Déjà documentée au DVD en 2010, la production de Madama Butterfly signée Anthony Minghella avait séduit Jean Michel Pennetier. Depuis la salle, les défauts et qualités qu’il énumérait alors se retrouvent, mais à des degrés divers. L’élégant mariage entre les formes artistiques installe cette Butterfly dans l’esthétisme tout en l’ancrant dans le contexte du livret grâce aux costumes aussi traditionnels qu’ostentatoires. Le décor composé d’un plan incliné et d’un fond de scène éclairé à la Bob Wilson est ingénieux, surtout grâce à ces paravents japonais montés sur rail qui autorisent d’infinis changements à vue et des entrées et des sorties de personnages surprenantes. Toutefois, la scène est en permanence peuplée d’une armée de figurants techniciens, qui, pour vêtus de noir qu’ils soient, détournent l’attention du drame solitaire que vit Cio-Cio San. Cette gêne se renforce encore avec les marionnettistes Bunraku. Car si la marionnette de l’enfant est très expressive et poétique, elle met forcément à distance la relation que la mère entretient avec son enfant. Cela déséquilibre en partie le deuxième acte et complique la tâche de l’interprète principal pour rendre crédible la dernière scène. Toutefois, ce fil directeur désincarné se double d’un soin apporté à la direction d’acteur, notamment au premier acte où Pinkerton se comporte en véritable conquérant colonial, irrespectueux et lubrique.
© Marty Sohl / Metropolitan Opera
Las, si Roberto Aronica campe ce Pinkerton vil qu’on aime à détester, la voix ne le seconde pas toujours. Le timbre nasal et claironnant manque de suavité pour en faire un séducteur et l’aigu, trop bas, se dérobe plus d’un fois. Pour une fois c’est Sharpless qui gagne le match : Roberto Frontali lui prête une voix puissante et son timbre sombre pour en faire un figure paternelle, compassionnelle mais aussi autoritaire tant avec l’américain qu’avec Butterfly. En Suzuki, Maria Zifchak retrouve une production qu’elle fréquente régulièrement ainsi qu’un rôle où elle peut installer une de ces figures maternelles qu’elle affectionne tant. Le grain de la voix et une projection égale soutiennent expressivité et jeu de scène sobre. Tony Stevenson (Goro), Stefan Szkafarowsky (le Bonze) sans démériter ne disposent pas tout à fait du format nécessaire au Metropolitan Opera. Cela n’a guère de conséquence car la direction musicale de Marco Armiliato est un modèle d’équilibre et de soutien apporté à chaque chanteur. Le chef ne presse pas les tempi, s’attarde sur des détails orchestraux tout en maintenant tendu le fil de la narration.
Dans cet étrange écrin, Ermonela Jaho retrouve les planches du Met qu’elle n’avait foulées que brièvement, au débotté d’un remplacement de dernière minute dans La Traviata. La réputation de son interprétation de la Geisha l’a précèdée et le public New-Yorkais l’accueillera debout aux saluts. Dimensions du Met oblige peut-être et surement conséquence de l’engagement scénique qu’on lui connait, le jeu de la soprano albanaise nous a semblé un rien exagéré. Elle se consume en scène, comme à son habitude. Mais, si le chant reste toujours nuancé, enluminé de piani, le rôle éprouve son endurance. Le timbre en fera les frais et la voix s’acidifie fortement dans la dernière scène. Une faiblesse que la soprano sait placer au service d’une expression à tirer les larmes.