Prenez un couvent où des jeunes filles portant des noms à particule sont préparées à leur vie future d’épouses, de mères et de femmes du monde par l’exercice de la piété et l’apprentissage de la musique. A sa tête une aristocrate qui veille à la permanence de cette éducation pour assurer celle de sa caste. Une des pensionnaires, Denise de Flavigny, observatrice et déterminée, a découvert le secret du maître de musique : il mène une double vie. Organiste asexué le jour dans le saint lieu , il fréquente le soir le lieu profane de toutes les débauches, un théâtre. Les circonstances aidant, elle s’y rendra de son plein gré, sera amenée à remplacer au pied levé une diva capricieuse, et remportera un vif succès. Est-ce le début d’une nouvelle vie, en rupture éclatante avec son milieu ?
Philippe Girard (le major) et Lara Neumann (Denise / Mam’zelle Nitouche) © dr
On pourrait le croire, à prendre à la lettre le panneau qui accueille les spectateurs : il représente La Liberté guidant le peuple d’après Delacroix et une inscription affirme que Mam’zelle Nitouche est une œuvre révolutionnaire. Mais si les ingrédients précités relèvent d’abord des conventions en usage chez la comtesse de Ségur pour bifurquer ensuite chez Balzac, la conclusion nous ramène au statu quo : l’aventure sera sans lendemain. Revenue au couvent, l’héroïne se jette dans les bras du beau militaire qu’elle a conquis : non seulement il est lui aussi issu de la caste mais de surcroît il n’est autre que celui que ses parents avaient choisi ! N’est-il pas abusif de parler de révolution ?
Ce penchant à l’approximation outrancière, nous le percevons aussi dans la mise en scène. En faisant succéder l’univers sulfureux du théâtre à l’ambiance collet monté du couvent, le livret organise un contraste piquant. Mais si le couvent est peuplé, comme on nous le montre, de pensionnaires dissipées qu’une chorégraphie répétitive à l’air de déjà-vu fait se trémousser en gesticulant au moindre prétexte rythmique, l’effet de contraste est raté et la singularité de Denise est noyée dans la masse. On a évité la représentation conventionnelle du monde conventuel mais on l’a remplacée par une autre convention : le Couvent des Hirondelles est devenu celui de Sister Act. Pourtant le livret est clair : la référence, c’est Molière, que Célestin/Florimond invoque quand la présence d’esprit de Denise les sauve de l’inquisition de la Mère Supérieure.
Ainsi, la mise en scène de Pierre-André Weitz grossit le trait et alourdit inutilement l’œuvre. Olivier Py tombe dans ce travers quand son avatar, Miss Knife, campe une Mère Supérieure dont les vociférations semblent laborieusement et vainement chercher à être drôles. Du coup, sa Corinne semblera presque sobre, et au moins les citations d’opéra dont elle truffe son discours font mouche et provoquent le sourire. Même son Loriot évite intelligemment la caricature du comique troupier. Le spectacle porte du reste sa marque, avec l’aspect cabaret et la thématique de l’ambigüité du genre par la présence de travestis et de transformistes, mais Pierre-André Weitz est un de ses collaborateurs attitrés.
Les autres personnages, par bonheur, ne sont pas trop chargés. Si la gouaille de Denise ne nous semble pas nécessaire, même dans les chansons à onomatopées, elle reste supportable et le talent de Lara Neumann lui permet de passer de l’espièglerie du couvent à l’abattage du corps de garde avec une voix remarquable de fraîcheur. Damien Bigourdan s’acquitte avec brio du rôle de l’homme à la double vie, saint homme le jour et débauché le soir. Philippe Girard campe la complexité de la baderne sensible que Corinne cocufie. Silhouettes plus que personnages, Antoine Philippot, Clémentine Bourgoin, Ivanka Moisan – remarquable danseuse – Pierre Lebon et David Ghilardi se montrent infatigables, bien qu’ayant enchaîné les représentations. Le comique de la sœur tourière est exploité par Sandrine Sutter. Samy Camps, enfin, incarne avec élégance l’impatience d’un jeune homme sentimental à qui le cynisme est étranger.
Dans la fosse Christophe Grapperon dirige l’orchestre dans une optique plus favorable, par l’éclat des cuivres et les tempi adoptés, à l’ambiance tapageuse d’un café-concert qu’au lyrisme que l’ouverture semblait promettre. L’impact sur le public est indéniable et déclenche au final les applaudissements rythmés, qui entraînent un bis, et ainsi de suite. Peut-on pour autant parler de réussite ? Cette représentation inflige à une œuvre peu connue le prisme des préoccupations du metteur en scène et d’Olivier Py. Etait-ce une priorité ?