Installé devant son télévisieur, on attendait beaucoup de la nouvelle production de Macbeth qui a ouvert la nouvelle saison de la Scala, après une année « blanche » où la Saint Ambroise a été célébrée par un concert sans public retransmis en streaming. On attendait beaucoup de la distribution dans laquelle figuraient quelques noms fameux autour d’une grande star, enfin on attendait tout simplement de voir un beau spectacle comme la première scène milanaise nous en propose régulièrement le 7 décembre où tout est mis en œuvre pour faire que cette date, si importante dans la vie musicale italienne, marque les esprits… et l’on a été déçu. Tout d’abord par la production de Davide Livermore qui dans une interview avait exprimé son intention de situer l’intrigue dans un univers inspiré des films de Christopher Nolan, et plus précisément Inception. Il en résulte des décors monumentaux et surréalistes constitués de ponts métalliques et de gigantesques gratte-ciel superposés dont certains semblent suspendus dans les airs, des labyrinthes aussi, le tout dans des teintes froides majoritairement le gris. Ce monde terrifiant n’est pas sans évoquer également le film de Fritz Lang Metropolis. D’ailleurs, la demeure de Macbeth située au centre de la scène, est constituée d’un salon immense entouré de baies vitrées, luxueusement meublé dans le style art déco.
Macbeth © Marco Brescia & Rudy Amisano
Les hommes sont en complet veston, les femmes sont en bleu au premier acte, en blanc et or durant la scène du Brindisi, en rose ensuite. Lady Macbeth porte un tailleur rouge durant son air d’entrée, une robe du soir fuchsia lors de sa réception, un imperméable bleu à la fin. Pendant tout le spectacle, on entend souffler le vent qui soulève les voilages du grand salon et déplace les nuages d’où jaillissent par moment des éclairs, ce qui contribue à créer une atmosphère angoissante. Durant le prélude, Macbeth et Banco se battent à l’épée avec des soldats qu’ils tuent, puis roulent à bord d’une voiture dans une forêt avant d’arriver en ville. Les sorcières sont des piétonnes qui traversent la rue. En fait on ignore qui sont ces hommes, ce qu’ils font, ce qu’ils cherchent, et qui sont leurs ennemis. Que représente la couronne que porte Duncan, convoitée par Macbeth et son épouse ? Où mènent ces ascenseurs dans lesquels les protagonistes prennent place à tour de rôle pour monter ou descendre ou bien pour copuler en vitesse comme le font Macbeth et son épouse ? Tant de questions qui restent sans réponse et qui font qu’on ne s’intéresse finalement pas à ces personnages qui s’agitent devant nous comme des pantins.
Macbeth © Marco Brescia & Rudy Amisano
Vocalement aussi la déception est là. Anna Netrebko qui a montré à New-York et à Berlin notamment, qu’elle était une grande Lady Macbeth est apparue en petite forme. Trac ou fatigue ? Elle a chanté tout son premier air en force au point de dénaturer par moment son timbre, ce qui a eu pour conséquence un léger accroc au cours de sa cabalette à la fin de laquelle quelques huées éparses se sont mêlées aux applaudissements. Après une « luce langue » mieux maîtrisée, on aura remarqué un ou deux écarts de justesse durant le brindisi dont les vocalises manquaient singulièrelent de souplesse. Fort heureusement la soprano récupère en grande partie ses moyens après l’entracte et livre au dernier acte, une superbe scène du somnambulisme dans laquelle on retrouve la splendeur de son timbre capiteux et les piani lumineux dont elle a le secret. Dommage que le contre-ré bémol final ait sonné un peu bas. C’était ce que l’on appelle un soir « sans » mais la cantatrice a tout de même réussi à sauver les meubles.
Macbeth © Marco Brescia & Rudy Amisano
Face à elle, Luca Salsi a campé un Macbeth tout d’une pièce avec une voix de stentor. Certes, les moyens sont importants et la partition ne semble pas lui poser de problèmes sur le plan vocal. Cependant l’on est loin des grands titulaires du rôle. La psychologie du personnage reste sommaire et malgré de louables efforts pour nuancer par instant sa ligne de chant, le legato si essentiel dans les grandes phrases verdiennes n’est pas au rendez-vous. Au moins sa prestation aura été efficace.
Il en va tout autrement du Banco d’Ildar Abrazakov qui ne manque pas d’atouts : la basse possède un timbre séduisant et profond, une ligne de chant élégante et un style accompli. La noblesse de son personnage transparaît dans son air « Come dal ciel precipita » qu’il interprète avec une grande émotion et un impeccable legato salués par une belle ovation de la part du public.
Francesco Meli tire son épingle du jeu dans un rôle adapté à ses moyens essentiellement lyriques. Malgré une interprétation soignée notamment dans son air « Ah, la paterna mano », le personnage ne parvient pas à s’imposer tout à fait. Signalons enfin l’excellent Malcom du jeune ténor péruvien Iván Ayón Rivas lauréat de l’édition 2021 du concours Operalia, dont les moyens se révèlent on ne peut plus prometteurs tout comme la voix bien projetée de Chiara Isotton dans les brèves interventions de la dame d’honneur de Lady Macbeth.
Durant toute la soirée, les chœurs, si importants dans cet ouvrage, se sont montrés fidèles à leur réputation notamment dans « Patria oppressa » magistralement interprété dans un silence recueilli.
A la tête d’un orchestre en grande forme, Riccardo Chailly propose une direction extrêmement fouillée avec des tempi plutôt lent au détriment parfois de l’intensité dramatique.
La partition est donnée dans son intégralité, y compris le ballet qui offre à Anna Netrebko l’occasion d’exhiber ses talents de danseuse au cours d’un surprenant numéro. D’autre part, comme l’avait fait Claudio Abbado dans son intégrale, Chailly réintroduit à la fin de l’ouvrage l’air de Macbeth « Mal per me che m’affidai » qui appartient à la version de 1847.