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Martin Wåhlberg, chef d’orchestre norvégien, fou d’opéra-comique

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Interview
15 juillet 2024
Martin Wåhlberg dirige l’orchestre norvégien d’instruments d’époque Orkester Nord depuis sa fondation en 2018.

Infos sur l’œuvre

Détails

Francophile, parrain de la candidature de Rouen au titre de Capitale européenne de la culture 2028, il est également parfaitement francophone car il a grandi dans l’hexagone, où il a étudié.
Son compagnonnage avec le CMBV et le label Aparté l’amène à recréer des opéras-comiques rares de Duni, Grétry ou aujourd’hui Philidor. Interview, à Oslo, dans un français parfait.

Le 25 juin dernier avait lieu la Première d’Ernelinde, princesse de Norvège, en version de concert, dans une salle comble, ici, à l’Opéra d’Oslo.
Nous sommes très heureux de ce succès, de constater que le public norvégien est curieux de découvrir cette musique, totalement inconnue. C’est une satisfaction d’autant plus grande qu’il s’agit d’une grosse machine à mettre en branle avec près de soixante artistes sur scène !

Voilà presque deux années que nous travaillons musicalement sur ce projet qui a été décidé il y a cinq ans déjà.
Benoit Dratwicki et moi-même rêvions de monter cette partition depuis longtemps. Nous avions déjà collaboré autour de Barbe Bleue qui n’était que le deuxième gros programme d’Orkester nord et Ernelinde s’est imposée à nous très rapidement. Orkester Nord s’investit beaucoup dans le répertoire de la seconde moitié du XVIIIe siècle en France et Philidor amène à cette époque un langage nouveau, en particulier dans l’opéra-comique, mais également dans la Tragédie lyrique, que nous n’avions jamais abordé jusqu’alors : l’occasion, là, était trop belle !

Auparavant nous avions travaillé autour de Grétry, de Duni – qui est un peu le fondateur de l’opéra-comique nouveau style fin 1750 – et Ernelinde appartient au même univers musical : En 1767 l’Académie Royale de Musique fait appel à Poinsinet et Philidor deux artistes de l’Opéra-Comique – institution rivale – qui y ont rencontré un succès fou. Dans les témoignages de l’époque comme les mémoires secrètes de Bachanmont, on peut lire au jour le jour, les impressions des contemporains sur ce qui se passe alors à Paris : l’opéra se vide au profit de l’opéra-comique qui rencontre un formidable engouement.
Or, en même temps que cette captation de talent, musicalement, tout change. On n’est plus chez Rameau ou Lully, c’est déjà la Révolution!

Lorsque les gens écoutent Grétry, Duni ou Philidor, ils s’étonnent : « c’est un peu comme du Mozart », ils n’ont pas tort mais prennent les choses à l’envers : Mozart avait les partitions de Grétry dans sa bibliothèque, il connaissait Duni personnellement ; Il était nourri de cette musique. Philidor – particulièrement avec Ernelinde – se trouve à cette charnière, cette révolution du style que l’on appelle improprement classicisme.

Votre intérêt pour ces compositeurs suppose que vous avez le goût des redécouvertes, des raretés.
Je m’intéresse à l’opéra-comique parce que c’est le courant qui a le plus influencé la musique en Europe à l’âge classique – la musique française était alors célèbre sur tout le continent et jouée partout. De plus, on y trouve énormément de chefs d’œuvres injustement oubliés.
Ces œuvres sont des raretés aujourd’hui mais ne l’étaient absolument pas à l’époque. Elles permettent de porter un nouveau regard sur le paysage musical de cette époque si fameuse.

Revenons à votre parcours : Vous êtes violoncelliste, vous avez étudié en France cet instrument ainsi que la littérature et la musicologie. Comment en êtes-vous venu à la musique ancienne ?
J’ai d’abord étudié le violoncelle moderne dont je voulais bien jouer avant de passer à la musique ancienne, mais je viens d’une famille de musiciens baroques… A un moment, ce répertoire s’est imposé à moi, je ne pouvais plus attendre.
En Norvège, à l’époque – comme encore aujourd’hui d’ailleurs – le baroque n’était pas enseigné au conservatoire comme il l’est en France ou aux Pays-Bas. J’ai donc du partir pour me former.

Si ce répertoire n’existait pas en Norvège, où vos parents l’avaient-ils découverts ?
Aux Pays-Bas dans les années 1980, même si j’ai surtout grandi en France.

Vous appartenez à une famille de voyageurs !
Oui, c’est un peu indispensable lorsque l’on est scandinave et que l’on se penche sur ce répertoire. Orkester Nord gère ici en Norvège, à Trondheim [l’ancienne capitale du pays], un programme assez développé de formation des jeunes musiciens pour leur donner la possibilité de s’initier à cette musique avant de les envoyer à l’étranger pour qu’ils puissent se perfectionner. Lorsqu’ils reviennent, ils intègrent l’orchestre, ce dont nous sommes très fiers.
De nombreuses structures possèdent ce type d’académie en Europe. Ici, c’est une mission importante qui permet de changer l’image du baroque dans le pays.

Cette image attachée au baroque ne vous empêche pas de vous produire dans votre pays ?
Non, en Norvège, je pense même que nous faisons partie des orchestres les plus actifs. A cela s’ajoute notre propre festival, Barokkfest, à Trondheim, avec une semaine de concert au mois de janvier, qui nous permet de faire entendre des choses nouvelles au public.

                                                                                                    ©Ole Wuttudal, Orkester Nord

Qu’est ce qui vous a amené à la direction ?
Dès les années 2010, je dirigeais un ensemble de musique de chambre depuis le violoncelle, mais en 2018, lorsqu’Orkester Nord est devenu plus ambitieux, j’y ai renoncé. Je pense que la plupart des chefs venus du violoncelle ont du cesser de diriger depuis leur instrument. C’est plus envisageable depuis le violon ou le clavecin, mais pour des raisons très physiques, cela s’avère très compliqué avec cet instrument là.
Nos projets prenant de l’ampleur il m’a semblé important de me former, en Norvège mais également en Finlande qui bénéficie d’une belle tradition de direction et où se trouve une excellente école à Helsinki.

Comment définiriez-vous la personnalité de votre Ensemble ?
Notre projet est de créer une plateforme pour réaliser des projets exceptionnels. L’orchestre est formé de musiciens qui sont tous des musiciens d’exception de l’Europe entière, souvent jeunes, individuellement choisis pour travailler les œuvres en profondeur, parfois plus longtemps que ce n’est le cas d’habitude – souvent avec des effectifs et instrumentations qui se rapprochent de l’époque de la création et qui donnent plus de richesse et couleurs au son.
Je ne sais pas si les auditeurs en sont d’accord [rires] mais ce que je cherche, c’est l’énergie et le théâtre dans la musique. Nous avons également fait des enregistrements orchestraux et il me semble que dans le répertoire du XVIIIe siècle, la musique orchestrale est profondément théâtrale, y compris lorsqu’elle n’est pas scénique. D’ailleurs au théâtre à l’époque, à la Comédie Française par exemple, il y avait également de la musique. Le rapport à l’histoire racontée était souvent très similaire dans les deux répertoires. J’essaie de faire passer ce message.
Le répertoire de l’opéra-comique est parfois associé à un côté un peu gentillet, sucré. Or quand on lit les comptes-rendus de l’époque, il est évoqué comme un univers plein d’énergie et qui impressionne le public.
Avec l’Orchestre, nous cherchons également un son d’ensemble cohérent à travers les couleurs des instruments pour nuancer les couleurs. En musique baroque, on aime beaucoup passer par la rhétorique, par l’ornementation historique… mais le son est également très important.
Ces deux éléments, théâtralité et couleur des sons, sont au cœur de notre recherche.

                                                                                                          ©Ole Wuttudal, Orkester Nord

Lars Ulrik Mortensen rêve de monter Rameau à Copenhague, vous montez Philidor à Oslo. Y a t-il une sensibilité à la musique française en Norvège ?
Malheureusement, je crains que non [rires], mais avec le festival de Trondheim, nous avons monté des productions que les gens ont aimé, qui ont éveillé leur curiosité. Ils nous font confiance, désormais. Preuve en est que la salle était pleine ici à Oslo. A partir du moment où l’on présente des choses de qualité, on peut oser.
Ceci dit, malheureusement, Rameau est quasi inconnu en Scandinavie, les musiciens n’en n’ont pas entendu parler, ne le jouent pas; or, contrairement à une oeuvre de Haendel, pour monter un opéra baroque français, il faut d’importants moyens.

Abandonnons un instant le principe de réalité ; si vous aviez un rêve musical, quel serait-il ?
J’en ai tellement ! [rires] J’apprécie particulièrement la musique instrumentale de la fin de la Renaissance, celle des compositeurs qui ont les premiers travaillé dans le format de la Suite française.
En avançant dans le temps, je mentionnerais des œuvres palpitantes issus de la Révolution comme Eliza, ou le voyage aux glaciers du Mont St.  Bernard de Cherubini ou encore Sapho de Martini, un opéra incroyable avec un livret écrit par une compositrice de la période révolutionnaire.
J’aime également beaucoup la musique française du début du XXe siècle : Ravel, Debussy… que je jouerais naturellement sur instruments d’époque. Mais ce sont des rêves, je ne suis pas certain qu’ils se concrétisent ! [rires]

Dans votre travail qu’est ce qui vous anime, quel est votre moteur ?
Ce qui m’excite le plus c’est d’apprendre des choses nouvelles. Apprendre au sens de comprendre, de voir comment les choses peuvent se faire. En musique, on s’expose toujours au risque de mécanisme : faire comme on a toujours fait, comme font les professeurs, les collègues… Or, une partition se lit comme un livre, c’est une histoire qui se raconte. Il y a une première rencontre avec l’œuvre et ensuite, ce qui intéressant c’est d’essayer de comprendre comment cela a été fait à l’époque – même si on ne peut jamais tout à fait le savoir – et comment on peut le faire aujourd’hui d’une façon convaincante. Il faut choisir parmi de nombreuses solutions, c’est cela qui me nourrit.

La génération de mes parents a été révolutionnaire. Ils ont osé faire des choses que personne n’avait jamais tenté. Puis les pratiques se sont normalisées et désormais, notre génération a la responsabilité de creuser, comprendre et apprendre. Eux ont du apprivoiser des instruments que personne ne pratiquait plus. Aujourd’hui, nous avons d’excellents instrumentistes, mais il est impératif de conserver la curiosité, la volonté d’avancer et de faire toujours mieux.

L’autre moteur, je crois, c’est la quête de perfection, d’une qualité de rendu excellente. Ce qui me questionne, c’est naturellement l’union des deux : trouver les choses qui marchent et dont le rendu est remarquable avec ces instruments là.

Faites-vous vos choix artistiques par l’expérimentation ou en amont, à la table ?
Il y a naturellement un énorme travail à accomplir en amont, puis, le moment venu, face aux musiciens, il faut tout oublier et faire avec le cœur. [rires] Aussi complète qu’ait été la préparation, c’est en direct, entre les gens qui sont là, que la magie opère.
La musique c’est également quelque chose d’instinctif, chaque concert est unique. Ce qui est fascinant dans la musique c’est que c’est quelque chose qui est vivant, en perpétuel mouvement.
J’aime à me rappeler que Bruggen était fan de sumo car, après une très longue préparation, tout y bascule en quelques secondes.
Même avec un répertoire ancien, inconnu, la musique nous parle toujours, va droit au cœur, c’est le seul langage universel qui nous permette d’accéder à la vie intérieure intense de gens disparus depuis des siècles.

Selon vous, jusqu’où doit aller la fidélité à la partition originale ?
On ne peut pas savoir comment sonnait la musique au moment de sa création, mais on peut lire, trouver des informations dans des sources bien plus riches que celles qui sont consultées habituellement. Ce sont de vrais outils créatifs pour imaginer comment faire les choses.

Cela s’applique-t’il à tous les répertoires ?
Orkester Nord ne joue pas que de l’Opéra-comique. Nous avons beaucoup travaillé les opéras de Haendel – mis en scène ou non – même si nous ne les avons pas encore enregistré, contrairement à la Symphonie n.25 de Mozart. J’adore Bach, nous avons monté la Passion selon Saint Jean l’an passé… Etant norvégiens, nous avons certes une affinité avec la langue et la culture allemande mais toute découverte nait d’une curiosité initiale. Il faut jouer les classiques, et de temps en temps s’investir dans les raretés et les faire découvrir au public. Les deux me semblent importants. De plus, il m’apparait que c’est en interprétant les œuvres les moins connues que l’on comprend le plus intimement les chefs d’œuvre.

Nous avons par exemple enregistré des cantates assez magnifiques d’un compositeur totalement inconnu, Augustin Pfleger – des œuvres que l’on pourrait situer entre Schutz et Buxtehude dont une très belle Passion selon Saint Jean -. C’était passionnant de s’approcher par ce biais de la musique de Bach, de prendre conscience que ce chef d’œuvre s’inscrit dans une tradition. On ne l’approche plus de la même manière, ensuite. Cela enrichit le travail et l’interprétation.

Autre exemple parlant, l’un des importants projets à voir le jour bientôt: notre enregistrement de la Flûte Enchantée qui paraîtra en novembre et que nous avons envisagé sous le prisme de son rapport avec l’opéra-comique.

Dans la musique, Mozart adopte toutes les recettes de Duni, de Grétry. C’est très visible dans la construction des airs, dans leur longueur – ils sont courts -, dans le mélange parler/chanter, dans l’efficacité scénique, dans les ensembles dramatiques surtout : Mozart est présenté comme l’inventeur du concept, mais bien avant lui, dans l’opéra-comique français, l’action continue dans les passages musicaux. Bien entendu, je n’oublie pas que Mozart a également d’autres inspirations comme Bach, Haendel…

Dans Ernelinde, ces influences multiples sont encore plus perceptibles.
Evidemment ! Philidor avait été formé en France, mais voyageait également beaucoup [en raison de son activité de joueur d’échec professionnel]. Il s’était rendu à Postdam, allait régulièrement à Londres, où il a pu entendre la musique de Haendel… Dans les choeurs d’Ernelinde, vous trouvez des fugues magnifiques. Dans cette musique, vous sentez également l’influence de Carl Philipp Emmanuel Bach, de Galuppi…

Finalement tout ces artistes font leur miel de tout.
Comme Mozart !

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