Tous ceux qu’écœure le folklore vénitien autour de Vivaldi ou qui ne se sont jamais remis d’avoir vu au cinéma Vivaldi, un prince à Venise trouveront dans ce livre des plus sérieux un peu de baume pour panser leurs plaies. « Pour moi, l’Orlando Furioso, enregistré en 1977 chez Erato […], sorti de gorges aussi fabuleuses que celles de Marilyn Horne et de Victoria de Los Angeles […] représenta plus qu’une révélation : un bouleversement esthétique et émotif ». Nous voilà rassurés dès les premières pages de ce livre, Sylvie Mamy ne fait pas partie de ceux pour qui les opéras ne sont qu’un aspect secondaire de la production de Vivaldi. Auteur d’articles et d’ouvrages sur Venise et la musique italienne au XVIIIe siècle, et d’un « Que sais-je ? » sur Les Castrats (1998), elle marche ici sur les traces de plusieurs musicologues français, notamment Marcel Marnat, dont l’ouvrage paru en 1965 chez Seghers fait maintenant figure d’antiquité, puisqu’il remonte à une époque où les opéras du compositeur vénitien étaient aussi négligés que ses Quatre saisons étaient ressassées. Sylvie Mamy reconnaît surtout sa dette envers Michael Talbot, dont le Vivaldi (1978) n’a jamais été traduit en français, et cite à de nombreuses reprises « les récents ouvrages exhaustifs de Reinhard Strohm ».
A force de recherches minutieuses dans les archives d’Europe et d’Amérique, il est aujourd’hui possible de reconstituer la carrière publique de Vivaldi, qui se déroula principalement en Vénétie, mais avec des escapades à Florence, à Milan ou à Rome, avant de se terminer à Vienne. En revanche, la vie privée du compositeur reste un mystère des plus opaques, mystère auquel, fort heureusement, Sylvie Mamy ne prétend pas remédier en laissant libre cours à son imagination. Les 47 opéras de Vivaldi rythment donc ce volume, et c’est autour d’eux que le parcours du compositeur s’articule, bien davantage qu’autour de sa musique de chambre ou même sacrée. Le nombre de pages accordé à chaque œuvre lyrique est variable. Dans une approche qui paraît presque plus littéraire que musicologique, Sylvie Mamy raconte en détail l’intrigue – même quand la musique a été perdue ! – et aborde les principaux airs. On peut s’étonner de cette insistance sur le livret dans la mesure où ces « créations » reposaient en partie sur le recyclage de partitions antérieures ou d’autres compositeurs, les arias étant réinsérées, parfois au mépris de tout souci dramatique. On rêve alors d’un tableau synoptique qui permettrait de suivre le parcours de chaque air, repris dans une dizaine d’opéras successifs.
Par ailleurs, l’opéra étant le domaine où notre perception de Vivaldi a le plus changé au cours des vingt dernières années, le mélomane aurait aimé quelques pages de plus sur cet aspect de la « Vivaldi Renaissance » rapidement abordée en introduction. Il ne trouvera pas non plus ici de discographie, mais appréciera en revanche le catalogue complet des œuvres, la consistante bibliographie et les index des noms et des œuvres. On déplore des coquilles assez fréquentes, et l’on s’étonne de quelques bizarreries de lexique, qui tiennent peut-être au recours à des sources non francophones (l’emploi du mot « fantasme » dans son sens italien de spectre, l’usage du mot « Hall » dans son sens anglais de grande salle d’un château, pour évoquer le décor de tel opéra). Malgré tout, on tient là un solide volume de référence sur un compositeur en pleine redécouverte.