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Lucien Muratore, le ténorissimo marseillais

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Actualité
17 septembre 2012

Infos sur l’œuvre

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D’ascendance piémontaise, Lucien Muratore naît le 29 août 1876 à Marseille. Il étudie d’abord le saxophone et le basson et se destine au métier d’acteur. Il aurait ainsi joué au Théâtre des Variétés, à Paris, au Casino de Monte-Carlo, et aurait été le partenaire de Sarah Bernhardt avant d’entrer dans la troupe de Réjane à l’Odéon. Après un passage par le Conservatoire de Paris, sur le conseil d’Emma Calvé, lui qui se croyait baryton se découvre ténor. Il fait ses débuts en tant que chanteur le 16 décembre 1902, à l’Opéra-Comique, dans le rôle de Louis XIV, aux côtés de Calvé, pour la création de La Carmélite de Reynaldo Hahn. Malgré l’échec de cet opéra, qui raconte le parcours de Louise de La Vallière, Muratore entame une brillante carrière lyrique. Dès 1904, il est Werther à La Monnaie, et en avril 1905 il est Renaud dans l’Armide de Gluck au Palais Garnier (Félia Litvinne, sa partenaire, l’y trouve « délicieux »). Il devient bientôt « le ténor indispensable de la musique moderne ». En 1904 déjà, il enregistre quelques airs pour la firme Edison.

 

En 1906, Muratore interprète le rôle de Thésée dans Ariane de Massenet. Aucun opéra du compositeur n’a plus été créé à l’Opéra de Paris depuis Thaïs en 1894. L’événement est donc très attendu, mais n’est finalement qu’un demi-succès. A cette époque où les principaux chanteurs apportaient encore leur propre costume, Massenet invite par lettre le ténor à examiner la coiffure de Thésée dans un alors célèbre groupe sculpté : « regardez la coiffure du Thésée dans le bronze Thésée et le minotaure de Barye. Quel caractère ! que ce serait beau et énergique et vrai ! ». Muratore allait plus tard devenir célèbre notamment pour son érudition en matière de costume historique, et il semble qu’il ait continué à concevoir lui-même ses propres tenues de scène, à partir de sa bibliothèque richement fournie dans ce domaine. Hélas, comme le montrent les photographies, le résultat final rappelle davantage le jeune Michel Simon qu’un demi-dieu grec. Le ténor est pourtant salué comme un Thésée « charmeur et valeureux » dont l’énergie et la sincérité conquièrent le public (Le Monde Artiste). Dans la foulée, il enregistre pour l’Association Phonique des Grands Artistes récemment fondée quatre extraits de cet opéra : un premier arioso, « Le bonheur qui t’est cher », « Ô vierge guerrière » et l’air de la folie de Thésée.

                                                             

Mais Ariane n’est que le premier volet de ce que Massenet et son librettiste, Catulle Mendès, ont conçu comme un diptyque. Conformément à la mythologie, Bacchus doit prolonger le parcours de l’héroïne antique. Alors que Massenet s’attaque à l’écriture de la partition, la distribution est déjà arrêtée : Lucienne Bréval y reprendra le rôle d’Ariane, et Muratore sera logiquement Bacchus, le dieu qu’Ariane à Naxos prend d’abord pour Thésée (Massenet écrit d’ailleurs au ténor des lettres commençant par « Cher Bacchus »). La création, toujours à l’Opéra de Paris, en 1909, est cette fois un véritable échec, qu’on a pu attribuer à plusieurs causes : une cabale contre Mendès qui venait de mourir et contre lequel la critique pouvait donc se déchaîner, ou le caractère musicalement très déconcertant de l’œuvre, avec notamment de longs passages en mélodrame. L’Illustration du 6 mai 1909 indique qu’ « on a beaucoup applaudi M. Muratore, en Bacchus, et Mme Bréval, en Ariane » – Muratore aurait même été « le triomphateur de cette soirée » (Comoedia, 6 mai 1909), tandis que Gil Blas commente : « Le roi des ténors d’aujourd’hui a remporté là le plus beau triomphe qu’il ait encore obtenu dans sa carrière aussi brillante que rapide » (6 mai 1909). Le 12 juin de la même année, Le Ménestrel publie la partition de morceaux choisis de Bacchus : « Voici une dernière page de l’opéra Bacchus, celle-ci chantée remarquablement par l’excellent ténor Muratore : ‘La vie est dans le monde !’ Elle était aussi dans la voix du célèbre artiste et toute l’assistance était suspendue à ses lèvres, quand il déclamait les belles strophes de Catulle Mendès, soulignées par l’admirable musique de Massenet ».

                

Le rôle de Bacchus lui collant décidément à la peau, Muratore retrouve le personnage dès septembre 1909 : pour la Fête des Vendages à Bordeaux, il crée Bacchus triomphant, opéra de Camille Erlanger, sur un livret de Henri Cain. « C’était très beau : on nous promena en chars attelés de bœufs, dans la grande arène qui était comble », se souvient Felia Litvinne. Muratore y fut apparemment un inoubliable Bacchus.

                                           

Le 13 janvier 1909, Muratore avait assuré l’un des rôles principaux dans Monna Vanna d’Henry Février, dont il partage l’affiche avec Lucienne Bréval et Vanni-Marcoux. Toujours associé à la musique « contemporaine », Muratore participe en mai 1910 à la création française de Salomé. Richard Strauss avait exigé Lucienne Bréval pour le rôle-titre (il obtiendra Mary Garden), Muratore et Francisque Delmas pour être respectivement Hérode et Jokanaan, le tout sous la direction d’André Messager. Le 14 mars 1911, à Monte-Carlo, puis le 22 novembre à Paris, il est Nessus dans Déjanire, le dernier opéra de Saint-Saëns, où il retrouve Félia Litvinne qui voyait en lui « un incomparable artiste ». Massenet ne l’oublie pas et lui réserve le rôle de Lentulus dans Roma, créé à Monte-Carlo le 17 février 1912, et à Paris le 24 avril. La presse salue une voix magnifique, une belle prestance, un héroïsme jamais forcé. Selon un compte rendu cité par Massenet dansMes souvenirs, « M. Muratore, qui est un ténor de grand opéra, de superbe allure et de voix généreuse, a campé le rôle de Lentulus avec une vigueur et une mâle beauté qui lui ont conquis tous les cœurs et qui, à Paris comme ici, lui vaudront un éclatant et mémorable triomphe ». 
Pour la reprise de Fervaal (l’opéra de D’Indy avait été créé à Paris en 1898), Muratore tient le rôle-titre mais, après la répétition générale du 31 décembre 1912, Lucienne Bréval se trouvant indisposée, la première est repoussée au 8 janvier 1913, puis ne connaît que quatre autres représentations avant la fin du mois. Le 1er février 1913, Marcel Proust écrit à Reynaldo Hahn : « Quant à Fervaal je ne sais ce qui s’est passé mais les jours où on devait le donner on a joué à la place Salomé ou Aida, une autre fois Faust, puis le Sortilège et enfin on annonce le départ en congé de Muratore (« superbe Fervaal »). A moins d’être Bréval, on peut accepter de chanter un opéra de d’Indy sans crainte d’être surmené! » Le 10 mai 1913, Muratore reprend au Théâtre des Champs-Elysées le rôle d’Ulysse dans la Pénélope de Fauré, créé à Monte-Carlo par Charles Rousselière.

                                                              

Muratore interprète aussi régulièrement le répertoire : il est un Don José très apprécié, et son incarnation de Faust semble avoir particulièrement marqué les esprits. « Avec ses traits fortement sculptés, la barre de ses noirs sourcils, sa lourde mâchoire et sa bouche sensuelle, Muratore était le portrait vivant de ces savants rêveurs qu’Holbein a peints, en toque et houppelande, devant des sphères et des mappemondes : le visage idéal du docteur Faust – mais aussi impressionnant en Samson ou en Thésée grâce à sa magnifique plastique. Muratore était réputé pour être l’un des meilleurs acteurs en scène. Et pourtant c’était lui qui répétait après Diderot : ‘Faites les moins de gestes que vous pourrez ; cela nuit à l’énergie et détruit la noblesse’ » (Oliver Merlin, Le Chant des sirènes : le Bel Canto, 1969).

      

La renommée de Muratore va prendre une ampleur plus internationale lorsqu’il deviendra le mari de « la plus belle femme du monde », la soprano italienne Lina Cavalieri. C’est à l’été 1911 qu’ils chantent pour la première fois ensemble, dans Siberia de Giordano, à Paris. En janvier 1912, il la suit à Saint-Pétersbourg où elle devait notamment chanter Thaïs. En avril 1912, leur mariage est annoncé (Muratore avait d’abord été marié à la mezzo-soprano Marguerite Bériza). En mai, une tournée aux Etats-Unis était prévue, mais n’a pas lieu. Les époux auraient également dû assurer la création de Francesca da Rimini à Boston en février 1913 (il était même question d’un film muet d’après l’opéra de Zandonai) ; ce spectacle ne fut pas donné, mais Muratore fit quand même ses débuts bostoniens plus tard dans l’année. En 1914, Cavalieri et Muratore tournent ensemble dans un film muet réalisé par Herbert Hall Winslow, Manon Lescaut (Cavalierie a chanté avec succès l’héroïne de Massenet, et Des Grieux était au répertoire de Muratore). 

                                    
En juin 1914, la première à New York est annoncée en ces termes : « The Incomparable Cavalieri, the World’s Most Famous Beauty – and Lucien Muratore, the Great French Tenor and Lyric Actor ». Pendant la Première Guerre mondiale, la carrière de Muratore se déroule principalement de l’autre côté de l’Atlantique, où il milite en faveur de l’intervention militaire américaine dans le conflit : outre Boston, il se produit à Buenos-Aires, à New York, et il chante surtout à Chicago de 1913 à 1922. Un litige l’y oppose à Mary Garden : celle-ci était peut-être jalouse de Cavalieri avec qui elle devait partager le rôle de Thaïs, Muratore ayant exigé que son épouse (dont il se séparera en 1919) soit engagée en même temps que lui.

                                                       
Après la guerre, Muratore loue un train pour chanter les hymnes nationaux alliés devant les foules enthousiastes, puis revient à l’Opéra de Paris en 1920. Dans les années 1930, il est maire du village de Biot (Alpes-Maritimes). Il fait ses adieux à la scène en 1932 à l’Opéra-comique dans une reprise de Pénélope. En 1931, il aurait même chanté dans Orphée aux Enfers au Théâtre Mogador… Le cinéma parlant offre alors une deuxième, ou troisième carrière, à celui qui avait débuté comme acteur de théâtre. Avec Cavalieri, Muratore a tourné en Italie deux films dirigés par Emilio Ghione, La Sposa della morte (1915) et La Rosa di Granada (1916). 

                                       
En 1924, il joue un rôle dans La Galerie des monstres, de Jaque Catelain, mais c’est dans les années 1930 qu’il devient une vedette chantante du grand écran, avec trois films. Dans Le Chanteur inconnu (1931) de Victor Tourjansky, avec Simone Simon et Simone Cerdon, il connaît un grand succès avec la chanson « Puisque je t’aime ». En 1933 sortent Le Chant du destin, de Jean-René Legrand, où il est un gondolier vénitien, et La Voix sans visage, de Léo Mittler, où il joue un chanteur accusé de meurtre, avec Vera Korène et Simone Bourday.

                                            

La Deuxième Guerre mondiale ajoute une conclusion peu glorieuse à la carrière publique de Muratore. En 1944, la Réunion des Théâtres Lyriques Nationaux est dissoute, Jacques Rouché est licencié. Le ministre des finances fait renvoyer Max d’Ollone, ancien élève de Massenet, et confie l’Opéra-Comique à Muratore, qui donne des cours de chant à l’épouse du ministre. A partir du 15 avril 1944, Muratore prend possession des lieux. « Muratore multiplie les engagements en dépit du bon sens, mettant en place, fort du million supplémentaire alloué par Cathala, un système fondé sur le clientélisme ». A la Libération, le comité d’épuration s’empresse de se débarrasser de lui. Le 11 septembre 1944, « Muratore est licencié, sans préavis ni indemnités, comme tous ceux qu’il avait engagés, et remplacé par un comité d’entreprise composé de Roger Désormière, de deux chanteurs et d’un délégué de l’orchestre » (La Vie musicale sous Vichy, Myriam Chimènes et Josette Alviset).
Muratore consacrera ses dernières années à l’enseignement du chant. Parmi ses élèves figure le ténor australien Kenneth Neate, à qui il légua quelques-uns de ses costumes de scène, notamment celui de Don José. Muratore meurt à Paris le 16 juillet 1954. Il est enterré au cimetière Saint-Pierre à Marseille ; sur sa tombe le sculpteur Antoine Sartorio a représenté un homme et une lyre avec la mention « Le chant, don divin ». 

       

Il existe un portrait de Muratore avec son chien, peint par Jean Roque, à l’opéra de Marseille (en très mauvais état) ; dans la ville natale du ténor, me Musée Cantini conserve aussi une statuette en bronze par Jean Berengier. A PAris, au Musée Carnavalet, un peut admirer son portrait en Don José, par Léon-Charles Caniccioni (1925).

DISCOGRAPHIE : 
« Lucien Muratore », disque Malibran MR583

 

 

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