Un mode d’emploi pour Verdi, est-ce bien nécessaire ? L’œuvre du plus célèbre des compositeurs italiens n’est-elle pas assez immédiate pour se passer d’explications ? Analyses et études ne sont-elles pas superfétatoires quand il suffit de se laisser porter par le flot mélodique d’un récit qui ne s’embarrasse pas de second degré. Traviata, Nabucco, Rigoletto, Aida : la popularité de ces opéras parle d’elle-même. Laissons plutôt les exégètes se pencher sur la musique de son exact contemporain, Wagner, dont on va aussi beaucoup débattre en 2013. Là il y a du boulot, de la théorie, un système complexe établi sur des fondations philosophiques d’une portée supérieure, une vision. Mais Verdi, non, inutile d’être accompagné dans son écoute, on va se débrouiller tout seul. C’est ce genre de propos qui, pendant plus d’un demi-siècle, a valu au compositeur d’Il Trovatore d’être déconsidéré par une majorité de mélomanes. Une musique trop facile, populaire, pire : vulgaire. Ce discours est aujourd’hui – Dieu merci – dépassé.
Le volume que nous propose l’Avant-Scène Opéra à l’approche de la célébration du bicentenaire de la naissance de Verdi nous prouve au contraire que trois-cent pages ne suffisent pas si l’on veut appréhender dans toute sa richesse l’univers d’un musicien qui a révolutionné l’opéra italien – et l’opéra tout court d’ailleurs. C’est une approche forcément superficielle qu’impose le format de la collection : la biographie expédiée en six pages, les vingt-sept opéras inventoriés en deux pages pour les œuvres mineures, en quatre à douze pour les autres, les quarante grands chanteurs et vingt grands chefs verdiens balayés en 300 signes chacun, un peu plus – 500 à 600 – pour les seize mises en scènes retenues. Sans parler des discographies, vidéographies, bibliographies obligatoirement sélectives. Comment prétendre à l’exhaustivité en si peu de place ? Et comment, dans ces conditions, éviter que le lecteur un tant soit peu averti ne reste sur sa faim.
A défaut, reconnaissons que l’essentiel est là et saluons mieux qu’un travail de synthèse, la manière dont Chantal Cazaux a su dégager et organiser les lignes de force d’une œuvre majuscule : le sens de la dramaturgie, la part de l’histoire individuelle et collective, le slancio – cet élan passionnel qui innerve chacune des partitions –, les thèmes récurrents : la filiation, le destin, la marginalité, le patriotisme… Puis, comme il est impossible de brosser un portrait complet dans ces conditions, on apprécie ce qui parfois ailleurs nous irrite : la subjectivité, une partialité qui pousse Chantal Cazaux à consacrer autant de pages à Stiffelio qu’à Luisa Miller, à ne pas citer un seul chanteur français (Alagna n’avait-il pas mieux sa place que Gheorghiu dans la liste des grandes voix verdiennes), à préférer Kabaivanska à Cerquetti (il n’y a pourtant pas photo, non ?), Ricciarelli à Freni (là pour le coup, on serait plutôt d’accord), Et Warren ? et Zancanaro ? Et Fischer-Dieskau ? Et Vickers ? Et Varady ? Le débat est sans fin…
Dans les guides d’écoute qui trop souvent paraphrasent le synopsis ou dans l’analyse de chaque opéra (baptisée curieusement « les enjeux »), on devine immédiatement où vont les préférences de Chantal Cazaux. Et tant mieux, c’est ce qui fait l’intérêt de cet opuscule. Non pas une approche universitaire mais une immersion volontaire et enthousiaste. Une forme de dictionnaire non pas savant mais amoureux. Un amour que l’on partage, ô combien !