Un « mode d’emploi » pour aborder Offenbach, vraiment ? Pour Wagner ou Janáček, soit, mais pour « le petit Mozart des Champs-Elysées » ? Le public francophone a-t-il besoin qu’on le prenne par la main avant d’aller voir La Belle Hélène ou La Vie parisienne ? Autant de questions auxquelles le nouveau volume publié par L’Avant-Scène Opéra répond par l’affirmative, et avec raison.
D’abord, en dehors des cinq grands titres connus de la plupart des mélomanes, l’œuvre d’Offenbach est riche en coins et recoins longtemps désertés, que les maisons d’opéra ont enfin entrepris d’épousseter. Sur les 97 (!) titres répertoriés en fin de volume, composés par le père de La Périchole entre 1847 et 1881, le Mode d’Emploi de l’ASO en examine trente, jugés « incontournables », et l’on imagine que seuls les fanatiques convaincus d’avance en sont déjà familiers. Même en ayant suivi avec attention les récentes résurrections (Le Roi Carotte à Lyon en, Madame Favart à l’Opéra Comique en juin dernier…), on trouvera sans doute encore à découvrir, et des œuvres comme Les Bavards ou Madame l’Archiduc semblent encore attendre leur reprise scénique. Une discographie détaillée permettra aux plus assidus de combler leurs lacunes, à condition d’être prêts à supporter le « timbre ingrat » (l’expression revient à plusieurs reprises) de telle ou telle chanteuse et les « phalanges de deuxième ordre », ou de déplorer l’absence au catalogue d’ouvrages pourtant marquants.
Selon une méthode qui a fait ses preuves, le volume ASO propose pour chaque œuvre un certain nombre de rubriques : les lieu et date de la première avec les interprètes, « Genèse et création », « Résumé », un « Guide d’écoute » qui signale les points saillants de la partition, « Les personnages » et « Les enjeux ». La longueur de chaque entrée varie selon l’importance du titre en question : 10 pages pour le chef-d’œuvre qu’est Les Contes d’Hoffmann, 8 pages pour Orphée aux enfers et les autres classiques (sauf La Périchole, limitée à 6 pages), 6 pages pour des œuvres au statut intermédiaire comme Geneviève de Brabant ou Les Fées du Rhin, 4 pages pour les raretés ambitieuses comme Fantasio ou Robinson Crusoé, 2 pages seulement pour les opérettes en un acte (le Guide d’écoute cède alors la place à de plus brefs « Repères d’écoute »). Evidemment, on pourra toujours regretter certaines absences (Barkouf ou Croquefer, par exemple), mais il fallait bien faire une sélection.
Auteur d’articles dans plusieurs numéros de L’Avant-Scène Opéra, Louis Bilodeau a intégralement rédigé le présent volume, où l’on reconnaît notamment son intérêt pour le thème de la conspiration, qu’il avait traité à propos de La Grande-Duchesse de Gérolstein. Outre une biographie d’Offenbach et une étude sur le genre opérette, il propose l’examen de « 20 grandes voix », « 10 grands chefs » et « 10 grandes productions ». A propos des voix, on appréciera la franchise de cet avertissement : « La liste qui suit reflète forcément nos goûts personnels. Nous avons dû faire des choix souvent déchirants et n’avons retenu que des artistes ayant chanté sur scène au moins un rôle d’Offenbach ». La dernière des vingt voix étant Natalie Dessay, on attend encore la relève en matière de chant offenbachien. Côté productions, on pourra préférer pour Les Brigands la mise en scène de Jérôme Deschamps à celle de Louis Erlo, mais ce n’est qu’un détail.
En plus de la discographie déjà mentionnée, ce Mode d’emploi propose aussi une vidéographie, dont on s’étonne qu’elle soit « d’une pauvreté affligeante » mais les éditeurs manquent toujours autant d’imagination et d’audace, ainsi qu’une bibliographie et deux index. Outre une iconographie très riche, qui va des gravures d’époque aux photographies des productions les plus récentes, le volume inclut aussi, comme c’est désormais la règle avec L’Avant-Scène Opéra, une liste d’extraits audio à écouter en streaming.
Même si l’année du bicentenaire touche à sa fin, Offenbach continuera à être joué, et pas seulement à travers ses titres les plus donnés, heureusement : Fantasio est repris fin 2020 à l’Opéra Comique, et Laurent Pelly doit prochainement monter Robinson Crusoé à Berlin, donc l’exhumation des raretés est loin d’être terminée. Autrement dit, la belle boîte à outils de l’ASO a toutes les chances de s’avérer utile longtemps.