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Lettres de ses amis à Patrick Davin

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Actualité
15 septembre 2020
Lettres de ses amis à Patrick Davin

Infos sur l’œuvre

Détails

La disparition de Patrick Davin en Belgique a été vécue comme un cataclysme. L’homme était jeune – 58 ans – , en pleine forme, il s’apprêtait à diriger une création mondiale à La Monnaie et allait prendre les rênes du domaine musical du Conservatoire Royal de Liège.

Il était, par ailleurs, le trait d’union entre les anciens qui avaient contribué à son éclosion, ses contemporains dont il avait créé les œuvres et la jeune génération, dont il avait guidé les premiers pas sur scène. José van Dam, Sophie Karthäuser, Jodie Devos ou Anne-Catherine Gillet l’ont sans cesse cotoyé pendant leur carrière. Il a dirigé les opéras de Philippe Boesmans, de Kris Defoort, de Benoît Mernier et de Pierre Bartholomée, les compositeurs les plus importants du Royaume.

Surtout, il s’était fait une place pérenne dans des institutions qui, habituellement, ne s’échangent pas leurs attaquants de pointe : l’Opéra Royal de Wallonie, La Monnaie ou l’Orchestre Philharmonique Royal de Liège. Aujourd’hui, à l’invitation de Forumopera.com, quatre de ses amis, quatre de ses collègues, lui adressent une lettre. 

Philippe Boesmans, compositeur

Cher Patrick,
Quand on perd un ami, une personne précieuse il est dit d’habitude dans les discours : « tu es toujours parmi nous » et plus souvent encore quand il s’agît d’un compositeur ou d’un chef d’orchestre.
Mais Patrick, même avec tous les souvenirs que tu nous as laissés (interviews, enregistrements,…) tu n’es plus parmi nous.
On n’entendra plus ton humour … On ne profitera plus de ton énergie flegmatique qui rassurait tout le monde …
On ne sera plus jamais réconforté par tes encouragements aux compositeurs ou aux interprètes angoissés …
Notre peine est immense et malheureusement tu nous manqueras jusqu’à la fin de nos vies.
Philippe

Sylvain Cambreling, chef d’orchestre, ancien directeur musical de La Monnaie

Mon cher Patrick,
Quelle blague nous as-tu fait, encore ?
Que peuvent bien vouloir dire ces phrases désabusées, sur ce ton distant, dans cet accent particulier qui te caractérise ; quelles sont ces phrases que tu nous aurais dites ? « Je m’absente un moment ; vous vous débrouillerez très bien sans moi ».
Ais-je bien entendu ? Nous nous débrouillerons, certes, mais pas sans toi ! Nous entendrons encore longtemps tes conseils amusants, amusés – musés je ne sais où – qui nous parviendront en un lointain écho.
Quel qu’en soit le but, je te souhaite un bon voyage.
Sylvain

Benoît Mernier, compositeur et organiste

Cher Patrick,
Nos routes se sont croisées pour la première fois à Liège, au Conservatoire en 1983 ou 1984. Tu étais un peu plus âgé que moi. Tu faisais partie des « grands frères » : ceux que l’on admire mais sans jamais sentir dans ces échanges le poids du savoir ou de l’expérience des maîtres qui peut parfois intimider.
Le vivier que constituait le Conservatoire de Liège à cette époque et que, par ta nomination récente au poste de directeur du département musique, tu promettais de raviver à ta manière, était le lieu de rencontres humaines et artistiques extrêmement fécondes.
Les portes étaient grande ouvertes. Il y avait des appels d’air venant de partout et énormément d’enthousiasme ; aussi des utopies marquées toujours par l’espoir. Tu t’es nourri de cela et tu as développé cet esprit dans tout ce que tu as entrepris par la suite mais aussi avec une conscience vive des choses, comme par exemple le danger du « provincialisme » dont tu m’avais un jour parlé. (Cela tu l’avais appris de Célestin Deliège m’avais-tu dit). Le provincialisme c’était en fait pour toi, je pense, l’idée confortable de se satisfaire de ce que l’on connaît. Dans les échanges que nous avons eus depuis cette époque, tu me surprenais toujours car tu avais toujours un regard d’avance sur les choses. Ton œil, tes oreilles, ton goût et ta curiosité insatiable portaient ce regard toujours au-delà. Et pourtant tu avais un sens très pragmatique : comment gérer une répétition, son timing, son énergie. J’ai beaucoup appris de toi à cet égard. Tu avais dirigé ma première pièce instrumentale avec tes amis de l’ensemble Synonyme, tous étudiants encore au Conservatoire de Liège, puis plus tard ma toute première pièce symphonique avec l’Orchestre de la Monnaie. Je me souviens, comment tu m’avais rassuré au sortir de la première répétition avec un généreux : « t’tracasse, ça va aller » agrémenté par ton accent et ton humour décalé qui n’appartenaient qu’à toi. Aussi parce que tu savais « où » et « comment aller » avec ce « bon sens musical » que je comprenais comme « l’évidence ». Cela était ta marque de fabrique si utile et nécessaire pour faire de l’opéra. Tu m’as beaucoup appris aussi lors de l’aventure de mon opéra La dispute. Ton regard qui portait loin, visait en fait le résultat final à obtenir au-delà des écueils inévitables. Cet objectif, cette cible que tu avais toujours en vue, tu faisais en sorte que les moyens pour y arriver contournent les difficultés. Car oui, l’opéra est une aventure difficile mais tu l’abordais avec légèreté et confiance.
J’ai eu la chance aussi de prendre ta succession comme professeur d’analyse à Liège et là aussi, j’ai beaucoup appris de toi. Ton amour de la musique que tu abordais, cet enthousiasme passionné face aux œuvres dont tu parlais et que tu dirigeais étaient sans doute la plus belle des leçons. Et là aussi, ton pragmatisme exprimé souvent par des aphorismes de ton cru faisait toujours mouche parce qu’il dévoilait la clarté et l’éloquence au-delà de la complexité.
Merci cher Patrick pour tout cela !
Tu vas nous manquer beaucoup, mais tu vas rester présent dans le cœur et l’esprit de tous les gens qui ont eu la chance de te côtoyer et de travailler avec toi.
Merci cher Patrick !
Benoît

Bernard Foccroulle, compositeur et ancien directeur général de La Monnaie

Cher Patrick,
Je suis toujours sous le choc. Le choc de ce départ si brutal, si inattendu, si difficile à accepter…
Les souvenirs se bousculent, des plus anciens – notre complicité autour de l’analyse musicale, de Célestin Deliège et de la musique contemporaine au Conservatoire de Liège, dans les années 1980 – aux plus récents : tu t’interrogeais encore il y a quelques mois sur l’opportunité de présenter ta candidature à la direction de ce même conservatoire.
Tu m’as toujours donné l’image d’un surdoué, au violon, devant un ensemble de chambre ou un orchestre symphonique. Ou devant une partition particulièrement compliquée dont tu perçais les difficultés sans effort apparent.
Il y a eu cet enchaînement de productions d’opéra : la complicité lors du Couronnement de Poppée (Monteverdi-Boesmans-Bondy) où, avec Benoît Mernier et toi,  nous nous retrouvions dans la fosse de la Monnaie et à Nanterre, au clavecin, à l’harmonium et au synthétiseur. Il y a eu Reigen de Philippe Boesmans, dont tu as dirigé la reprise après avoir assisté Sylvain Cambreling sur la création. Et puis toutes ces créations où tu as tant donné de toi-même, aux compositeurs, aux chanteurs, aux musiciens : les opéras de Philippe Boesmans dont tu étais si proche, de Wintermärchen à Pinocchio en passant par la création mondiale de Au Monde, mais aussi La Dispute de Benoît Mernier, Sleeping Beauties de Kris Defoort, Nous sommes éternels de Pierre Bartholomée, et j’en passe. Je me souviens également à la Monnaie de Il Trionfo dell’Onore de Scarlatti, Orphée aux enfers d’Offenbach, The Turn of the Screw de Britten…
Tu étais chez toi dans tous les répertoires, dans toutes les situations, et dans toutes les maisons qui t’accueillaient et te réinvitaient.
J’avais un plaisir toujours renouvelé à te retrouver souriant, gourmand, maniant l’humour pour dire les choses importantes et profondes, avec humanité.
En ce début septembre, tu venais de prendre tes fonctions au Conservatoire de Liège, tu portais un projet qui devait rassembler et relancer la dynamique de cette maison où nous avions connu de si beaux moments, tu y étais attendu comme un sauveur… Quelle tristesse !
Et pourtant, la tristesse n’est pas de mise, car tu étais plein de joie et d’énergie positive : essayons donc d’être fidèles à ta mémoire, en harmonie avec ta belle énergie.
J’ai une pensée particulière pour Marie-Paule, Azalaïs et Margaux. Je pense aussi à toutes celles et ceux qui ont croisé ta route, bénéficié de ta chaleur humaine, de ton talent, de ta bienveillance.
Notre chemin ne sera pas tout à fait le même sans ta présence, cher Patrick ; mais ton souvenir ne cessera de nous accompagner.
Merci pour tout !
Bernard

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