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L’Or du Rhin en direct du MET : halte au progrès ?

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Actualité
11 octobre 2010

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On n’arrête pas le progrès. Depuis 2006, les mélomanes du monde entier – ou presque – peuvent assister en direct aux représentations du Metropolitan Opera de New York dans l’une des 1500 salles de cinéma qui participent à l’opération. L’Or du Rhin ouvrait samedi dernier la saison 2010-2011. Caméras haute définition, son labellisé « 5.1 » se plaçaient cette fois au service d’une mise en scène signée Robert Lepage qui, elle aussi, ne lésine pas sur les nouvelles technologies. Et si justement il fallait arrêter le progrès ?

  

Samedi 9 octobre, dix-huit heures trente, Gaumont Opéra, boulevard des Italiens, Paris. Les passagers à destination du Metropolitan Opera de New York sont priés d’embarquer le plus rapidement possible. Trente minutes avant le décollage, les meilleures places sont déjà occupées. Mieux vaut arriver le plus tôt possible si l’on ne veut pas se rabattre sur les premiers rangs ou sur le côté.

Déroutant : nous sommes à la fois au cinéma et à l’opéra et nous n’y sommes pas. On ne retrouve d’ailleurs ni le public de l’un, ni le public de l’autre. Plus âgé et plus jeune. Moins sport et moins chic. Sans l’odeur de pop corn qui ponctue la séance, ni la confusion des parfums qui embaume le parterre. Sans l’obscurité de la salle, ni le scintillement des lustres. Etonnamment calme. Quelques chuchotements mais rien à voir avec le bourdonnement de ruche qui, à l’opéra, précède le lever de rideau. Ce qu’il manque le plus ? Le brouillamini sonore des instruments qui s’accordent.

 

Dix-neuf heures. La soirée débute par un reportage en coulisses. Deborah Voigt, Brünnhilde dans La Walkyrie à venir, interroge Bryn Terfel, qui interprète le rôle de Wotan pour la première fois sur la scène du Met. Perruque frisottante dont une mèche cache à propos l’œil borgne, biceps à l’air et gants de cuir, le roi des dieux ressemble à Ozzy Osbourne. Plus trash encore, Stéphanie Blythe en arrière plan, enserrée dans une robe fleurie. La longueur des faux-cils de Deborah Voigt achève de camper le décor. Tout ce petit monde badine comme si le trac n’existait pas. Les dialogues ne sont pas sous-titrés. Le temps peut sembler long à celui qui ne comprend pas l’anglais. On voit des extraits des répétitions. On explique le fonctionnement des machines. L’opéra n’a pas commencé que déjà le ballet en apesanteur des filles du Rhin n’a plus de secret pour nous. Prodiges de technique. Mais en dévoilant les rouages du spectacle, on nous prive de ce qui, entre autres, fait son prix : la magie.

 

Dix-neuf heures vingt : James Levine entre en fosse. L’accord de mi bémol majeur emplit la salle et déjà on voudrait réduire le volume. Trop fort ! La partition de L’Or du Rhin n’est pas celle d’Harry Potter (même si certains costumes peuvent prêter à confusion, nous y reviendrons). Les cent trente sept mesures immobiles qui ouvrent le Ring sont le meilleur moyen de jauger une acoustique. Ici, le son, frontal, n’enveloppe pas comme dans un théâtre. Privée de profondeur et de relief, l’oreille reste à la surface, limitée à deux dimensions. Cette impression de plan plutôt que d’espace sonore est encore plus flagrante dès que les voix entrent en jeu. Toutes égales en puissance quelles que soient leur nature et leur position sur le plateau. Très déstabilisant. On en veut pour preuve les huées qui accueillent aux saluts Richard Croft. Son Loge, façonné à l’aune d’un autre répertoire (Haendel, Gluck, Mozart) peut paraître trop élégant mais de là à le conspuer. Seule explication : une question de volume, trop confidentiel pour le format de l’orchestre et la taille de la salle. Sans ces huées, nous ne l’aurions pas soupçonné. Difficile alors de juger de la qualité des chanteurs quand la phonogénie fait d’abord la différence. Quel crédit porter à l’Alberich d’Eric Owens dont la voix crève l’écran, au point d’éclipser le Wotan – remarquable pourtant – de Bryn Terfel ? Quel est le véritable impact du chant de Stéphanie Blythe ? Une palette de couleurs incroyable, une présence vocale exceptionnelle, divine avec ce qu’il faut d’acrimonie et de séduction pour incarner une Fricka comme on n’en avait jamais entendue. Le public du Met a-t-il eu la même impression ? Nous ne le saurons pas.

 


La descente au Nibelung © Ken Howard/AP

 

Pas plus que nous saurons quelle mine faisait Wotan pendant que Fafner assommait Fasolt. C’est là l’autre limite du système. De même que l’oreille est contrainte par les micros, l’œil demeure prisonnier de la caméra. Collé au cadre de scène dès le début de l’opéra quand il aimerait prendre du recul pour juger de la perspective, obligé de suivre un parcours imposé, assujetti le plus souvent à des premiers plans que, s’il avait pu, il n’aurait pas choisis. Captif.

D’autant que ce qu’on nous donne à voir n’est pas à la hauteur de nos attentes. Le Rossignol cet été à Aix-en-Provence a fait naître trop d’espoirs. A défaut de psychologie, terrain sur lequel Robert Lepage ne veut pas s’aventurer, on pensait retrouver dans L’Or du Rhin la poésie qui inondait le conte lyrique de Stravinski. Et l’on s’en réjouissait. On nous promettait aussi des moyens high tech et l’on se disait qu’ils seraient utilisés ici avec la même ingéniosité que les marionnettes d’eau du Rossignol. Or, à l’exception de la scène du Rhin et de la descente au Nibelung, époustouflantes de virtuosité verticale, la machinerie autour de laquelle s’articule le spectacle n’apporte pas la solution à tous les problèmes de représentation que pose le premier volet de La Tétralogie : l’arrivée des géants, le rapt de Freia, le paiement de la rançon, etc. Quelques effets réussis (les transformations d’Alberich) ne rachètent pas la lourdeur d’un dispositif dont Robert Lepage abuse. Et finalement, on retrouve ici le même défaut que dans des mises en scène plus intellectuelles, une idée de départ – le mur articulé – qui vampirise la réalisation jusqu’à l’entraver. Même la montée au Walhalla, noyée de lasers, rate son coup. Quant à la poésie attendue : décors et costumes, dans leur parti-pris d’Heroic fantasy, ne sont pas seulement laids ; en faisant de Fasolt le sosie de Rubeus Hagrid (l’éleveur de dragons dans Harry Potter), ils touchent au ridicule.

 

Alors faut-il arrêter le progrès ? La réponse est non bien évidemment. Malgré ce que l’on vient d’écrire. Malgré les limites auxquelles se heurte la technologie dès qu’il s’agit de traduire le merveilleux d’un livret, d’une partition et des deux conjugués. Malgré la frustration que peut éprouver l’habitué des maisons d’opéra à pratiquer l’art lyrique au cinéma. Non, dans la mesure où la technologie n’est pas une fin mais un moyen. Un moyen d’ouvrir l’opéra au plus grand nombre, dans des villes où il n’aurait sinon pas droit de cité. Un moyen pour les béotiens et les timides de franchir le pas. Un moyen de pousser les murs des maisons d’opéra sans construire de nouveaux bâtiments gigantesques à l’intérieur desquels le spectacle se dénature. Et argument encore plus irréfutable pour un art fragile entre tous : un moyen de survie.

 

L’Or du Rhin de Richard Wagner

Mis en scène par Robert Lepage et dirigé par James Levine, Avec Wendy Bryn Harmer (Freia), Stephanie Blythe (Fricka), Patricia Bardon (Erda), Richard Croft (Loge), Gerhard Siegel (Mime), Bryn Terfel (Wotan), Eric Owens (Alberich), Franz-Josef Selig (Fasolt), Hans-Peter König (Fafner).

 

Prochaine retransmission : Boris Godounov de Modest Moussorgski le samedi 23 octobre 2010 à 18h00

 

L’intégralité du programme de la saison 2010-2011 se trouve sur www.cielecran.com

 

 

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