bronchti, a fait travailler sans relâche seize chanteurs de différentes nationalités dont dix professionnels et six de niveau intermédiaire, tous sélectionnés sur audition. Mais que sont donc Les Nuits de Chéronne ? Axées sur la pédagogie de la voix, elles constituent avant tout une master classe de dix jours.
Chaque chanteur, accompagnés au piano par Bertrand Halary, travaille ainsi un répertoire – préparé un mois avant le festival – en bénéficiant de quatre séances de technique vocale avec Raphaël Sikorski. La respiration et le soutien, la dissociation de la langue, l’homogénéité des voyelles, la posture ou encore « l’énergie du sens » sont enseignés durant ces séances. Partant de sa connaissance parfaite de l’appareil vocal, le coach réussit à instaurer un climat de confiance avec les chanteurs : « J’ai toujours dit que je me sentais comme leur grand frère ». Soucieux de les rendre autonomes, il ajoute : « il faut les responsabiliser musicalement afin qu’ils fassent leurs propres choix musicaux. Il ne faut pas tout décider pour eux pour ne pas les brider, les bloquer. Ils doivent être attentifs aux volontés des chefs de chant, des pianistes ou encore des chefs d’orchestre qu’ils rencontreront ». Les chanteurs sont ainsi rassurés, aussi bien par le langage simple et précis de Raphaël Sikorski que par sa sincérité concernant par exemple le choix du répertoire. La preuve avec un jeune ténor de 21 ans à qui il déconseille pour le moment d’aborder des rôles lourds comme Cavaradossi.
En complément des cours de technique vocale, les chanteurs suivent également quatre séances de coaching avec le chef de chant Ouri Bronchti qui, comme Raphaël Sikorski, les guide avec clarté afin qu’il perfectionne leur musicalité, leur style puis leur interprétation. Ils travaillent les transitions, les respirations, ou encore les anticipations pour apprendre à créer une tension musicale. Jouer davantage avec le rythme ou se relâcher entre les phrases, sont quelques uns des nombreux conseils prodigués. Supervisée par les deux chefs de chant, la master classe consiste aussi chaque soir à préparer des ensembles ( duos, trios, quatuors…) en insistant sur la théâtralité et la communication entre les interprètes.
Si le festival réunit des chanteurs de niveaux différents, tous sont désireux de se perfectionner. Chacun peut ainsi suivre les leçons de leurs camarades puisque c’est aussi en observant et en écoutant les autres travailler que l’on apprend. Pour Raphaël Sikorski, « être à la campagne est propice à la concentration, au travail et à l’amitié ». C’est en effet dans une atmosphère familiale, sans une once de rivalité ou d’ego, que se déroule ce festival, avec le dévouement d’une équipe de bénévoles aux petits soins des artistes.
La complexité du chant s’avère souvent sous-estimée car méconnue. Pour mieux faire connaître cette discipline, une master classe publique, animée par Raphaël Sikorski, a réuni plus d’une cinquantaine de personnes désireuses de percer le secret de la voix. Les explications du fonctionnement mécanique des cordes vocales, suivies d’une démonstration par trois interprètes – un baryton, un ténor et un soprano – ont permis au public de découvrir « les coulisses de la voix », ainsi que les difficultés que rencontrent les chanteurs pour exercer leur art. Une prise de conscience bénéfique qui mériterait d’être largement diffusée afin d’éviter les réactions parfois virulentes à l’encontre des artistes lyriques.
Outre cette master classe, Les Nuits de Chéronne proposaient cette année deux concerts donnés par les professionnels dans l’église de Tuffé. Au centre d’un dispositif lumineux soigné, ils ont pu mettre en pratique les enseignements reçus durant ces dix jours de travail. Mais Raphaël Sikorski prend soin de préciser: « Je ne considère pas du tout ces concerts comme le résultat de fin de stage. Ce sont eux qui ont conditionné la sélection des dix chanteurs qui sont déjà professionnels et capables de s’insérer dans une programmation festivalière ».
Le premier de ces concerts est consacré à Mozart. L’air d’Illia (Idoménée) interprété par Angélique Pourreyron, soprano au chant pur et sonore, donne le ton. S’enchainent ensuite plusieurs numéros dont un extrait de L’Enlèvement au Sérail par Cécile Rives et « Dalla sua Pace » par un ténor à la voix d’or, Wladimir Bouckaert. Les ensembles ne sont pas en reste avec notamment le Duo Donna Anna / Don Ottavio, chanté par les talentueux Marie-Caroline Kfoury et Edouard Billaud ou encore le quintette de La Flûte Enchantée. Réunissant divers airs de compositeurs italiens, allemands et français, la deuxième soirée lyrique s’intitule Tous à l’opéra. L’interprétation enjouée par Fady Jeanbart de l’air de Figaro, « Largo al factotum » (Le Barbier de Séville), la saisissante incarnation d’Azucena par Joëlle Fleury ou encore le quatuor du IVe acte de Rigoletto ont été des moments forts, sans oublier l’air de Wolfram « O, du mein holder Abendstern » (Tannhäuser) magistralement exécuté par Sylvain Teston. Maria Mirante et Christophe Belliveau complètent avec brio cette distribution professionnelle à laquelle s’ajoutent les six chanteurs du niveau intermédiaire pour un tutti final largement applaudi.
Il ne nous reste plus qu’à souhaiter longue vie aux Nuits de Chéronne. Dans la continuation du travail vocal qui caractérise ce festival, la présence l’année prochaine d’une star du chant lyrique ainsi que la création d’une production en version scénique sont à l’étude, à condition bien sûr de réunir des fonds publics ou privés, indispensables pour réaliser ces projets.