De Vincenzo Bellini (1801-1835), Richard Wagner critiquait « la coupe de sa musique, ses crescendos réguliers suivant le thème, ses tutti, ses cadenze et autres manières toutes italiennes, qui nous mettent fort en rage ». A son exemple, une fraction de mélomanes continue de vouer aux gémonies le compositeur de Norma. A écouter les notes s’égrener en arpèges scolaires tout au long de ses partitions comme des gouttelettes d’eau sur une toile d’araignée, on serait presque tenté de leur donner raison si réduire la musique de Bellini à la pureté de sa ligne mélodique ne s’avérait finalement aussi simpliste que l’orchestration de ses opéras.
Auteurs déjà d’un Rossini aux éditions Actes Sud, le tandem Jean et Jean-Philippe Thiellay – le père, agrégé d’histoire, professeur honoraire de Première supérieure, et le fils, conseiller d’état, collaborateur historique de Forumopera.com – entreprennent de partir à l’encontre des nombreuses idées reçues qui, aujourd’hui encore, parasitent l’image du catanese. Croisade courageuse dont on sent, à les lire, qu’elle fut traversée de doutes et d’interrogations. La vie du compositeur sicilien, mort à 34 ans à Puteaux, n’est pas un roman. Il faut d’un côté trouver à intéresser à partir d’une matière famélique, et de l’autre répondre aux attentes engendrées par une destinée on ne peut plus romantique. La beauté saisissante de Bellini, son caractère ombrageux, sa mort mystérieuse et prématurée, à l’exemple d’une de ses plus grandes interprètes, Maria Malibran, ont contribué à créer et à entretenir un mythe qui au contraire, de ses homologues – Rossini, Donizetti – n’a connu aucune véritable éclipse.
Double défi donc que les auteurs ont relevé en cinq chapitres : quatre biographiques, des années de formation à Catane jusqu’au crépuscule parisien, et un, plus analytique. C’est ce dernier chapitre qui retient davantage l’attention. Si vivant et documenté soit-il, le récit de la vie de Bellini ne peut concurrencer la somme que représente en français l’ouvrage de Pierre Brunel (Vincenzo Bellini, Fayard, 1981). La collection Actes SudClassica impose un nombre de pages contraire à toute volonté encyclopédique. Sa qualité première est celle de la synthèse. Tous les faits sont là, tous les opéras commentés comme ils se doivent – il n’y en a que 10. L’héritage bellinien, analysé ensuite, propose un regard lucide sur l’art du compositeur. Et si l’harmonie orchestrale sommaire pointée du doigt par les détracteurs de Bellini était un choix délibéré, destiné à mettre en valeur ce qui fait la force de sa musique : la voix et la mélodie ? Bizet, invité à réorchestrer Norma, se déclara incapable de faire mieux. Et si Bellini n’avait pas été foudroyé par une tumeur intestinale dans la force de l’âge ? Loin de toute tentation uchronique, les Thiellay citent alors Piotr Kaminski qui, dans ses Mille et un opéras (Fayard), relève que Verdi, mort à 34 ans, n’aurait été pour la postérité rien d’autre que l’auteur de Nabucco, Ernani et Attila. Voilà qui remet les pendules à l’heure.