Accompagnés d’une nouvelle identité visuelle et d’une « pléiade » de rendez-vous, sept titres se partageront l’affiche : La Fille de Madame Angot (du 17/9 au 5/10), Macbeth Underworld (du 6 au 12/11), Fantasio (du 13 au 23/12), L’Autre Voyage (du 1 au 11/2), Pulcinella & L’Heure espagnole (du 9 au 19/3), Archipel(s) (du 25/4 au 5/5) et Armide (du 17 au 25/6). Plus d’informations sur opera-comique.com
Vous êtes immergé dans les répétitions de Carmen, un opéra que vous avez dirigé plusieurs dizaines de fois…
En fait, je n’ai dirigé que deux productions, une à Glyndebourne pour mes adieux aux tournées du festival et puis une à New York, plusieurs années de suite, mais toujours la même production. A chaque fois que je reprends une œuvre, ou quasiment à chaque fois, je pars d’une partition vierge que j’annote. Les annotations servent surtout à mémoriser. J’aime bien repartir de zéro. Forcément, je connais l’œuvre, mais il s’agit d’une autre proposition. Je viens de diriger cinq séances de répétition de Carmen avec l’Orchestre des Champs-Elysées. Les réflexes ne sont pas les mêmes qu’avec un orchestre sur instruments modernes. A chaque fois, l’alchimie est nouvelle.
Vous êtes souvent présenté comme un « ardent défenseur du répertoire lyrique français ». N’est-ce pas réducteur ?
Oui, forcément. J’ai un rapport privilégié avec des œuvres plutôt qu’avec un style ou une école. J’aime la spécificité des œuvres. Mais j’ai grandi avec le répertoire de l’Opéra Comique, avec l’alternance du parlé et du chanté comme Carmen, ou la fusion du parlé et du chanté comme Pelléas. Il ne s’agit pas seulement de passer du parlé au chanté ; il faut partir du postulat de base que la pièce de théâtre est aussi importante que la musique. Pelléas n’est pas un livret mais une œuvre conçue d’abord pour le théâtre et mise ensuite en musique. Idem pour L’Heure Espagnole. Les Mamelles de Tirésias ont été écrites à l’origine par Apollinaire. La Voix humaine, c’est Cocteau. Fantasio, que nous remontons la saison prochaine, c’est Musset. On croit trop souvent que le metteur en scène s’occupe de ce que l’on voit ; le chef de ce qu’on entend. En fait c’est l’inverse. Le chef d’orchestre doit rendre le théâtre vivant et délivrer la force théâtrale d’une œuvre, par la musique, évidemment. Le metteur en scène doit rendre le spectateur sensible à la musique, à la musique des corps, à la musique du texte.
À Florence en 2018, le metteur en scène Léo Muscato dénonçait le féminicide, en prenant l’opéra de Bizet à rebours. Carmen devenait l’assassin et Don José la victime. Détourner l’argument d’une œuvre pour transmettre un message, est-ce un parti-pris que vous pourriez envisager sur la scène de l’Opéra Comique ?
Pas du tout. Parler d’un féminicide n’est pas en faire l’apologie. Absolument pas. Si on veut raconter autre chose que ce que raconte l’œuvre, mieux vaut en écrire une nouvelle. Dans ce cas, que faire de l’air du catalogue dans Don Giovanni ?
Ce genre de question se pose pour beaucoup d’œuvres….
Inévitablement, du moment où il y a tension. Mais s’il n’y a pas de tension, on raconte quoi ? Nous ne nous servons pas des œuvres pour dire des choses qu’elles ne contiennent pas. Après, il existe tout un champ des possibles. J’ai dirigé la création de la production du Don Giovanni de Tcherniakov à Aix-en-Provence. Il y avait des moments inoubliables. « La ci darem la mano » où on voit Zerline qui s’allonge…
C’est un peu ce que j’ai ressenti avec Hamlet mis en scène par Warlikowski à La Bastille. Il y a des moments de théâtre fantastiques, même si on n’adhère pas à la proposition.
Je ne l’ai pas vu malheureusement. Je suis heureux que cet opéra fasse aujourd’hui partie du répertoire, après un long purgatoire. Ce n’est pas du Shakespeare. Non, indubitablement. Mais Falstaff de Verdi, est-ce du Shakespeare ?
Et Faust de Gounod, du Goethe ?
Et Onéguine, du Pouchkine? Le premier des dramaturges, c’est le compositeur. Et mon travail est de faire en sorte que ce que l’on entend, ce que l’on dit et la manière de le dire soient en phase avec ce que le compositeur a voulu en faire.
Vous tournez la page de Cincinnati l’an prochain après en avoir dirigé dix années l’Orchestre Symphonique. Que rapportez-vous des Etats-Unis ?
L’efficacité. Time is money. Plus que cela d’ailleurs. Aux Etats-Unis, il n’y a pas de ministère de la Culture. Il y a un rapport humain qui est le ciment d’une institution avec son public, avec ses donateurs, ses mécènes. Je trouve ce sentiment galvanisant, en tout cas inspirant. Chacun doit à sa place prendre soin de de l’institution et la partager. L’orchestre Symphonique de Cincinnati, ce n’est pas seulement les musiciens sur scène ; ce n’est pas seulement l’équipe administrative ou technique autour ; c’est aussi le public. Acheter un billet représente un geste de soutien à l’institution ou à l’association, peu importe. En France, lorsque vous décidez d’aller au concert, lorsque vous achetez une place, c’est parce que vous aimez l’orchestre, ou la salle, ou le soliste, ou le programme, ou le chef, enfin plein de choses et vous pouvez les aimer passionnément. Mais vous n’avez pas l’impression qu’en achetant un billet, vous soutenez l’institution.
Création, découverte, répertoire. 2023-24, votre première saison complète, s’inscrit dans la continuité de celles proposées par Olivier Mantei et Jérôme Deschamps. Comment comptez-vous vous démarquer des mandatures précédentes ?
Première saison complète, oui, même si Macbeth Underworld est une coproduction avec la Monnaie. L’œuvre devait être montée à l’Opéra Comique du temps d’Olivier Mantei. Elle fait partie de la programmation stoppée par le Covid. Fantasio avait été monté au Châtelet durant les travaux de rénovation de l’Opéra Comique. Je n’aime pas que les directeurs d’orchestre, d’opéra ou de théâtre fassent croire que l’institution commence avec eux. L’Opéra Comique a un héritage de de trois cents ans. Sans Olivier et sans Jérôme Deschamps, je ne serais pas venu. Je n’aurais pas même eu l’idée de présenter ma candidature. C’est parce que Jérôme m’a invité sur Fortunio et Pelléas… C’est parce que Olivier m’a invité sur Le Comte Ory et Hamlet… J’ai découvert le bonheur de travailler dans cette maison. Il y a le lieu. Il y a l’acoustique. Il y a la taille du théâtre, le rapport scène salle. Et puis l’âme d’un théâtre, ce sont aussi les gens qui y travaillent. Trois mille opéras créés en trois cents ans, c’est stupéfiant. Autre chose aussi : ici on n’oppose pas la tradition et la création, ou plutôt la tradition, c’est la création, que ce soit dans des genres, dans des styles, dans des œuvres.
Chaque directeur apporte malgré tout sa touche personnelle. Quelle est ou sera la vôtre ?
Je crois aux vertus de l’alternance. Jérôme est un homme de théâtre. Olivier est un producteur au flair artistique extraordinaire. Et moi, je suis un musicien. Certains cuisiniers ouvrent dix restaurants et font des cartes absolument formidables. Moi, j’aime faire la carte et être en cuisine. J’arrive à un âge où la transmission est importante pour moi, essentielle. C’est la raison pour laquelle je continue et que je vais tout faire pour développer la Maîtrise populaire. Voilà un rêve devenu réalité. Quand on voit que 60% des Maîtrisiens et Maîtrisiennes viennent de REP+ et qu’ils ont pour l’instant 100 % de réussite au bac… L’Opéra Comique est un théâtre national, donc un théâtre de la République. C’est un théâtre qui nous appartient tous. C’est à nous d’en faire quelque chose de plus grand que la musique elle-même ou que les œuvres elles-mêmes, de raconter quelque chose de fort et de fédérateur. Si tous les Maîtrisiens et Maîtrisiennes ne deviendront pas de grands chanteurs ou chanteuses, ils seront de meilleurs citoyens. Et chanter ensemble…. Vous êtes obligé d’écouter l’autre. Vous êtes obligé de de répondre à l’autre, de vous opposer ou au contraire de vous accorder. Nous vivons dans un monde où les gens parlent mais ne se parlent pas. On se sert de ce que dit l’autre pour être en contradiction permanente. Et en musique, ce n’est pas possible. En musique, on est obligés de vivre ensemble. Vous ne pouvez pas bien jouer si vous négligez le groupe. C’est une école de civisme. A l’Opéra, on vous parle des dieux grecs, des empereurs romains et des déesses égyptiennes. A l’Opéra-Comique, on nous parle de nous. Mélisande n’est pas une princesse, Carmen n’est pas une princesse. Manon n’est pas une princesse. Il y a le grand répertoire, grand dans tous les sens du terme, où se manifeste sur scène la représentation du pouvoir. Mais voir et avoir des œuvres qui vous parlent de vous, cela me touche.
La saison prochaine, vous dirigerez L’Heure Espagnole en diptyque avec Pulcinella. Peut-on à la fois conduire un orchestre et une institution lyrique ?
Ce n’est pas évident. Actuellement, j’ai six heures de répétition par jour. Je crois que je n’ai jamais autant travaillé de ma vie. Rares sont les jours où je quitte mon bureau avant une heure du matin, voire plus tard.
Votre nouvelle saison se caractérise par les « pléiades », une offre de spectacles plurielle autour d’un même ouvrage.
La saison de l’Opéra Comique compte traditionnellement sept à huit productions sur scène. L’idée est de développer l’offre, ne pas rester dans l’entre soi. Ces pléiades permettront d’approfondir, de renforcer, de rehausser une production. Donc il y aura des masterclasses, il y aura des concerts, il y aura des récitals, il y aura des colloques, il y aura des rencontres. Et oui, je veux le développer absolument.
Et l’Académie ?
Dans cette maison, il y a eu un choc énorme qui a transformé une partie de l’histoire de la musique récente. C’est Atys. Tout d’un coup, on s’est rendu compte que le succès de la musique baroque française dépendait de son interprétation – ce qui n’est pas par exemple le cas des opéras de Haendel. Kathleen Ferrier chantait « Ombra mai fù ». C’est sublime. Le chante-t-on encore comme cela maintenant ? Non, mais enfin, l’œuvre de Haendel peut accueillir beaucoup d’interprétations différentes. Avec Atys, William Christie tout d’un coup a fait prendre conscience de la force incroyable de cette salle. Parce qu’à la fin des années 70, il était tout de même question de transformer l’Opéra Comique en parking. Tout cela pour dire que le succès des œuvres dépend aussi de leur interprétation. Là intervient l’Académie, un pôle d’excellence artistique autour du chant français et de l’art du parlé-chanté. En France, nous avons perdu la fluidité de passage du parlé au chanté. Donc souvent, on parle sur scène comme on chante. Jusqu’en 1946, le Conservatoire de Paris était le Conservatoire de musique et d’art dramatique. Acteurs et chanteurs partageaient les mêmes cours d’escrime ou d’éloquence. Il suffit de parler plus haut et c’est tellement juste. Je le dis et redis. C’est aussi simple et aussi complexe que ça. Plus haut en tessiture, plus haut en émotion, plus haut en spiritualité. L’Espagne avec la zarzuzela, l’Allemagne avec le Singspiel, les pays anglo-saxons avec la comédie musicale ont, je trouve, mieux gardé cette tradition. En France, les textes parlés deviennent le plus souvent des textes de liaison entre des morceaux musicaux.
A propos de la déclamation, d’autres partenariats en faveur de la mélodie et des jeunes voix, à l’exemple de celui établi cette saison avec l’Instant Lyrique, sont-ils prévus ?
Nous comptons organiser ce type de rendez-vous avec les Académiciens et Académiciennes. Leur audition de recrutement comprend une mélodie en français et un poème au choix, un air d’opéra et une scène de théâtre. Nous avons des chanteurs d’aujourd’hui – Sabine Devieilhe, Stéphane Degout… – qui ont cette sensibilité à la poésie. Mais comment rendre sensible les spectateurs ? Là est ma mission.
Question difficile pour terminer : s’il vous fallait recommander un – et un seul – spectacle de la saison prochaine à quelqu’un qui n’a jamais mis les pieds à l’opéra, lequel choisiriez-vous ?
Fantasio peut être. On s’attend à voir de l’opérette, alors qu’Offenbach était un compositeur romantique contrarié – je cite Agnès Terrier. Il a eu effectivement ce succès incroyable en tant que compositeur d’opérette. Mais si vous n’aimez que la musique baroque, très bien, venez voir Armide. Si au contraire, vous ne jurez que par la musique contemporaine, venez voir Macbeth de Pascal Dusapin. Emmenez vos enfants voir Archipel(s) composé par Isabelle Aboulker sur un livret d’Adrien Borne, avec les Maîtrisiens et les Maîtrisiennes. Si vous n’aimez que la musique romantique mais que vous voulez découvrir des choses, venez voir L’Autre Voyage. Là aussi, on est dans l’innovation et dans la création.
D’après Schubert ?
Oui, Raphaël Pichon et Silvia Costa ont exhumé des partitions oubliées. Schubert a écrit tellement d’œuvres inachevées. Mais, Fantasio serait peut-être l’œuvre la plus directement accessible et la plus typique du genre opéra-comique. Il y a encore beaucoup de personnes, des compositeurs même, qui pensent qu’un opéra-comique doit être amusant. Louis XIV a créé trois institutions : le théâtre où on chante qui est l’Opéra, le théâtre où on parle qui est à la Comédie française, et le théâtre où on parle et on chante qui est l’Opéra Comique. C’est un faux ami, raison pour laquelle j’ai voulu que dans notre nouveau logo « Opéra » et « Comique » aient la même taille. On va au Comique. Dans les années 90, on allait à Favart. Maintenant, il faut qu’on aille à l’Opéra Comique.