Comment interprétait-on Offenbach à la création de ses œuvres ? Comment le compositeur et directeur de théâtre choisissait-il ses interprètes ? Comment la transmission de leurs interprétations s’est-elle faite jusqu’à nous ? La personnalité des créateurs peut-elle encore influencer les interprètes d’aujourd’hui ? Voilà quelques-unes des questions que l’on se pose concernant les chanteurs d’Offenbach, qui ont eu un rôle fondamental dans son succès, sans que souvent on les connaisse très bien. Oubliés ? Non pour certains, oui pour la plupart, mais bien difficiles à définir et à cerner en l’absence d’enregistrements sonores. Le gros livre de Dominique Ghesquière vient donc combler une lacune importante, en essayant d’éclairer – ou du moins de sortir de l’ombre – beaucoup de ces figures du passé.
Fragment de peinture antique qui sera trouvé vers l’an de grâce 2867 sous les ruines du théâtre des Variétés (La Lune, 3e année, n° 46, 20 janvier 1867, page de titre), Illustration p. 216.
Figures de premier plan pour certaines – la postérité a retenu notamment Zulma Bouffar, Désiré, Léonce, Hervé ou Hortense Schneider –, elles n’avaient pas d’exclusivité pour Offenbach, et participaient à bien d’autres productions, que ce soit dans ses théâtres successifs ou dans d’autres. Ce que l’auteur entend par « la troupe » de Jacques Offenbach, c’est donc à la fois les interprètes de ses œuvres, et ceux qu’il engageait pour les œuvres d’autres compositeurs qu’il montait, et non une troupe permanente au sens théâtral moderne. Ces artistes étaient choisis par le maître en adéquation avec des rôles précis, pour leurs qualités vocales, la qualité de leur prononciation, leur sens du théâtre et du jeu dramatique, leurs dons comiques, pour certains leur physique atypique, et souvent aussi pour leur notoriété. Parfois même, il a pu composer des airs en pensant à tel ou tel interprète. Ceux-ci nous sont connus à la fois par des articles de presse, par la photographie, et plus encore par l’image et la caricature. L’ouvrage propose d’ailleurs une belle iconographie dont un cahier central en couleurs (mais quelle curieuse idée que de faire figurer dans les légendes les dimensions du document original, indication lourde et sans grand sens pour le lecteur non professionnel).
Ce copieux livre de 460 pages se compose donc pour l’essentiel de 22 notices d’interprètes rangées alphabétiquement, après une courte introduction de 14 pages, et avant un chapitre consacré à la troupe viennoise, une courte chute du rideau et une non moins courte chronologie. Mais ces notices sont plus des biographies, qui paraîtront à beaucoup trop longues et hors sujet, avec notamment la vie familiale des artistes, leurs ascendants et descendants, la liste complète de leurs rôles, tout un ensemble très détaillé et qui a fait l’objet très certainement d’énormes et longues recherches, mais qui nous entraîne souvent assez loin d’Offenbach… On voit s’y dessiner, d’une manière un peu trop aléatoire et éclatée, la vie des théâtres, des coulisses, des tournées, les querelles et les jalousies, la camaraderie et l’entraide, mais tout cela est un peu trop émietté. Peut-être est-ce fondamentalement la forme de construction de l’ouvrage qui est en cause, d’autant qu’avec seulement 22 chanteurs (ou familles de chanteurs), on est bien loin du compte, et que tous les autres sont simplement cités souvent un peu à l’éparpille (mais on peut néanmoins les retrouver grâce au copieux index des noms de personnes).
Ce livre de circonstance a-t-il donc vraiment sa raison d’être ? Oui, sans hésiter, car on y trouve de nombreux éléments inédits absents de toute encyclopédie y compris Wikipédia ! Un livre qui ravira donc les spécialistes et ceux qui ont déjà une bonne connaissance de la période et du sujet, mais qui risque de déconcerter quelque peu le grand public. D’autant que le texte y est parfois un peu elliptique, au point qu’il faille relire deux fois un paragraphe pour être sûr d’avoir bien suivi le développement entre les œuvres d’Offenbach et celles d’autres compositeurs qui sont jouées dans ses théâtres. On regrettera aussi une relecture un peu trop superficielle qui aurait pu facilement éviter des fautes typographiques, et surtout l’absence d’un index des titres d’œuvres, qui aurait rendu les plus grands services. En conclusion, un livre attachant qui devra obligatoirement figurer dans toutes les bibliothèques des amoureux d’Offenbach.