« Le grand défaut de la musique de M. Bizet est de manquer de style ou plutôt de les avoir tous », écrivait Emmanuel Chabrier, à propos des Pêcheurs de perles. C’est juger sévèrement une œuvre de jeunesse, certes imprégnée d’influences diverses mais d’où saillit à maintes reprises le génie du futur compositeur de Carmen. On sait qu’un certain nombre de libertés furent prises avec la partition après la mort de Bizet pour la rendre plus efficace. A rebours de l’usage, Nancy retourne à la version originale, ce qui, de fait, n’est pas rendre service à l’ouvrage tant le duo du 3e acte ainsi rétabli (« O lumière sainte ») parait musicalement mièvre et dramatiquement malvenu. N’aurait-il pas mieux valu enchaîner directement la scène « sombres divinités » avec le finale, comme l’impose – à juste titre – la tradition ? Et si l’on veut respecter la partition d’origine, pourquoi avoir remplacé la seconde partie du duo entre Nadir et Zurga au premier acte (le fameux « au fond du temple saint ») par une reprise du motif de la Déesse, conformément cette fois à une mauvaise habitude ? De tels choix n’aident pas à surmonter les pièges tendus par l’œuvre et par son interprétation.
Dans le même article, daté du 12 octobre 1863, Emmanuel Chabrier louait l’originalité de l’instrumentation, qui valut à l’époque aux Pêcheurs de perles d’être accusé de wagnérisme. En ce soir de première, Rani Calderon semble moins préoccupé de couleurs orchestrales que de régler les derniers détails d’une lecture en quête d’expression. Les représentations suivantes devraient notamment aider à équilibrer le rapport entre voix et instruments. Malmenées par une écriture capricieuse, voire sauvage tant le jeune Bizet lorgne sur Verdi dès qu’il s’agit de chœurs, les forces chorales combinées de l’Opéra national de Lorraine et l’Opéra-Théatre de Metz Métropole pourront, elles aussi, mettre à profit les prochaines représentations si elles veulent gagner en nuances et en cohésion.
Pour ne rien arranger, Jean-François Lapointe, qui interprète le rôle de Zurga, souffre d’une bronchite. Le baryton a cependant tenu à honorer son contrat. Un pupitre placé dans un coin de scène signale qu’à tout moment Julien Véronèse, appelé le matin même à la rescousse, pourra lui prêter sa voix. Son intervention ne sera pas nécessaire. Si ce choix, courageux, assure la crédibilité théâtrale de la représentation, il n’est pas sans conséquence musicale. Seul l’air « O Nadir, tendre ami » laisse deviner l’arête tranchante du chant, la franchise de la diction, l’éclat mat du bronze, bref tout ce que l’on aurait pu avoir et que l’on n’a pas eu.
© Opéra national de Lorraine
Contraltino rossinien égaré dans l’opéra français qu’il interprète sans accent malgré ses origines uruguayennes, Edgardo Rocha offre à Nadir une émission haute et un juste usage de la voix mixte, indispensable pour ciseler la romance du premier acte. Mais, d’une puissance moindre, le charme délicat du ténor se dissout dans les ensembles. Cette voix légère n’est pas non plus la mieux assortie au soprano lyrique de Vannina Santoni, Leila d’abord hésitante dans les vocalises si belliniennes de « Ah, chante, chante encore ! » puis de plus en plus épanouie au fur et à mesure qu’elle s’installe dans le rôle. Le deuxième acte révèle un chant lumineux et toujours intelligible, avec quelques aigus filés du meilleur effet, tandis que le troisième, plus dramatique, rappelle s’il en était besoin combien la jeune vestale demeure vulnérable. Dans un rôle assez tendu pour une voix de basse, Jean Teitgen campe un Nourabad que la présence inquiétante et la clarté de la prononciation tirent de l’obscurité imposée par le livret.
Soit « Monde réel, brutal et dangereux » avec des scènes de foule dont on apprécie la fluidité, soit « parenthèse imaginaires loin de la violence du monde » avec des images d’une beauté épurée, la mise en scène d’Emmanuelle Bastet choisit de raconter l’histoire simplement à l’aide de gestes et de lumières. Son propos ne bute qu’en fin de représentation sur les faiblesses d’un dénouement dont Emmanuel Chabrier déjà raillait l’insignifiance : « Intitulez cet ouvrage La pêche aux harengs ou Les pêcheurs d’huitres et l’intérêt n’y perdra rien, vu qu’il n’a rien à perdre ». On n’était pas tendre à l’époque. Le public nancéen, moins intraitable, réserve en fin de représentation un triomphe à l’ensemble des artistes.