On pourrait penser que tout a été dit, ou plus exactement qu’il ne nous reste rien à apprendre, sur Giacomo Puccini (1858-1924). La personnalité de l’homme – égoïste, jouisseur, bourgeois –, le nombre réduit de ses compositions – dix opéras en tout et pour tout –, leur popularité – leur servilité préciseraient quelques esprits grincheux – offrent peu à disserter. D’autant que l’on ne compte plus les ouvrages qui traitent déjà du sujet. La bibliographie à la fin de ce volume recense les meilleurs d’entre eux1, citant d’abord et à raison Mille et un opéras de Piotr Kaminski (Fayard).
Ce bilan liminaire, Sylvain Fort le dresse aussi avant de proposer une approche différente : « présenter Puccini à travers ses aspérités, non dans le cours uniforme d’une chronologie déjà faite mainte fois, et donner à réfléchir plutôt que narrer linéairement une vie parmi d’autres ». Les sceptiques (qui sont souvent les grincheux évoqués plus haut) en seront pour leurs frais.
Car Sylvain Fort est un prestidigitateur qui, à partir de lieux communs, fait surgir des idées qui n’avaient jusqu’alors jamais effleuré notre esprit et qui s’imposent ensuite comme des évidences. Puccini, bourreau des cœurs, Puccini épigone de Wagner, Puccini successeur de Verdi… Sylvain Fort ne s’arrête pas à ces clichés. Il ne les évite pas non plus. Il s’en saisit, les épluche et les presse un par un pour en exprimer le nectar dont il nous régale. Dans son approche, Sylvain Fort n’aime rien tant que provoquer pour mieux démontrer. Bousculer le lecteur dans ses certitudes afin de l’interpeller puis, une fois son attention captée, l’entraîner dans le flux de sa pensée jusqu’à le convaincre. Puccini et Flaubert, même combat. Puccini joyeux drille. Puccini compositeur vériste au même titre que ses petits camarades Mascagni, Leoncavallo, Franchetti, etc. Sylvain Fort est un agitateur d’idées pour reprendre un slogan publicitaire qui aujourd’hui s’applique mieux à l’auteur de ce livre qu’à la marque pour laquelle, à l’origine, il fut inventé.
Sylvain Fort est aussi un avocat mais là encore à rebours de l’usage. A l’accusation de facilité, la plainte la plus souvent portée à l’encontre de Puccini, il n’aligne pas, comme bon nombre de ses prédécesseurs, un flot d’arguments. Il concède, mieux il admet, pour, magistral, asséner en conclusion que la difficulté n’a jamais été un critère esthétique.
Sylvain Fort est un portraitiste, non seulement lorsque, pendant deux pages, il décrit Puccini à partir de différentes photographies mais aussi quand, au fil du texte, il glisse une remarque, souligne un détail qui, peu à peu, dessinent mieux la personnalité du musicien que ne le ferait la plus détaillée des descriptions.
Sylvain Fort, et c’est peut-être par là que nous aurions dû commencer, est un journaliste dont le talent s’épanouit d’abord dans la forme brève. Un sujet, un angle, un développement et, en conclusion, la formule qui à chaque fois fait mouche. Une somme d’articles plutôt qu’une narration linéaire, ainsi qu’il prévient le lecteur en préambule. Dans une autre collection, on aurait fait de son texte un dictionnaire amoureux. Et l’on aurait eu raison. Exception à cette règle : la deuxième partie de son livre qui, en étudiant les thèmes de vie, de mensonge et de mort dans l’œuvre de Puccini, s’apparente davantage à un essai. C’est peut-être pourquoi elle éblouit moins. S’il y a un point faible à relever (outre la préface de Roberto Alagna), ce sera d’ailleurs celui-ci : la construction inégale du texte en trois parties dissemblables dont le passage de l’une à l’autre ne se fait pas naturellement. Sans doute parce que Sylvain Fort n’est ni un musicologue, ni un scientifique qui dissèque et analyse selon une logique imparable. Sylvain Fort n’est pas un cartésien.
Sylvain Fort est un écrivain, dont la séduction de la phrase et le sens de l’effet présentent d’ailleurs des affinités avec la musique de Puccini. Est-ce un hasard ? Ceux qui lisent son édito ici-même chaque mois connaissent la force de son style : son souffle, son enthousiasme, ce mélange savant de panache et de sensibilité qui fait de lui un mousquetaire de l’art lyrique. Lire ses considérations sur Puccini, c’est non seulement s’instruire mais aussi sacrifier au plaisir de la lecture, goûter le choix des mots, la liberté du syntagme, la virtuosité de la forme. Une phrase au hasard : « Avec Puccini, l’opéra italien renaît parce qu’il retrouve des personnages capables, par leur propre vibration sensible, de nourrir et justifier autre chose – cette femme qui attend en scrutant l’horizon et se berce d’illusions, il fallait autre chose que le langage verdien pour en dire les fibrillations secrètes ». Sylvain Fort est un enchanteur.
Christophe Rizoud
1 Liste à laquelle on ajoutera les numéros que L’Avant-Scène Opéra a consacré à une œuvre de Puccini, sept au total : Turandot, Le Triptyque, La Fille du Far West, Manon Lescaut , Madame Butterfly, La Bohème, Tosca. Outre la bibliographie, comme tous les volumes de la collection « Classica », cet ouvrage est enrichi d’une chronologie et d’une discographie.